La ténacité de Sam Rainsy, opposant en chef à l’actuel gouvernement du Cambodge, vaut aussi en matière de Covid 19. L’intéressé complète ici une analyse déjà donnée dans les colonnes de Gavroche. Un article fort documenté, à lire avec attention pour nourrir le débat.
Une contribution de Sam Rainsy
Dans mon article dans Gavroche paru le 13 mai dernier et intitulé “Pourquoi la péninsule indochinoise est-elle épargnée par le Covid-19?”, j’ai présenté les cas de cinq pays de l’Asie du Sud-Est (Cambodge, Laos, Vietnam, Thaïlande, Birmanie) pour les comparer à ceux des 5 pays occidentaux les plus durement touchés par le coronavirus (France, Italie, Espagne, Royaume-Uni, États-Unis).
J’avais noté quatre facteurs qui pourraient expliquer pourquoi les 5 pays de la péninsule indochinoise paraissent relativement bien protégés de la pandémie du COVID-19: un facteur climatique lié à la température, un facteur économique et démographique lié au mode de vie et à la pyramide des âges, un facteur immunitaire lié au paludisme et un facteur génétique lié à l’hémoglobine E.
Je voudrais maintenant étendre mes comparaisons à l’Inde puis à l’Afrique pour essayer de valider plus en avant mes hypothèses.
L’Inde
Comme la péninsule indochinoise, l’Inde est relativement épargnée par le COVID-19. Au 15 mai le pays compte officiellement 2753 décès pour une population de 1.378 millions d’habitants, soit 2 décès par million, à comparer avec les 345 en moyenne pour les 5 grands pays occidentaux les plus durement frappés par le COVID-19.
Je ne m’étendrai sur les deux premières hypothèses pouvant expliquer la clémence du COVID-19 en Inde comme dans la péninsule indochinoise, à savoir le facteur climatique et le facteur économique et démographique, car ces deux facteurs semblent déjà largement reconnus et acceptés.
En revanche, je voudrais vérifier la pertinence de ma troisième hypothèse ayant trait au facteur immunologique lié au paludisme.
On constate d’abord que la moyenne indienne de 2 décès par million d’habitants recouvre en fait de fortes disparités entre les différents régions et états du sous-continent. On voit que les régions et états où le paludisme sévit d’une manière endémique, c’est-à-dire le Centre-Est et le Nord-Est, sont très peu touchés par le COVID-19, avec moins de 0,5 mort par million d’habitants, tandis que d’autres régions et états qui ne connaissent pas le paludisme sont plus affectés par le coronavirus. C’est notamment le cas du Maharashtra (tache la plus foncée sur la carte) au Centre-Ouest qui a enregistré 9 décès par million d’habitants.
L’Afrique
La même remarque peut être faite pour le continent africain qui, lui aussi, semble relativement épargné par le COVID-19 avec 2 décès par million d’habitants, soit le même taux de mortalité qu’en Inde. Mais ce taux varie considérablement d’une région à l’autre: le Nord et le Sud de l’Afrique qui sont loin des zones impaludées sont plus durement touchés par le COVID-19 que la partie centrale du continent où la prévalence du paludisme semble protéger les populations du coronavirus (voir carte ci-dessous).
Un cas des plus intéressants concerne le Soudan et le Soudan du Sud. Jusqu’en 2011 ces deux pays ne formaient qu’une seule entité. Après leur séparation, leur frontière actuelle correspond pratiquement à la limite d’une zone de paludisme. Jusqu’au 14 mai, le Soudan du Sud qui se trouve en zone impaludée n’avait enregistré aucun décès du COVID-19 alors que le Soudan qui se trouve à l’abri du paludisme comptait déjà une centaine de morts.
Hémoglobine E
Une région particulière de l’Inde m’offre la possibilité de vérifier la quatrième hypothèse que j’ai évoquée pour tenter d’expliquer pourquoi la péninsule indochinoise semble épargnée par le COVID-19: il s’agit du facteur génétique lié à l’hémoglobine E présente dans le sang des populations de cette région. J’ai évoqué l’hypothèse que cette hémoglobine E pourrait protéger les populations porteuses aussi bien du paludisme que du COVID-19. Or les populations du Nord-Est de l’Inde attenant à la Birmanie présentent aussi cette caractéristique sanguine. Il faut souligner que la présence de cette l’hémoglobine E est considérée en Inde comme une maladie du sang car elle est très rare dans le reste du pays (1).
Il n’empêche que les 7 petits états du Nord-Est de l’Inde présentent – à cause probablement de leurs liens historiques, géographiques et ethniques avec la Birmanie voisine – l’ensemble des 4 caractéristiques épidémiologiques relevées dans la péninsule indochinoise pour ce qui concerne le COVID-19. Rien d’étonnant alors à ce que les deux régions – péninsule indochinoise et Nord-Est indien – enregistrent les taux de mortalité les plus faibles du monde, à vrai dire pratiquement nuls, de l’ordre de 0,1 à 0,2 décès par million d’habitants.
Sous-évaluation
On peut avancer que des chiffres de mortalité aussi faibles pour la péninsule indochinoise et le Nord-Est de l’Inde peuvent être dus à une sous-évaluation des cas fatals dans les statistiques officielles des pays concernés parce que bon nombre de décès liés au COVID-19 n’auraient pas été enregistrés. Cela peut être vrai dans une certaine mesure mais cela ne remet pas en cause cette réalité que le COVID-19 n’a touché que très légèrement les deux régions examinées, et cela pour des raisons précises. Si la pandémie avait causé des morts en beaucoup plus grand nombre, cela ne serait pas passé inaperçu s’agissant de pays ou états ayant des organisations politiques et sociales très différentes. Il serait difficile de cacher ou falsifier la réalité d’une manière aussi uniforme.
Conclusion
Les questions que je me pose pour essayer de comprendre la résistance au COVID-19 de certaines régions du monde – notamment mes interrogations concernant les facteurs immunologique et génétique – ne découlent que de simples observations. Mais la réponse qui sera un jour apportée à ces questions permettra de savoir si la résistance au paludisme renforce bien la résistance au COVID-19 et si l’hémoglobine E confère bien une protection contre les deux maladies. J’espère que ces questions susciteront des recherches qui permettront de mieux comprendre le coronavirus et de contribuer à la mise au point d’un traitement et d’un vaccin contre le COVID-19.
Sam Rainsy
(1) Hemoglobin E disease in North Indian population : source ici