La civilisation chinoise se développe à l’origine dans la plaine de Chine du Nord, à l’écart des autres centres de civilisation. Les Han entament vers 1000 avant JC une longue marche vers le Sud qui les conduit en Chine méridionale près de deux mille ans plus tard, dans des régions – Yunnan, Fujian et Guangdong – habitées alors par des peuples proches de nombreux groupes d’Asie du Sud-Est continentale qui sont soumis progressivement. Cette colonisation laissera des marques : organisations claniques d’entraide mutuelle ancêtres des triades et morcellement culturel et religieux.
Le commerce maritime entre la Chine et l’Asie du Sud-Est commence sous la dynastie Song, entre le Xe et le XIIIe siècle. Aux marchands se joint une diaspora de réfugiés chinois fuyant les bandits, la piraterie et les guerres.
Les régions limitrophes de la Chine sont alors constituées de petits royaumes de tradition hindouiste et brahmanique, peu peuplés, notamment môn et khmers, avec lesquels l’Empire du Milieu entretient des relations de bon voisinage, commerciales et diplomatiques. Des réseaux de marchands chinois s’établissent dans les marchés et les ports du golfe de Siam.
Quelques tribus thaïes venant de Chine méridionale s’installent au XIIIe siècle dans le bassin du Chao Phraya. Ils établissent de petites principautés, profitant de conditions climatiques favorables permettant une croissance démographique importante et un développement de l’agriculture. Exploitant la pression politique et militaire chinoise sur Angkor, les Thaïs développent ensuite des royaumes plus larges aux dépends des Môns et des Khmers. Sukhothai naît en 1238, Ayutthaya un siècle plus tard.
La dynastie Ming qui chasse les Mongols en 1368 est un âge d’or pour la Chine. Zhang He, un musulman du Yunnan, mène au début du XVe siècle sept expéditions pour le compte de l’Empereur. L’explorateur est à la tête d’une armada de jonques, cinq fois plus grandes que celles de Christophe Colomb. Il reviendra du Siam impressionné par ces femmes qui font du commerce et n’hésitent pas à séduire les marins chinois pour favoriser leurs affaires.
Les Chinois s’établissent à Ayutthaya et dans d’autres ports du golfe de Siam, tels Ligor ou Patani, où leur population dépasse souvent celle des natifs. Le commerce entre les deux pays est marqué par le tribut offert à l’Empereur par le Siam en signe de soumission.
Aux XVIe et XVIIe siècles, ce sont les Européens qui arrivent au Siam : Espagnols et Portugais d’abord, puis Hollandais et Anglais. Ces derniers, débarquant en 1620 dans le sud du pays, découvrent qu’ils doivent traiter avec une communauté de marchands hokkiens déjà bien implantée.
Les femmes chinoises ne quittant alors jamais le sol natal, les immigrants fondent souvent une famille avec une Siamoise. Leurs descendants, les « lukchins » (enfants de la Chine, en thaïlandais) sont rapidement assimilés.
Bientôt, des troubles secouent l’Empire : les Mandchous conquièrent Pékin en 1644, fondant la dynastie Qing. Les partisans des Ming déchus établissent une opposition forte dans le Fujian et le Guangdong, réprimée violemment. Les méridionaux n’ont plus le droit d’habiter la bande côtière, le commerce privé est interdit ainsi que les voyages à l’étranger. Beaucoup fuient le pays et se réfugient en Asie du Sud-Est. Au Siam, les migrants hokkiens s’établissent surtout au sud alors que les Teochius préfèrent Trat et Chantabun.
Les Français sont accueillis à bras ouverts par le roi Narai. L’aventurier grec Constantin Paulkhon, devenu Premier ministre, favorise leur influence. Mais si les jésuites rêvent secrètement de convertir le roi au catholicisme – tentative qui se solde par un échec. Les Français n’ont pas la puissance commerciale de la VOC (Compagnie néerlandaise des Indes orientales) et ne concurrencent pas non plus les Chinois, bien établis en tant qu’intermédiaires. Simon de La Loubère, l’ambassadeur de Louis XIV à Ayutthaya, écrit dans ses mémoires qu’il y a de 3000 à 4000 Chinois au Siam. À la mort de Narai en 1688, le roi Phetracha fait expulser les Occidentaux et le pays se ferme à leur influence pour plus d’un siècle. Les Chinois sont les grands gagnants de la disgrâce européenne.
Dominant le commerce extérieur siamois, les Hokkiens installés à Ayutthaya fréquentent volontiers princes et grands officiers et l’élite chinoise occupe souvent de hautes positions dans la noblesse siamoise, au risque de déstabiliser le système classique des obligations héréditaires. La population chinoise dans le pays est estimée à 10 000 personnes.
Les Siamois ont jusqu’au milieu du XVIIIe siècle une conception de la guerre bien particulière : les combats sont des démonstrations de force où les adversaires se jaugent respectivement et à l’issue desquelles les pertes ne sont généralement pas très élevées. Les Birmans remettent en cause ces pratiques traditionnelles et à partir de 1760 se livrent à une longue série d’attaques destructrices, qui entraîneront la destruction d’Ayutthaya et au massacre de ses habitants chinois.
Le chef d’armée Taksin – dont le père était un immigré chinois et la mère siamoise – réussit à chasser les Birmans et devient roi en 1768, établissant la nouvelle capitale à Thonburi. Une enclave commerciale chinoise se développe rapidement sur la rive gauche du Chao Phraya, en face de la nouvelle capitale. Contrairement à Ayutthaya où le commerce était dominé par les Hokkiens, originaires du sud de la province du Fujiang, celui-ci est désormais principalement aux mains des Teochiu, originaires de la région nord du Guangdong.
Lorsque Taksin sera renversé en 1782, la capitale sera déplacée à Bangkok, et le nouveau palais royal construit à l’emplacement de la colonie chinoise existante, entraînant le déplacement de cette population dans ce qui deviendrait Sampeng.
Bruno Édouard Perrin
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