Hanoï est sans conteste la cité la plus envoûtante de toute la péninsule indochinoise, nouvelle escapade dans nos archives avec ce reportage de Frédéric Amat. Hanoï résonne comme un mythe, et son évocation fait apparaître, pour beaucoup, Catherine Deneuve au balcon d’une maison coloniale. Hanoï ne se visite pas. La ville se vit, sous une pluie battante ou écrasé d’une accablante chaleur à la terrasse d’un café, dégustant une glace au bord du Petit Lac du centre. Hanoï se savoure à toute heure du jour et de la nuit.
Depuis l’aéroport de Noi Bai, une bonne heure est nécessaire pour rejoindre Hanoï. Et comme dirait la chanson, dès l’aérogare, le choc se fait sentir. Le trajet offre alors un panorama à couper le souffle, spécialement le soir, à cette heure précise ou les chiens croisent les loups. Au-dessus de cette campagne à perte de vue, flotte alors des flocons de brumes épars, comme autant de cheveux d’anges enveloppant ces villages aux maisons de briques rouges perchés sur des rizières gorgées d’eau, séparées entre elles par de minuscules diguettes. Des milliers de personnes, à vélo ou moto, parfois chargées comme des trente-huit tonnes, encombrent cette autoroute qui ne semble faite que pour les deux roues. Depuis plusieurs années, de nombreuses usines ont ouvert leurs portes dans cette immense campagne. Énormes blocs de tôles ondulées remplaçant quelques hectares de rizières, les représentants d’une mondialisation galopante contrastent avec la vision d’un Vietnam éternel. Suzuki, Yamaha, Mercedez et autres ont ainsi imprimé de leur logo l’entrée dans le troisième millénaire d’un pays qui avait pourtant passé la plupart de son temps à bouter hors de ses frontières les impérialistes de toutes sortes. Le capitalisme est sorti avec pertes et fracas par la porte. Il revient désormais, en silence, par la fenêtre.
Au fur et à mesure que l’on se rapproche de la capitale, l’autoroute laisse place à des routes cabossée et la circulation se fait plus dense. Les rues s’encombrent de centaines, de milliers de véhicules qui se croisent, se doublent et se mélangent dans un concert d’avertisseurs sonores. La vie est partout présente. Elle grouille, sort d’une échoppe pour entrer dans une autre. Pas un coin de trottoir n’est libre. Le moindre espace est encombré d’un petit négoce. Cigarettes à l’unité, essence à la bouteille, fruits et légumes, chaussures d’occasion, tout se vend, à toute heure. Tout se répare aussi, à commencer par les moteurs et les chambres à air. Les maisons, soit minuscules soit démesurément hautes en rapport avec leur largeur, sont toutes collées les unes aux autres. Murs à la chaux ou peints de couleurs vives, et toits de tuiles sombres.
Sorte de labyrinthe, dédale sans fin, serpent enroulé sur lui-même, l’entrée dans Hanoï semble ne jamais finir. Puis la voiture s’engage enfin sur une large avenue. Elle longe le mythique fleuve rouge. Hanoï s’effiloche en fait en boulevards, avenues, rues et ruelles et surtout lacs, sur les bords desquels se dressent des vestiges colorés, attestant la présence de plusieurs occupants. D’abord les Chinois qui y ont laissé d’innombrables traces de leurs passages successifs au millénaire dernier. Puis les Français, qui ont occupé les lieux durant près de cent ans. Ainsi la ville fourmille d’une architecture incomparable.
Sous le pont Paul Doumer, fabuleux fatras de tôles et de boulons, qui enjambe le fleuve, se niche un autre marché, aux légumes celui-ci. La voiture prend à droite dans une minuscule ruelle pour déboucher sur un autre marché: stands de jouets, de montres, de vêtements et de sucres d’orge colorés. La voiture est entourée de dizaines de motos qui se forcent un passage. Des enfants emmitouflés dans de grosses doudounes contemplent les sucreries.
Enfin, le petit lac Hoa Kiem apparaît, et au nord de ce dernier, le quartier colonial, centre de vie et haut lieu touristique. C’est le quartier des trente-six rues, des mille métiers, le cœur de Hanoï qui bat vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Chaque rue est unique, ombragée, encombrée et éclairée de mille lanternes le soir venu.
Les rues portent le nom de la profession qui, jadis ou encore, était ou est pratiquée dans les échoppes qui les jalonnent. Ainsi, la rue de la médecine, celle des bijoux, des poulets, des coiffeurs, des laques et même celle des cercueils. Une même rue peut, après deux ou trois pâtés de maisons, changer subitement de nom si la corporation n’est plus la même. Un cauchemar pour le visiteur qui tente de se repérer. Un conseil, perdez-vous, à pied ou à vélo, dans les trente-six rues. Marchez au gré de votre humeur sans chercher votre chemin. Quoi qu’il arrive, celui-ci débouchera sur le lac, devant les hauts murs de l’ancienne citadelle qui borde le quartier, ou bien face à la digue-route qui longe le fleuve. Et si la fatigue vous attrape au détour d’une ruelle, hélez donc un cyclo-pousse et laissez-vous conduire…
Le petit lac Hoa Kiem n’est pas le centre géographique de Hanoï, mais il en est indubitablement son âme. La légende veut qu’au XVème siècle, une tortue géante sortit du lac pour présenter à l’empereur Le Loi une épée magique. Celle-ci lui permis de vaincre l’ennemi chinois. Pour respecter le pacte que l’empereur avait fait avec la tortue, lorsqu’il revînt victorieux de cette campagne, il rendit l’épée à la tortue. Ainsi fût nommé le lac, Hoa Kiem, ou le lac de l’épée restituée. Il ne faut pas plus de quarante cinq minutes pour en faire le tour, sous les branches des immenses arbres qui le bordent. Tôt le matin, les citadins sont occupés à faire leurs exercices de Tai Chi, leur jogging ou jouer au Badminton. Dans la journée, les abords du lac appartiennent aux touristes, ainsi qu’aux fonctionnaires des divers bureaux de l’administration située dans le quartier, tel l’imposant bureau de poste. On y trouve également une myriade d’enfants: petites vendeuses de cartes postales, de livres et de plans de la ville ; petits cireurs de chaussures ; sans oublier les photographes et portraitistes publics. Le soir, le lac est le refuge des amoureux qui, deux par deux, roucoulent sur les bancs.
Un petit pont de bois permet d’accéder depuis la berge à la pagode Ngoc Son, sur une petite île à la pointe nord du lac. La plus ancienne structure du complexe date de 1225, même si tout ce qui est aujourd’hui donné à voir a été construit ou reconstruit au 19ème siècle. En plus des deux superbes sanctuaires confucianistes, une énorme tortue empaillée (qui n’a certainement jamais mis ses nageoires dans ce lac…) trône derrière une vitrine. L’endroit invite à la rêverie. On y rencontre des personnes âgées occupées à prier, des jeunes mariés qui se font photographier sur le pont, avec la pagode de la tortue en arrière-plan, et des pêcheurs dissimulés dans les palétuviers. Dans tout ce quartier, des bâtisses coloniales sublimes sont autant de visites: le célèbre opéra, quelques églises, l’hôtel Sofitel Métropole, etc…
A un jet de pierres de là, se trouve le théâtre de marionnettes sur l’eau. A ne rater sous aucun prétexte. Des scènes du Vietnam antique sont présentées par des poupées de laques colorées, accompagnées de musique traditionnelle. Ne pas assister à une représentation serait comme aller à Paris et oublier de monter sur la tour Eiffel.
Ville à taille humaine
Hanoï est très compacte et les centres d’intérêt ne sont jamais très éloignés les uns des autres. Quelques journées seulement suffisent ainsi à la visite complète de cette capitale.
Le mausolée d’Hô-Chi-Minh, non loin du vieux quartier, est certainement le site le plus visité, avant tout par les touristes vietnamiens. Il est préférable de s’y rendre tôt le matin. Le mausolée n’est ouvert que quelques heures par jour mais, hormis pour ceux qui désirent prendre leur place dans la queue afin d’entr’apercevoir le cercueil de l’Oncle Ho, on peut se rendre sur l’immense esplanade à n’importe quelle heure.
Cet imposant sanctuaire a été érigé sur le square Ba Dinh, la place où le père de la nation lut, devant plus d’un demi million de personnes, la déclaration d’indépendance de la République du Vietnam en 1945, à la suite de la défaite japonaise.
Non loin de là, se trouve l’ancien Palais du gouverneur, du temps de la colonisation. Cette bâtisse jaune est située dans un parc superbe face au square de Ba Dinh. Elle contraste avec la petite maison d’Hô-Chi-Minh, au confort sommaire. Cette maison de teck, sur pilotis, entourée d’une végétation luxuriante, fait face à un petit lac. A l’intérieur, se trouvent des objets ayant appartenu au révolutionnaire qui vécu et travailla ici de 1958 à 1969.
La pagode au pilier unique se trouve à seulement 50 mètres de là. Cette œuvre architecturale originale a été bâtie par l’empereur Ly Thai To, qui en aurait été inspiré dans un songe.
En 1990, s’ouvrit le musée d’Hô-Chi-Minh qui est certainement l’ouvrage d’architecture contemporain le plus abouti du Vietnam. Mais rien ne vaut un détour par le musée des minorités, situé dans un parc, un peu à l’écart du centre.
Enfin, autre site emblématique à ne pas rater, le temple de la littérature, le Van Mieu, qui abrite l’université nationale. Ils est l’un des joyaux de la ville. Bien que situé au carrefour d’avenues aussi bruyantes qu’encombrées, le temple est un havre de paix bordé de frangipaniers centenaires et de bassins fleuris de lotus. Sa construction remonte à 1076 et était jadis le centre le plus prestigieux du royaume, où les enfants d’aristocrates et de mandarins allaient parfaire leur savoir. Le temple est dédié à Confucius et les noms de milliers d’étudiants diplômés sont gravés sur des dizaines de stèles que portent sur leur carapace autant de tortues de pierre.
Hanoï, porte d’entrée du Vietnam du nord, a encore beaucoup à offrir au visiteur curieux. C’est, en outre, le point de départ d’excursions qui peuvent se faire à la journée. Les environs de la ville recèlent encore mille et un trésors.
A voir ou à revoir.
Frédéric Amat