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ASIE DU SUD-EST – HISTOIRE : Comment l’Asie du Sud-Est s’est-elle “indianisée” ?

Journaliste : Xavier Galland
La source : Gavroche
Date de publication : 24/08/2023
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Retrouvez une nouvelle chronique historique issue de nos archives écrite par Xavier Galland.

 

Il n’est pas besoin de rester bien longtemps en Asie du Sud-Est pour y remarquer les nombreuses traces que la civilisation indienne y a laissé, d’abord au travers des cultures védique et hindoue, puis par l’influence de la philosophie bouddhique. De nombreux systèmes d’écriture (Sumatra, Java, Bali…) dérivent de l’Inde ; l’hindouisme est encore la religion principale à Bali ; Garuda (l’oiseau fabuleux de la mythologie indienne, véhicule de Vishnu) figure sur les armoiries de la Thaïlande et sur celles de l’Indonésie ; les temples khmers (celui d’Angkor est dédié à Vishnu) s’inspirent de l’architecture indienne, etc.

 

Pour la seule Thaïlande – outre la présence que l’on vient de citer de Garuda sur les armoiries du royaume – on remarquera encore que l’un des sanctuaires les plus visités du pays est celui de l’Erawan, dédié à Brahma ; que le nom complet de la ville d’Ayutthaya est Dvaravati Si Ayutthaya, Dvaravati étant la capitale de Krishna dans le Mahabharata et Ayutthaya celle de Rama dans le Ramayana ; que l’épopée nationale, le Ramakien, s’inspire directement de ce même Ramayana ; et que le nouvel aéroport s’appelle Suvarnabhumi.

 

C’est le résultat de ce que l’on a successivement appelé hindouisation puis indianisation, c’est-à-dire l’expansion de la culture indienne en Asie du Sud-Est continentale et en Insulinde. Contrairement à la sinisation (expansion de la culture chinoise) souvent militaire, l’indianisation fut, elle, pacifique et n’émanait point d’une volonté délibérée, politique ou autre.

 

Loin d’être coordonnée par quelque pouvoir désireux d’accroître sa puissance, elle fut, en effet, le fruit de l’interaction d’individus de culture brahmano-bouddhique avec des individus d’autres cultures qui, de leur propre chef, adoptèrent les coutumes, langue sacrée, religion et structures sociales des premiers.

 

Ce processus fut naturellement plus lent que celui de la sinisation et ce fut sur plusieurs siècles -au cours du premier millénaire de l’ère chrétienne – que de nombreux marchands, moines, brahmanes, lettrés, artistes, artisans, conseillers, prêtres…, fréquentant les comptoirs indiens des côtes de l’Asie du Sud-Est, et souvent venus à l’appel des chefs locaux, propagèrent la culture sanskrite, celle du bouddhisme hinayana et celle du culte royal dans les sociétés locales.

 

La plupart des royaumes indianisés combinèrent en effet les croyances et traditions hindoues et bouddhiques de façon syncrétique.

 

De même, les royautés d’Asie du Sud-Est adoptèrent avec enthousiasme les codes et pratiques de cour du rajadharma pour légitimer leur pouvoir et construisirent des villes censées reproduire des espaces sacrés tirés des Ramayana et Mahabharata. La titulature royale, enfin, s’inspira elle aussi des titres sanskrits.

 

On a longtemps pensé et dit que les premiers États de la région avaient été quasiment créés par des marchands indiens,mais comment de simples marchands auraient-ils pu avoir une connaissance et une maîtrise suffisamment poussées de tous les rituels sophistiqués que l’on retrouve dans tous ces royaumes ? Il semble bien plus probable que ces États se soient développés d’eux-mêmes et que leurs dirigeants aient ensuite fait venir d’Inde des conseillers et spécialistes du rajadharma.

 

Il n’y a pas si longtemps, le Grand Larousse Encyclopédique décrivait l’hindouisation ainsi : “Processus d’expansion de la civilisation indienne dans des pays de civilisation primitive ou arriérée.» On est heureusement désormais revenu de cette explication. Il ne faut en effet pas perdre de vue que, bien qu’elle se soit bâtie sur un substrat culturel commun, l’indianisation de l’Asie du Sud-Est n’en a pas, tant s’en faut, uniformisé les cultures ni oblitéré le génie local des populations qu’elle a affectées.

 

On a parfois présenté cette influence culturelle indienne comme l’apport de la civilisation à des groupes culturellement primitifs ou sous-développés et, en tout cas, globalement inaptes à développer quelque culture personnelle que ce soit. Dans l’ensemble, la grande force de l’indianisation est précisément d’avoir pu s’adapter aux croyances, traditions et cultures indigènes et de ne pas avoir systématiquement fait perdre leurs identités propres à des populations qui, pour avoir bénéficié de l’influence culturelle de l’Inde, n’étaient pour autant, et quoi qu’ait pu en dire jadis le Grand Larousse, ni primitives ni arriérées.

 

Xavier Galland
Auteur du «Que Sais-je? n°1095, Histoire de la Thaïlande»

 

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