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KRABI – REPORTAGE : à l’assaut des falaises thaïlandaises

Journaliste : Cyril Blin
La source : Gavroche
Date de publication : 17/04/2020
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Nos archives avec ce nouveau reportage nous font découvrir une des facettes de Krabi, l’escalade. Avec ses pains de sucre et ses falaises surplombant des eaux turquoises, la Thaïlande est un paradis pour cette activité sportive. Entre les touristes-grimpeurs de Krabi, les compétiteurs de Bangkok et les découvreurs de falaises, bienvenue dans une communauté de passionnés !

 

Si vous avez eu la chance d’aller vous promener sur la côte Andaman thaïlandaise, entre Krabi et l’île de Phi Phi, vous n’avez pu manquer de remarquer ces hommes et ces femmes araignées accrochés à flanc de falaise, une corde entre les jambes comme dernier lien au doux plancher des vaches.

 

En bon Occidental, quand nous pensons à l’escalade, ce sont des paysages de montagnes qui défilent devant nos yeux… Mais le sol thaïlandais est pourtant fort propice à la varappe, comme on appelait encore cette activité il y a vingt ans. Les concrétions calcaires en forme de pains de sucre, mémoires du passé sous-marin de la Thaïlande, sont pour les grimpeurs des terrains de jeu merveilleux: stalactites géantes, roches dentelées, dalles émaillées de bosses et de trous, plans inclinés jusqu’à l’horizontale, fissures où les doigts se glissent à la recherche de la meilleure prise…

 

Habitués à voir en Europe des murs d’escalade dans toutes nos villes et des grimpeurs dans les Alpes ou dans la forêt de Fontainebleau, on penserait que l’escalade est une activité également répandue dans le monde. Pourtant, on oublie que, même en Europe, c’est une pratique relativement récente qui ne s’est fait connaître du grand public dans sa forme moderne qu’à la fin des années soixante-dix. Des grimpeurs charismatiques comme Patrick Edlinger ont séduit des générations en expliquant que l’escalade n’était pas seulement un défi face à la montagne mais, à l’image de la danse, une maîtrise du corps et de l’équilibre, une alliance entre la beauté des mouvements et les sensations.

 

En Thaïlande, tout a commencé il y a vingt ans à peine, quand des passionnés ont découvert les falaises de Krabi. Était ce des Français, des Allemands ou des Hollandais ? Les récits des premiers grimpeurs thaïlandais diffèrent sur ce point. Mais cela est finalement assez conforme à la nature de cette activité, dont beaucoup de pratiquants refusent la «médiatisation» et grimpent d’abord pour eux-mêmes.

 

Khun Tex, sûrement l’un des plus anciens grimpeurs thaïlandais, se rappelle comment il a débuté à Railay, une plage de Krabi et l’un des plus célèbres spots d’escalade du royaume: «A la fin des années 80, je travaillais dans un café et des grimpeurs étrangers sont venus me demander de les guider vers les falaises. J’avais déjà vu des voies installées par d’autres touristes et j’ai eu en-vie d’essayer. Quand ils sont repartis, ils m’ont laissé du matériel et c’est comme cela que j’ai commencé.»

 

L’escalade moderne, qui demande une connaissance et un matériel pointus (baudrier, corde élastique, pitons, chaussons…), jusque-là inaccessible financièrement aux Thaïlandais, a ainsi pu se développer dans la région. «Au tout début, nous avions installé une simple corde en haut de la falaise et nous faisions payer 50 bahts. Nous l’avions baptisée “money maker”», raconte Tex en rigolant. Ainsi, petit à petit, lui et ses amis économisent et finissent par s’acheter leur propre matériel. La consécration vient au début des années 90, quand Tex monte la première équipe de grimpeurs locaux pour participer à une compétition à Singapour: «Je les ai entraînés pendant deux mois, je faisais même la popote. On a fini quatrième et ça a vraiment fait connaître l’escalade en Thaïlande.» De Krabi, la discipline a ensuite gagné Chiang Mai, puis Bangkok où s’entraîne la désormais officielle équipe de Thaïlande.

 

Railay et Phi Phi restent le paradis des grimpeurs qui affluent de plus en plus nombreux chaque année d’un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, les grimpeurs de Krabi ont fait de leur passion leur métier en créant des écoles d’escalade. «Je n’ai plus beaucoup le temps de m’entraîner à cause du travail. Et puis, pourquoi irais-je grimper dans d’autres pays? Ici, j’ai tout ce que je veux: le soleil, les falaises et même une piscine géante», s’esclaffe Tex en montrant la mer.

 

C’est pour les pauvres citadins qui ne voient que rarement le bout d’un pain de sucre qu’ont été inventées les salles d’escalade – le «plastique» comme les appellent les grimpeurs. D’abord conçues pour l’entraînement, ces salles se sont si bien développées dans le monde que certains grimpeurs s’en sont fait une spécialité et ne pratiquent quasiment jamais en extérieur. C’est une attitude assez pragmatique si l’on sait que depuis que l’escalade est devenue un sport de compétition au milieu des années 80, la majorité des compétitions se déroulent en salle. Les Thaïlandais sont d’ailleurs de bons grimpeurs, comme le souligne Jean-Jacques Braun, un varappeur français: «Ils ont un physique naturellement excellent pour l’escalade: un bon sens de l’équilibre, un bon rapport poids/puissance et une bonne souplesse. Mais pour la compétition, ils s’accommodent mal d’une vraie préparation sportive: régime alimentaire spécial, préparation mentale…».

 

Pourtant, de savoir que tant de bons grimpeurs se réservent pour le “plastique” désole Benoît Grasser, un pur “falaisiste” installé en Thaïlande depuis plusieurs années. Pour lui, les Thaïlandais «manquent d’éthique de l’escalade: le contact avec la nature, le dépassement de soi. Ils ne font jamais de grimpe “gratuite”.» Depuis plusieurs années, Benoît se dédie à la découverte et à l’installation de nouvelles voies dans les environs de Bangkok. Car peu d’escaladeurs possèdent la formation et le matériel pour monter une paroi brute, la plupart des voies étant déjà “équipées” – quelqu’un les a découvertes puis a installé des points d’assurage le long de la falaise afin que les grimpeurs suivants puissent l’escalader avec beaucoup plus de sécurité. L’absence de fédération d’escalade dans le pays fait que les voies sont installées par des particuliers, sur leur temps et sur leur argent. Mais c’est aussi cela l’éthique de l’escalade.

 

La prochaine fois que vous voyez des hommes accrochés à une falaise, n’hésitez pas à vous approcher et à découvrir cette activité pas comme les autres, entre sport, jeu et art gestuel. Et puis, si vous devenez accro, ici ce n’est pas le froid qui vous empêchera d’aller grimper !

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