Retrouver ici une nouvelle chronique de notre ami libraire Olivier Jeandel. Le journaliste et écrivain américain William T. Vollmann s’est fait connaître du grand public par deux travaux magistraux : «Le livre des violences» et «Pourquoi êtes-vous pauvres», qui ont tous deux connu un fort retentissement aux États-Unis et en Europe.
En 2011, les éditions Tristam ont publié « Le roi de l’opium et autres enquêtes en Asie du sud-est », sorti en 2003 en langue originale anglaise. Le lecteur francophone a pu découvrir ces enquêtes avec une dizaine d’années de retard car l’éclairage historique apporté n’avait rien perdu de son intérêt.
En effet, le premier tiers du livre est consacré aux excursions de l’auteur en milieu cambodgien au début des années 90, où il explore le phénomène Khmers rouges et les complexes relations khméro-thaïes de l’époque sous un angle original.
L’auteur, fidèle à ses obsessions sur la violence, sonde les motivations et justifications de nombreux Khmers rouges « ordinaires » et consacre deux études sur le sujet, rarement traité, des bandes de voyous cambodgiens aux États-Unis, dont beaucoup sont nés d’ailleurs dans les camps de réfugiés en Thaïlande.
Un chapitre est consacré aux réseaux de prostitution en Thaïlande en 1993 et un autre au chef révolutionnaire Khun Sa rencontré en Birmanie en 1994, connu alors pour être le principal producteur d’opium du « Triangle d’or ».
L’ouvrage s’achève par une enquête au Japon qui porte sur les yakuzas et les Burakumin, les « Intouchables » japonais.
Ce livre s’avère donc incontournable pour tout lecteur intéressé par l’Asie du sud-est, malgré une traduction française trop littérale de certains échanges entre protagonistes qui rend par endroits la lecture malaisée.
Ce livre inaugure une série de volumes dont les suivants seront consacrés aux enquêtes que Vollmann a menées en Afrique et dans le monde musulman, dans l’ancienne Yougoslavie et dans les pays d’Amérique du Nord et du Sud.
Le célèbre auteur de Gomorra, Roberto Saviano cerne bien tout l’intérêt du travail de Vollmann : « Dans ses livres-reportages, Vollmann se pose là, enfoncé dans la réalité qu’il explore. Raconter la misère de l’homme, la toxicomanie, la prostitution, l’exploitation farouche ne signifie pas être attiré par l’abjection, ou exalter la dégradation. C’est voir son propre temps plus clairement et rechercher dans les traces du présent, tel un archéologue, les sédimentations du passé, là où l’homme demeure identique à lui même, dans sa soif de pouvoir, de sang, de conquête. »
Le roi de l’opium et autres enquêtes en Asie du sud-est de William T. Vollmann. Tristam, 2011. 394 pages.
Par OLIVIER JEANDEL, Librairie Carnets d’Asie, Alliance française de Bangkok