Nouvelle escapade au sein de nos archives. Si Phan Don, ou « Quatre mille îles », est incontestablement l’une des plus belles destinations du Sud Laos. Prisée des scientifiques et des chercheurs pour sa richesse culturelle et sa biodiversité, cette grande cassure naturelle entre le Haut et le Bas Mékong possède les plus importantes et les plus belles chutes d’eau d’Asie du Sud-Est (les chûtes de Khone) et accueille une rare colonie de dauphins de l’Irrawaddy. C’est aussi aux Quatre mille îles que l’on trouve les filets de pêche les plus sophistiqués au monde, appelés « Li ».
La population des Si Phan Don est répartie sur trois îles principales (Don Khong, Don Det et Don Khon) au milieu du Mékong dont les berges sont distantes de plusieurs kilomètres. Pour pouvoir nourrir leur famille, les habitants combinent souvent plusieurs activités (tourisme, agriculture, pêche…). Beaucoup sont pêcheurs et utilisent différentes méthodes de pêche traditionnelles dans ces eaux très poissonneuses, dont celle, unique, appelée « Li ».
Cette méthode, qui se transmet de génération en génération, fait appel à un système sophistiqué des nasses et filets immergés dans les chûtes, là où les courants sont les plus forts. La préparation pour cette pêche saisonnière commence en avril, pendant la saison chaude, quand le niveau du Mékong est au plus bas, afin de positionner le système complexe de pièges sur le lit de la rivière autour des chûtes. La pêche commence pendant la saison des pluies, lorsque les bancs de poissons remontent les forts courants. Les hommes ne quittent pas des yeux les pièges pour surveiller leur progression, dormant souvent sur place. Les pêcheurs prennent de nombreux risques pour braver ces courants dangereux et ramener leur butin qui permettra de nourrir leur famille pendant plusieurs mois.
Le gouvernement laotien a récemment introduit des quotas de pêche pour protéger les espèces en danger. Mais la réalité semble plus complexe et la mise en service prochaine du grand barrage en amont des chûtes de Khone soulève l’inquiétude chez les pêcheurs de Si Phan Don, qui ont acquis depuis des centaines d’années des connaissances inestimables sur la migration des espèces de poissons et la variation des stocks d’année en année. Cette connaissance unique risque de se perdre et l’impact du barrage sur l’écosystème laissé sans contestation. Pire, les pêcheurs de Si Phan Don pourraient voir leur principale source de revenus disparaître, avec un impact social inévitable sur la communauté. Notre photographe a partagé leur vie pendant plusieurs mois pour ramener ces photos exceptionnelles qui témoignent de leur quotidien.
Suracheth Prommarak (traduction M.C.)
Photos : Piyawit Thongsa-Ard
Légende des photos
– Lors de l’installation du piège, le positionnement des piliers de soutien en bois est minutieux car il déterminera la solidité de tout le système et résister aux forts courants qui vont l’ébranler.
– Déplacer ces lourds galets qui serviront à la fondation du piège est le travail le plus harassant et le plus difficile pour les pêcheurs. Il arrive parfois qu’un piège, mal consolidé, soit emporté par le courant avant les premières migrations de poissons.
– Pour remonter les prises, les pêcheurs doivent traverser les rapides dans des conditions parfois extrêmes, bravant le danger.
– Les poissons prisonniers sont attrapés à la main à l’intérieur du piège. Ici dans une nasse de bambous plantés sur le lit de la rivière au milieu des rapides.
– Ce pêcheur montre son agilité pour aller chercher les lourds galets au fond de l’eau qui serviront à la construction des pièges.
– A l’aide d’une lampe frontale, ce pêcheur répond à un texto envoyé par sa famille restée à la maison qui viendra le rejoindre pour l’aider quand un banc de poissons est annoncé. La plupart des pêcheurs campent la nuit près de leur piège.
– Selon la tradition, les pêcheurs partagent leurs prises avec ceux qui les ont aidés à construire le piège ou quand la pêche a été abondante.
– Les familles des pêcheurs et les autres villageois se réunissent sur les rives à la levée du jour pour accueillir les pêcheurs qui apportent avec leurs prises. La tradition des pêcheurs de Si Phan Don veut que chacun peut demander une part du butin.