La Chine, la Chine, la Chine ! On ne parle que d’elle en ces temps troublés. Aussi avons-nous choisi de sacrifier aux préoccupations actuelles et de nous intéresser à deux romans situés en Chine, en espérant que nos écrivains de l’Indochine nous pardonneront cette infidélité. Chine ? Pas tout à fait cependant. Disons Pékin. Un Pékin des années 20- 30 qui n’existe plus. Revoici venue une nouvelle chronique de notre expert es écrivain indochinois. Choisis par François Doré, deux romans qui ne peuvent que nous faire regretter de n’avoir pu nous trouver le soir sur la terrasse du Peking Hotel, au milieu de cette insouciante petite communauté occidentale, qui continuait à chanter et à danser, sans se préoccuper des bruits de bottes venus du Nord. Et le tout, bien sûr, sous les rafales de ce Vent Jaune, venu des déserts tartares. Un roman inoubliable. Joyeuse lecture !
Une chronique de François Doré, librairie du Siam et des colonies
Comme ce merveilleux roman nous fait regretter de ne pas avoir connu la terrasse du Pékin Hôtel dans les années 30 ! La romancière qui se cache sous ce pseudo de Chamine, est en réalité la journaliste Geneviève Dunais. Les renseignements sur elle et sa vie sont rares et nous aurions bien aimé trouver trace de son séjour en Chine dans les années 1935-37. Parce que pour nous livrer la description de la région de Pékin que l’on retrouve tout au long de son roman «Vent Jaune’»publié en 1945, elle y a forcément vécu.
Hélène Barral, jeune et jolie française, est venue en Chine pour prospecter la possibilité pour son époux médecin de s’y installer professionnellement. Elle a quitté Pékin ce matin là, pour rejoindre Jehol, au nord est de la ville, où chargée d’une commission, elle doit retrouver un pauvre missionnaire abandonné. Brusquement, presque au pied de la Grande Muraille, l’autocar s’arrète ; une voiture s’est écrasée dans le rocher et un Européen blessé demande de l’aide. Il a reçu une balle dans la poitrine…. Hélène, qui a fait ses études de médecine le soigne.
La victime, un «petit homme brun, maigre, brûlé à tous les feux, aux regards effrontés et vifs ; une peau dure et marronnée, encrassée d’alcool, de surmenage et de fumée»… tel apparaît à ses yeux ce compatriote qui se présente, Charles Marionga. En réalité, ce Marionga est le personnage principal autour duquel tourne la petite communauté française de Pékin. Un Pékin qui à cette époque, ressemble plus à une petite ville de province, Angoulême ou Barbezieux, dit un des personnages du roman. C’est table ouverte tous les soirs dans le bungalow de Marionga. Les Français s’y retrouvent, englués dans leurs jalousies mesquines.
Une assemblée décrite avec cruauté par l’un d’eux : le sinologue Josselot, avec sa femme russe, géante à gros ventre et à gros yeux et qui ressemble au cyprin du bassin ; Carghèse, ingénieur occupé au loin et qui est trompé par sa femme, “aigre petite mante religieuse” ; Bouvier, l’attaché de la Légation, jeune homme plein de secrets tristes et sombres, et ce qui n’en est un pour personne, est amoureux de sa petite répétitrice de chinois, la jolie Mlle Tchao ; Mme Soukhine, veuve d’un trafiquant d’armes du Yang Tsé et ‘qui essayait les uns après les autres les résidents de Pékin’. Mais il y a aussi l’antiquaire de passage, ridicule lorsqu’il mime les poses d’une statue de Kouan Nin ; enfin, Saint Genest, secrétaire à la Légation de Suisse et qui ne supporte plus rien de ce qui est chinois. Mais le personnage principal reste Marionga.
Il a présenté à toutes et à tous celle qui l’avait sauvé sur la route de Jehol et bien sûr, les commentaires allèrent bon train : ce fut d’abord Mme Soukhine qui confirma à Hélène que rien n’était plus dangereux à Pékin que la séduction irrésistible de Marionga ; qu’il avait eu des centaines de femmes ravissantes, «des Russes, ce qui ne compte pas, des Américaines, ce qui est mieux, et même des Françaises, qui sont comme chacun sait, les plus vertueuses de l’univers»… Les hommes le trouvaient sot, les femmes le trouvaient laid. Il les bernait tous, traitait les marchés défendus à la barbe de tous les gouvernants, et trouvait encore le moyen d’entraîner leurs femmes dans un petit coin pour leur faire leur affaire… Mais quand Hélène leur demandera à tous : mais pourquoi semble-t-on être ici si mauvais, les uns pour les autres ? la réponse sera : «Parce que nous ne pouvons pas nous passer les uns des autres»…
Et c’est pourtant chez Marionga que la sage et discrète Hélène va s ‘installer. Sa journée sera passée à l’hôpital où elle découvrira les souffrances de tout un peuple affamé, mais chaque soir la belle voiture mauve de son hôte attendra sa sortie devant la grille… A partir de dix heures du soir, le roof de l’hôtel de Pékin était la seule place sûre. Des arcs de feuilles formaient un toit à claire-voie où les étoiles une à une, s’allumaient. Marionga, accompagné d’Hélène y retrouvait ses amis. La jeune femme écrivait d’ailleurs dans ses lettres à son mari : on y retrouve tous les soirs les gens qu’on a vu trois fois dans la journée, et qui, chaque fois, ont changé de costume. Pourtant, pour Bouvier, tout se gâtait. L’agitation prenait corps dans le Nord, les Japonais s’infiltraient partout, même sur leur roof. Mais il demeurait le seul inquiet, et pour tous, Pékin savait toujours rester en dehors des aventures… Et tout cela avec pour décor inoubliable, la ville de Pékin que Marionga, brutal et barbare présentait comme son fief, les odeurs de ses hutungs boueux et par dessus tout le Vent Jaune venu des déserts tartares…
François Doré. Librairie du Siam et des Colonies.