Gavroche aime l’histoire et les personnages qui la font et défont. Francis Engelmann, basé à Luang Prabang, est l’un des plus fins connaisseurs de l’histoire du Laos. Il nous dresse ici un portrait-hommage de la Princesse Kham-Chanh Parisot-Phetsarat – la princesse Tiane – née à Vientiane (Laos) le 6 février 1919, est décédée le 29 décembre 2019 à Cannes, sur la Côte d’Azur où elle résidait depuis longtemps. Élégante et discrète, elle était une figure représentative d’une époque aujourd’hui lointaine, celle du Protectorat du Royaume de Luang Prabang, où laotiens et français se côtoyaient dans la vie quotidienne et à l’école, se respectaient et s’aimaient souvent.
Un portrait de Francis Engelmann
Ceux qui l’ont connue disent de la Princesse Kham-Chanh Parisot-Phetsarat que sa beauté, son intelligence, son humour, sa personnalité anti-conventionnelle et courageuse, la rendaient particulièrement attachante. Élégante et discrète, elle était une figure représentative d’une époque aujourd’hui lointaine, celle du Protectorat du Royaume de Luang Prabang, où laotiens et français se côtoyaient dans la vie quotidienne et à l’école, se respectaient et s’aimaient souvent.
Une époque aussi où la volonté d’indépendance les opposait parfois durement. Éloignée de son pays natal pendant une grande partie de sa vie, elle a assisté à la fin de l’époque coloniale, aux déchirements de la guerre, à la disparition de la monarchie et à l’établissement de la République Populaire Démocratique Lao. A travers ses enfants et ses petits enfants, tous très liés au Laos à des titres divers, elle restait proche de la vie culturelle, intellectuelle et politique de son pays natal.
Kham-Chanh Parisot-Phetsarat appartenait à cette cohorte de femmes de l’aristocratie luangprabanaise, d’apparence fragile, effacées mais fortes, assurant le parfait fonctionnement des palais, parfois inspiratrices de complots, plus souvent ballotées ou brisées au gré des intrigues et des rivalités de clans, acceptant avec dignité les frasques des princes, tissant à travers les alliances l’avenir de leur descendance et la solidité des dynasties familiales. La plupart restèrent discrètement dans l’ombre, quelques-unes s’engagèrent avec cœur dans l’éducation ou la religion. Certaines comme la princesse Tiane, au risque des jalousies et des calomnies, s’échappèrent presque complètement de ces servitudes.
Selon les usages de l’époque, son nom était transcrit Tiane, et rarement Chanh qui est aujourd’hui plus correct. L’addition du préfixe Kham était un usage aristocratique. La princesse Tiane était la fille du prince Phetsarath (1890-1959) et de la princesse Khamvène (1883-1972). Son père le prince Phetsarath, vice-roi (Maha Oupahat), grande figure politique, père de l’indépendance du Laos et patriote intransigeant, n’était pas un homme facile. Eduqué en France où il fut accueilli par Auguste Pavie (1847-1925) lui-même à Paris, le prince Phetsarath était à la fois admirateur de la culture française et un opposant intraitable à la tutelle française sur le Laos.
Travailleur acharné, hautement conscient de sa valeur et de son destin exceptionnel, il était peu sensible aux états d’âme de ses enfants. Sa mère la princesse Khamvène, n’était plus toute jeune à la naissance de sa fille. C’était une femme sévère, traditionaliste et fière de son origine royale. L’enfance de la princesse Tiane, à Vientiane où ses responsabilités politiques appelaient son père, et en partie à Luang Prabang, fut simple et digne. Elle fut envoyée étudier au collège à Hanoï comme il était d’usage dans l’aristocratie. Elle se destinait à devenir professeur de français et d’éducation physique. Princesse discrète, on ne lui connait quasiment pas de responsabilités officielles. Elle fut associée au lancement du journal féminin «Nang» ( Le magazine féminin Nang fut fondé en 1972 par un groupe de 12 femmes modernes, et disparut en 1975. Parmi elles se trouvait Mme Dara Kalaya, fille du grand intellectuel Mahâ Sila Viravongs (1905-1987) qui fut secrétaire du prince Phetsarath) alors qu’elle était déjà veuve. Elle fut aussi présidente de la Croix-Rouge Lao de 1972 à 1975. Cette responsabilité n’était probablement pas purement honorifique, car pendant la guerre civile, la Croix Rouge joua un rôle très actif dans le secours aux blessés et aux réfugiés affluant des zones de combat.
Un mariage français
Elle se maria à vingt ans, en 1939, avec un administrateur français, Hippolyte Bastier (1909-1941), ancien élève de l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer. Se marier avec un étranger dans cette aristocratie confinée et très endogame, où les mariages étaient arrangés par les familles, témoignait alors d’une indépendance certaine. Ce mariage déplut à sa mère, qui était opposée à la venue d’un étranger dans la famille. Le jeune ménage vécut d’abord à Thakhek, puis à Paksé où se trouvait une école d’officiers. Hippolyte Bastier trouva la mort au début de la seconde guerre mondiale, en 1941 à la tête d’un régiment de tirailleurs annamites (c’est en juin 1941, que fut créé la 2e compagnie du I/10e RMIC (Régiment Mixte d’Infanterie Coloniale) avec des chasseurs laotiens. Dans l’armée, comme dans le reste de l’administration, les autorités coloniales françaises avaient privilégié le recrutement de vietnamiens, annamites, selon la terminologie de l’époque. L’Armée Nationale Lao ne fut créée qu’en 1948), au cours d’une opération militaire à Vang Tao, dans la province de Champassak, près de la frontière thaïlandaise. Cet épisode militaire fait partie de la guerre franco-siamoise (1940-1941) à l’issue de laquelle le Laos perdit les provinces de Champassak et de Sayaboury. Ces territoires annexés par la Thaïlande furent finalement restitués en 1947.
Thiane et son époux eurent deux filles Marie-Thérèse-Nali et Anne-Marie-Geneviève-Manivanh. L’aînée, Anne-Marie Bastier, épousa en 1958 un officier de marine et intellectuel français Pierre-Marie Gagneux (1927-1996) qui réalisa de nombreuses études sur l’art et l’archéologie du Laos. Le prince Phetsarath était une personnalité impressionnante, régissant son clan familial, au point que c’est en tremblant que l’officier français, en grande tenue d’officier de marine, vint demander la main de sa petite fille en 1958. Un an plus tôt, P-M Gagneux avait participé en tant que lieutenant de vaisseau à l’accueil du prince Phetsarath de retour de son exil en Thaïlande. C’est ainsi qu’il avait fait connaissance d’Anne-Marie Bastier, petite fille du prince.
Remariage en 1948
Veuve, la princesse Tiane se remaria après la guerre, en 1948 à Paris, avec Jean-Paul Parisot (1901-1958), administrateur des services civils de l’Indochine qui avait été préfet de la région Saïgon-Cholon. Elle accompagna son époux lors de plusieurs séjours en Afrique de 1950 à 1955, puis à Vientiane de 1956 à 1958. Elle s’installa ensuite à Nice. De leur union naquit un fils Jean-Henri François-Sourya Parisot (1950-2002), familièrement appelé par ses proches Jean-Sou. Pilote d’hélicoptère, il hérita de ses ancêtres panache et goût pour les arts. On lui doit le paysagement des jardins de l’hôtel Phouvao à Luang Prabang. Bien après la mort de son mari en 1958 et de son père en 1959, la princesse Tiane revint de Nice à Luang Prabang en 1971, dans les années difficiles de guerre civile qui précédèrent la révolution de 1975. C’est sur un terrain dont elle avait hérité de son père, que le prince Souvanna Phouma (1901-1984) son oncle, créa avec un architecte français, une résidence pour ses séjours à Luang Prabang. Le prince Souvanna Phouma était en effet non seulement un homme politique de premier plan, mais aussi ancien élève de l’Ecole Nationale des Travaux Publics de Paris. La résidence est devenue aujourd’hui l’hôtel Maison Souvannaphoum. Le prince Souvanna Phouma, séparé de son épouse la princesse Aline (1913-1977) partie en France en 1969, fut heureux du soutien que la princesse Tiane, sa nièce, lui apporta dans la gestion de ses affaires personnelles et de la maison de Luang Prabang.
Francis Engelmann Luang Prabang, Mai 2020