Mgr Yves Ramousse, vicaire apostolique de Phnom Penh (1962 – 1976 ; 1992 – 2001) et évêque titulaire de Pisita, est décédé le 26 février alors qu’il venait de célébrer son 93e anniversaire (le 23 février) et sa 58e année d’épiscopat (le 24 février).
Nous diffusons ici l’hommage des Missions Étrangères de Paris
Yves Ramousse était né le 23 février 1928 à Sembadel (Haute-Loire – France), commune du diocèse du Puy. Fils de Jacques Ramousse, employé du chemin de fer, et de Julie Carlet, il est le dernier d’une fratrie de trois. Entré au petit séminaire de La Chartreuse à Brives-Charensac en 1942, il poursuit ses études au grand séminaire en 1947 au titre des Missions Étrangères de Paris (MEP). Ordonné prêtre le 4 avril 1953, il achève ses études à Rome et soutient une thèse consacrée à La grande catéchèse de saint Grégoire de Nysse (1957). Il part pour le Cambodge le 18 mars 1957.
Professeur au grand séminaire de Saïgon
À son arrivée, il étudie le khmer et le vietnamien à Banam puis sur la paroisse Saint-Pierre-et-Saint-Paul (Xom Bien) de Phnom Penh. En 1960, il est nommé professeur au grand séminaire de Saïgon avant de rejoindre le petit séminaire de Phnom Penh l’année suivante. Enfin, il est brièvement envoyé à Bièvres, au Séminaire des Missions Étrangères de Paris, pour y enseigner en 1962.
Nommé vicaire apostolique de Phnom Penh à seulement 35 ans, il reçoit le siège titulaire de Pisita le 12 novembre 1962. Il est sacré vicaire apostolique de Phnom Penh le 24 février 1963 par Mgr Raballand dans la chapelle du séminaire des Missions Étrangères.
Jeune évêque conciliaire en 1962
Il participe aux 2e, 3e et 4e sessions du concile Vatican II. Il fait partie des 12 pères conciliaires qui ont pu participer au 50e anniversaire du concile Vatican II organisé par le pape Benoît XVI à Rome, le 22 octobre 2012 au cours du Synode des évêques pour la Nouvelle Évangélisation.
Au concile Vatican II, il rencontre les deux évêques du Laos, Mgr Arnaud (MEP) et Mgr Loosdregt (OMI). Également en 1968, il fonde la Conférence épiscopale du Laos et du Cambodge (CELAC), qui se réunira jusqu’en 1974 au Laos et au Cambodge, elle sera suspendue pendant la période Khmer Rouge et cela jusqu’en 1992.
Le jeune évêque, de retour du concile Vatican II, est plein d’enthousiasme et s’emploie tout d’abord à dresser un état des lieux de la mission au Cambodge. Il invite le chanoine Boulard, sociologue, afin de déterminer les enjeux de la pastorale au Cambodge. Ce dernier met en évidence le décalage entre une Église rurale et essentiellement tournée vers des minorités, et un pays en pleine urbanisation et menant une politique nationaliste. Mgr Ramousse impose alors des mesures exceptionnelles dans l’esprit de la nouvelle constitution liturgique Sacrosanctum Concilium, en demandant aux prêtres de célébrer en langue vernaculaire. Cette mesure prend véritablement sens lorsque, rompant avec la tradition présente depuis l’épiscopat de Mgr Miche, il remplace l’étude du vietnamien par le khmer pour les nouveaux arrivants (1966). Outre l’ordinaire de la messe, plusieurs écrits chrétiens voient le jour en cambodgien. Les travaux de traduction de la Bible commencent à cette époque.
Les évêques de la CELAC décident aussi d’ouvrir l’Église à la connaissance du bouddhisme. Des sessions furent organisées pour les prêtres, les religieux et les laïcs, permettant un regard nouveau des missionnaires sur l’environnement non-chrétien de leur apostolat.
Une vie marquée par le guerre au Cambodge
L’ordination de plusieurs prêtres khmers au cours des années 1950-1960 conduit Mgr Ramousse à leur transmettre progressivement la charge de gouvernement pastoral. Dans cette optique, il obtient de Rome la division du vicariat apostolique de Phnom Penh en trois circonscriptions : le 26 septembre 1968 sont créées les préfectures apostoliques de Battambang et de Kampong Cham. Le Cambodgien Paul Tep Im est nommé à la tête de l’Église de Battambang, et André Lesouëf (MEP) à Kampong Cham. Mais le peu de vocations sacerdotales khmères ne permet pas encore une transmission définitive de l’autorité ecclésiastique aux prêtres autochtones.
Mgr Ramousse décide de la fondation d’un grand séminaire sur la presqu’île de Chrouy Changvar, en face de Phnom Penh. Les tensions avec le Sud-Vietnam, ainsi que les nouvelles visées pastorales de l’Église cambodgienne, ont conduit l’évêque à cette création. Il nomme de jeunes professeurs pro-khmers, Vincent Rollin et Emile Destombes, puis envoie tous les séminaristes en milieu cambodgien durant l’année 1968-1969 afin de répondre aux directives de la Conférence épiscopale Laos-Cambodge. Mais la brusque dégradation de la situation politique du pays en 1970 ne permet pas la réouverture de l’établissement.
Lors de l’éclatement de la guerre civile, les Vietnamiens quittent le Cambodge en mars 1970. La communauté chrétienne passe alors de plus de 65 000 fidèles à seulement 7 000, et de 185 religieuses à quelques sœurs qui sont restées au Cambodge et qui, pour la plupart, y trouveront la mort durant les années noires du régime de Pol Pot. Par ailleurs, la guerre civile qui éclate paralyse l’activité missionnaire. Mgr Ramousse refuse l’aide du Catholic Relief Service américain afin de ne pas paraître comme une ONG, mais aussi pour ne pas prendre parti pour un des deux camps.
Offensive finale
Le déclenchement de l’offensive finale des Khmers Rouges sur Phnom Penh le 1er janvier 1975 contraint les missionnaires à prendre des mesures pour assurer l’avenir de l’Église au Cambodge. Mgr Ramousse invite les missionnaires restant encore au Cambodge à faire le choix du départ par les derniers avions sanitaires ou de rester. Lui-même prendra la décision de rester comme les pères Robert Venet, Émile Destombes et François Ponchaud.
« L’exil, c’est le déni de l’envoi en mission »
Début février 1975, il rappelle le père Joseph Chhmar Salas, en année sabbatique en France, et reçoit la permission de Rome de l’ordonner évêque coadjuteur du vicariat apostolique de Phnom Penh afin que les chrétiens ne restent pas sans évêque, sachant que le sort des missionnaires étrangers était soit la mort, soit l’expulsion.
Le lundi 14 avril 1975, il le consacre dans la paroisse cambodgienne de Notre-Dame, assisté seulement de Mgr Lesouëf, sous les tirs de roquettes dans l’église pendant la cérémonie.
Le 15 avril, le nouvel évêque rassemble les quelques prêtres restés et les prêtres cambodgiens (son frère, le père Salem et le père Chomroeun) à l’évêché. C’est le moment de la séparation avant l’entrée imminente des forces khmères rouges dans la ville de Phnom Penh (17 avril 1975) : « Parlez de nous au monde », leur dira-t-il comme ultime message.
Tous les étrangers sont alors rassemblés à l’Ambassade de France, et cinq semaines après, l’ensemble des prêtres français est expulsé du Cambodge par les Khmers rouges vers la Thaïlande. Mgr Ramousse quitte son peuple bien-aimé le cœur brisé.
Quelques années plus tard, Mgr Ramousse témoigne auprès de ses confrères : « L’exil, c’est le déni de l’envoi en mission. Nous sommes rejetés comme quelque chose d’inutile. Alors, on se trouve devant un vide. Beaucoup de missionnaires sont tombés en dépression parce qu’ils n’ont jamais pu combler ce vide. »
En Indonésie
Un an après son expulsion, Mgr Yves Ramousse démissionne de sa charge de vicaire apostolique. Il décide de partir en Indonésie pour demeurer proche du Cambodge, et prend en charge les nombreux réfugiés qui débarquent sur les côtes du pays. Soucieux de la diaspora cambodgienne, il alerte le Vatican sur le devenir des chrétiens khmers. Le 6 janvier 1983, la Congrégation pour l’évangélisation des peuples créé le Bureau pour la promotion de l’apostolat auprès des Cambodgiens et lui en confie la responsabilité. Mgr Lesouëf l’assiste dans cette mission. Il s’agit pour eux d’aider les baptisés réfugiés à l’étranger à entrer en contact avec les paroisses et les diocèses. Le but est ici de créer des aumôneries dans le cadre de la pastorale des Migrants.
Avec l’effondrement du bloc communiste et le retrait de l’armée vietnamienne (1989) s’ouvre une nouvelle ère pour le Cambodge. Les accords de Paris de 1991 conduisent à la fin de la guerre civile, et la mise en place d’une nouvelle Constitution (24 septembre 1993) permet la restauration du roi Sihanouk.
Retour au Cambodge
En 1989, Mgr Ramousse se rend au Cambodge grâce au Comité catholique contre la faim et pour le développement. La situation de l’Église est désastreuse. La plupart des sanctuaires ont été détruits, à l’image de la cathédrale de Phnom Penh dynamitée par les Khmers Rouges. Les chrétiens sont morts ou ont été dispersés. Tous les prêtres et religieux cambodgiens ont disparu dans la tourmente. En outre, l’évêque ne peut se rendre à l’évêché devenu l’hôtel de ville. Ne pouvant rencontrer les chrétiens (les contacts avec les étrangers sont interdits aux Khmers), il déambule le long du boulevard Monivong dans l’espoir d’être reconnu. Une chrétienne lui adresse discrètement quelques mots : « Nous vous attendons à telle heure, dans tel restaurant tenu par mon beau-frère. » L’évêque constitue un comité avec la poignée de chrétiens qu’il rencontre dans le restaurant. Les liens avec les fidèles se reforment peu à peu.
En 1992, Yves Ramousse est restauré vicaire apostolique par Rome, non sans difficultés. L’intervention du roi Sihanouk auprès de la Curie a ici été décisive, les liens entre les deux hommes ayant toujours été empreints de chaleur. Mgr Ramousse est aussi nommé administrateur apostolique de Battambang jusqu’au 2 juillet 2000, quand Mgr Enrique Figaredo, SJ est installé préfet apostolique de Battambang.
Rebatir l’église Khmère
Mgr Ramousse fait le choix de laisser les Khmers rebâtir leur Église. Le 30 avril 1991, à l’appel du père Destombes, eut lieu un synode des communautés chrétiennes, soit 602 familles (environ 3 000 baptisés), 350 catholiques venus des camps et 10 000 Vietnamiens venus s’installer à la faveur de l’occupation. Les participants se réunissent deux fois par an pour réorganiser les communautés en établissant trois comités : Catéchèse, Liturgie et Charité, à l’image de l’Église au temps des Actes des Apôtres.
Le 25 mars 1994, Mgr Ramousse, après de nombreuses négociations avec le gouvernement Royal du Cambodge, obtient l’établissement de relations diplomatiques avec le Saint-Siège.
En 1997, Mgr Ramousse fait reconnaître les statuts de l’Église Catholique par le Gouvernement Royal du Cambodge et le Ministre des Religions et des Cultes. Ces statuts donnent une assise juridique à l’Église et nous permettent d’être reconnus comme religion à part entière et non pas comme une association ou une ONG à caractère religieux.
Formation d’un clergé diocésain
Dans sa lettre pastorale de 1996, Mgr Ramousse écrit : « La priorité donnée à l’établissement de l’Église au Cambodge doit se concrétiser par la priorité donnée à former un clergé diocésain. » Il ira rencontrer au Canada le jeune Tonloap Sophal, qu’il aura la joie d’ordonner prêtre en 1995. Puis quelques jeunes des camps en Thaïlande ou réfugiés au Canada forment le premier noyau des séminaristes au début des années 1990. Quatre prêtres cambodgiens sont ordonnés le 9 décembre 2001.
En 1997, Mgr Ramousse demande à Rome un coadjuteur. Il consacre Emile Destombes (MEP) le 5 octobre 1997 ; le nouvel évêque lui succède le 14 avril 2001.
Il demeure au Cambodge jusqu’en 2013 dans la paroisse de Sihanoukville, où il sera un pasteur inlassable et aimant, toujours prêt à donner des conseils. Il aimait préparer avec minutie et créativité, avec le père Werachai (TMS) puis le père Un Son, les curés, les grandes fêtes liturgies qui rythment l’année. Il construisit aussi le centre de retraite de Sihanoukville.
Il se retire à Montbeton (France) en février 2015 jusqu’au 20 février 2021. En France, il continue de prier pour l’Église du Cambodge qu’il a aimé et servi de tout son cœur de prêtre et d’évêque.
Il décède du Covid-19 dans le silence de l’hôpital le 26 février 2021 au matin, alors qu’il devait célébrer son 93e anniversaire (23 février) et sa 58e année d’épiscopat (24 février)
Sa patience, sa vision, sa perspicacité, son courage, sa résilience et ses sacrifices ont permis à l’Église du Cambodge de renaître de ses cendres dans les années 1990. La jeune génération de baptisés ne connaît pas Mgr Yves, mais s’ils sont ici aujourd’hui heureux de suivre le Christ, c’est en grande partie grâce à Mgr Ramousse.
Reposez en paix, humble et heureux serviteur du Seigneur !
Texte préparé par Vincent Chrétienne, MEP et par Mgr Olivier Schmitthaeusler, vicaire apostolique de Phnom Penh