Nous poursuivons nos voyages dans les lieux touristiques insolites de l’Asie du Sud-est. Par chance, les archives de notre mensuel nous offrent quantité de reportages, tant Gavroche s’est depuis 25 ans promené partout dans cette merveilleuse région. Cette fois: escapade à Tengger, à l’est de Java, un des sites naturels les plus spectaculaires de la planète.
Immense pays qui s’étend sur plus de cinq mille kilomètres, l’Indonésie possède des sites naturels parmi les plus spectaculaires de la planète, dont de nombreux volcans encore en activité. Le massif du Tengger, à l’est de Java, présente une particularité unique : chaque matin, au lever du jour, le volcan Semeru entre en éruption. Pour les Tenggers, derniers hindouistes de Java et gardiens des lieux, c’est un volcan sacré où séjournent les dieux…
Il est trois heures du matin. On vient de frapper à la porte de notre chambre. Il faut du courage pour émerger de dessous les couvertures qui protègent du froid. L’hôtel s’éveille lentement, comme chaque nuit. Après avoir passé des vêtements chauds, nous rejoignons par une rangée d’escaliers en bois la salle de réfectoire où d’autres personnes sont déjà attablées devant une tasse de thé ou de café. Les conversations sont rares, chacun semble encore plongé dans un demi-sommeil, à moitié transi de froid. Des guides discutent devant l’entrée de l’hôtel. Munis de simples sandales, ils portent une cape de laine jetée sur les épaules et qu’ils se serrent autour du cou à l’aide d’un nœud. A plus de 2300 mètres d’altitude, les températures n’ont rien à voir avec le climat tropical de la région…
Serrés à l’arrière d’un 4×4 japonais, nous ouvrons à vive allure la marche du convoi qui traverse le village endormi. Le bruit des moteurs pourrait réveiller un volcan à lui seul ,mais les habitants de Tosari sont habitués à ce ramdam quotidien qui vient percer le silence de la nuit. Le ciel – une chance inouïe, nous le constaterons plus tard – est étoilé et la lune, à moitié voilée, éclaire faiblement les contours des pics avoisinants.
Nous roulons déjà depuis trente minutes sur un chemin sinueux quand, à la sortie d’un virage en épingle, le chauffeur nous indique que nous nous arrêtons là. Nous sautons hors du 4×4, pas mécontents de pouvoir se dégourdir les jambes. Des deux côtés de la route, des vendeurs de souvenirs proposent à la location anoraks, gants et bonnets. Des volutes de fumée s’échappent du foyer d’accueillantes échoppes, où chauffent le café et la soupe. Le site d’observation, situé sur un petit plateau, est à une centaine de mètres plus haut. Un vent froid souffle par petites rafales. Chacun tente de se réchauffer comme il peut. Un groupe de collégiens venus en bus de Jakarta chahute bruyamment tandis que les premières lueurs de l’aube apparaissent au-dessus des crêtes recouvertes de forêts. Par un temps dégagé comme aujourd’hui, notre guide nous indique que l’on pourra distinguer la mer de Java, plein Est.
Le soleil se lève enfin. Tournant le dos au levant, des initiés ont posé sur des trépieds appareils photo et caméras vidéo. Certains sont venus de loin pour admirer, au lever du jour, ce site d’une beauté exceptionnelle, doublée d’un phénomène spectaculaire: l’éruption d’un volcan dans la brume matinale. Avec une promptitude déconcertante et à intervalles réguliers d’environ trente minutes, le Semeru crache ses cendres et ses gaz volcaniques, formant un panache épais qui s’élance dans le ciel avant de dévaler le flanc nord du volcan, poussé par le vent. Situé dans la ceinture de feu du Pacifique, le Semeru culmine à 3676 mètres. C’est la plus haute montagne de Java, loin toutefois derrière les 5030 mètres du Puncak Jaya de Nouvelle-Guinée.
On se croirait à l’aube des temps. Au-dessus de la brune piégée dans la caldeira, émerge au premier plan le cône parfait du cratère – éteint celui-là – du Mont Batok. Au second plan, une fumée s’échappe du fond d’un deuxième cratère, celui du Mont Bromo, tandis qu’au loin le Semeru continue d’exploser à intervalles réguliers. Les appareils photo crépitent sans discontinuer. Personne ne veut perdre une seule minute de ce moment féérique. Un pèlerinage à recommander à tous ceux qui ne sont pas encore persuadés qu’il faut préserver cette si belle planète…
A cheval sur un volcan…
Il est temps de regagner la Jeep pendant que le soleil et ses premiers rayons chauffants s’installent dans le ciel pour la journée. Le ballet des 4×4 aux couleurs bigarrées reprend. La descente est raide sur des chemins pas toujours asphaltés. Nous roulons bientôt dans un nuage de brume, sur ce qui ressemble à une mer de sable.Ce paysage lunaire est en fait la caldeira du massif volcanique, un tapis de cendres et de graviers. Nous nous arrêtons au pied du cratère du Mont Bromo dans un nuage de poussière. Une légère odeur de soufre irrite les narines. Les moteurs à peine éteints, apparaissent soudain, tels des fantômes sortis de la brume, des hommes montés sur des chevaux au trot. Ce sont des Tenggers, les descendants du royaume de Majapahit, dernier des grands empires hindous de l’archipel malais qui disparut sous l’avancée de l’Islam à la fin du XVème siècle. Vivant dans des villages autour du Mont Bromo, ils pratiquent la culture maraîchère sur les pentes abruptes mais fertiles du volcan. Leurs produits, réputés pour leur qualité, sont vendus à des grossistes de Surabaya, la capitale de Java Est, deuxième ville du pays, située à une centaine de kilomètres. Profitant de l’afflux de touristes dans la région, ils baladent aussi les visiteurs dans leurs Jeeps ou sur leurs chevaux en traversant la mer de sable depuis le village de Ngadisari. Les Tenggers pratiquent avec ferveur leur culte, à l’image de leurs cousins de Bali. Une fois par an, au pied du mont Bromo, se déroule la grande cérémonie du Kesada (1), quand les Tenggers se réunissent pour demander la protection des dieux du volcan sacré.
La montée à cheval vers le haut du cratère du Mont Bromo ne dure que 15 minutes, quelques minutes de plus à pied pour les bons marcheurs. Pour atteindre le sommet, il reste alors à gravir les 245 marches d’un escalier en pente raide. A plus de 2500 mètres d’altitude, le souffle devient court et les muscles des jambes manquent d’oxygène pour monter sans marquer un temps d’arrêt. Surtout que l’air, saturé de soufre à mesure que l’on approche du sommet, est de plus en plus irrespirable. Nous enfilons sans plus tarder nos masques de chirurgien.
Le soleil est déjà haut dans le ciel et inonde toute la caldeira de Tengger-Bromo, d’un diamètre de dix kilomètres. En contrebas, érigé sur la mer de sable, se dresse un grand temple hindou que nous avions longé à cheval sans y prêter attention. Les habitants de la région viennent s’y recueillir, avant de monter et de jeter des offrandes dans le gouffre d’où sort une fumée de gaz sulfurique. Une famille a étalé ses offrandes sur une natte de l’autre côté de la barrière de sécurité. Chacun leur tour, la mère, le père et les deux filles récitent des prières avant de lancer sans y avoir touché toutes sortes de victuailles, certaines encore emballées dans des sacs plastique… Quelques billets sont vite récupérés par deux hommes en haillons qui se précipitent dessus avant qu’ils ne dévalent le cratère, au risque d’y passer avec !
De retour à Tosari, nous flânons après le déjeuner dans les rues de ce petit village niché sur une crête de la caldeira, avant de reprendre la route pour Surabaya. Des ouvriers agricoles reviennent des champs en pente raide qui encerclent de toutes parts le village, tenant dans leur main des choux-fleurs qu’ils cuiront pour le souper. Avant de rentrer chez eux, ils se regroupent autour d’un Pondok pour déguster des brochettes de tofu grillées. De jeunes écoliers musulmans coiffés du Peci indonésien s’arrêtent pour une séance photo bruyante et bonne enfant avant de rejoindre la petite mosquée. En haut du village, une famille s’est réunie dans le temple hindou qui ressemble à s’y méprendre à ceux de Bali. Deux religions et un peuple qui vivent, là-haut sur leurs montagnes, en parfaite harmonie.
M.C.