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INDOCHINE – PRÉHISTOIRE: Henri Mansuy, une vie, une oeuvre

Journaliste : Didier Mansuy
La source : Gavroche
Date de publication : 24/03/2021
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Nous vous avons raconté, en plusieurs épisodes, la formidable aventure du préhistorien Henri Mansuy en Indochine. Ce dernier est décédé en 1937 laissant une œuvre gigantesque et ayant ouvert la voie aux préhistoriens qui suivirent. Depuis les travaux et découvertes de Henri Mansuy, la recherche en matière de préhistoire n’a que peu progressé en Extrême-Orient à cause des événements qui ont accompagné la décolonisation.

 

La trame fondamentale mise en évidence par Henri Mansuy reste globalement la même. L’étage du Bacsonien défini par Henri Mansuy, en 1902 et 1909[1], a été étendu par son élève Madeleine Colani avec la définition plus large du Hoabinhien. Bacsonien et Hoabinhien expriment des faciès typiques de l’Extrême-Orient préhistorique pouvant s’étaler sur une assez longue période avec des outils laissant apparaître de larges secteurs sur le « galet » généralement utilisé.

 

Absence de nuance

 

De fait, cette typologie se heurte à l’absence de nuance. Cependant cette récurrence de l’emploi de galet fait émerger une préhistoire caractéristique par ses choix techniques, différente de ce que nous connaissons en Europe et en Afrique. Ces choix sont associés à un environnement particulier, celui de la forêt tropicale humide et le plus souvent un manque d’affleurement en roche siliceuse. Le Hoabinhien reste le plus grand dénominateur commun régional. Le vocable demeure en usage aujourd’hui comme étant le faciès industriel le plus représentatif de l’activité technique de l’homme de l’Asie du Sud-est méridional aux temps préhistoriques. Il remonterait à près de 40 000 ans avec le site le plus ancien connu dans le Sud de la Chine et perdure jusqu’au milieu de l’Holocène.

 

Paléolithique final

 

En écho à la trame énoncée en Europe, le Hoabinhien a souvent été décrit comme une industrie relevant du Paléolithique final en transition vers le Mésolithique et se prolongeant jusqu’au Néolithique. Son extension géographique est très importante et englobe : le Nord-Est de l’Inde, le Sud de la Chine, la Birmanie, le nord Vietnam, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge, la Malaisie jusqu’au Sud de Sumatra, voire Les Philippines. Le Bacsonien quant à lui caractérise plutôt un Néolithique asiatique de moins de 6 000 ans. Dès sa découverte à partir de 1902, confirmé en 1920 par Henri Mansuy dans le massif du Bac-Son, au nord Vietnam, il fut considéré comme une évolution locale néolithisée de l’industrie lithique locale. Il se caractérise par un matériel lithique composé de lames de pierre polie d’allure classique mais surtout d’outils partiellement polis. Il est souvent associé à des sépultures et à une céramique tripode comme l’avait initialement décrit Henri Mansuy. Les travaux tant de Pham-Huy-Thong (1980), Dinh-Inh-Thi-Tuyêt-Mai (1985), Pham-Ly-Huong (1994) ou Johannes Moser (2001) proposaient la chronologie suivante pour le Vietnam :

 

– un pré-Hoabinhien ou Sonviien daté entre moins 15 000 et 12 000 ans ;

 

– un Hoabinhien « classique » au début de l’Holocène moins 11 000 ans ;

 

– un Bacsonien pour les niveaux supérieurs moins 10 000 à 6 000 ans.

 

Le passage entre Hoabinhien et Bacsonien est hypothétique, porté par la vision évolutionniste des chercheurs vietnamiens « comme continuum idéal au cours duquel la transition technique reflèterait le passage des sociétés de chasseurs-cueilleurs à celles des sociétés horticoles-sédentaires.

 

Civilisation du végétal

 

Cette « néolithisation » est loin d’être vérifiable, (…) au contraire jusqu’à présent ce phénomène relève d’une exception nord-vietnamienne qui ne trouve pas d’équivalents en Thaïlande et en Malaisie. »[2] Alain Testart (1977) indiquait quant à lui que « L’Asie du Sud-Est pourrait être caractérisée dès la Préhistoire comme la région de la civilisation du végétal », ce que Wilhelm Solheim (1972) dénommait Lignic period. Il est assimilé au Hoabinhien et à sa tradition d’outils de style chopper et chopping-tools associés à des objets naturels éphémères réalisés en bambou constituant ainsi un véritable ensemble technologique qui a pu inspirer une technologie du végétal[3].

 

Locomotion difficile

 

Les recherches de Henri Mansuy ont été faites dans les conditions délicates de travail, au tout début du XXe siècle, à une époque où les modes de locomotion étaient difficiles avec des accès mal aisés dans une forêt profonde, un climat éprouvant, peu de moyens techniques comme humains et une absence quasi totale de références bibliographiques scientifiques. Elles sont pionnières et constituent la base des recherches en cours. Plusieurs des sites qu’il a fouillés ont été complètement détruits soit par une exploitation abusive (A Somrong-Sen, au Cambodge, par exemple, le gisement de coquilles lacustres alimenta longtemps la fabrication de chaux), soit par la guerre, tant au Vietnam, au Laos qu’au Cambodge, où ont été détruits ou considérablement endommagés de nombreux sites. Comme le soulignait Henri Hubert dans un numéro du BEFEO de janvier-mars en 1903 (Pages 90 et 91), Henri Mansuy a initié une démarche scientifique réussie et entière sur un territoire alors encore vierge. Dans les colonnes de L’Avenir du Tonkin, le 27 juillet 1934, il était indiqué d’ailleurs que : « Henri Mansuy, archéologue incomparable, qui, à la science géologique, joignit un jugement impeccable » et dans ces mêmes colonnes, du 10 septembre 1928, que Henri Mansuy fit parcourir « un chemin immense en préhistoire en peu de temps ». Le 17 août 1929, le colonel Bonifacy y notait que Henri Mansuy avait réalisé en préhistoire « une œuvre magistrale répondant à un réel besoin ».

 

Les recherches, depuis le milieu du vingtième siècle, se sont développées sur de nouveaux sites et en particulier dans les karsts qui malheureusement ont été réutilisés souvent par des communautés bouddhistes entravant la recherche archéologique et détruisant souvent les archives de la terre[4].

 

Gisements préhistoriques

 

Les recherches de Henri Mansuy ont concerné des gisements préhistoriques du Néolithique supérieur d’Extrême-Orient correspondant à des âges de l’ordre de 3000, 3500 jusqu’à 5000 ans et plus. Les recherches du Sud-Est asiatique demeurent aujourd’hui encore beaucoup moins importantes que celles qui ont couverts l’Europe et l’Afrique. Les périodes historiques dites « classiques », des empires ou royaumes de cette partie du monde (Indes, Thaïlande, Cambodge, Chine, etc.) ont été beaucoup plus étudiées si bien que des repères typologiques et de nombreuses données manquent encore en Préhistoire. Cependant, avec la reprise de la fouille du site de Laang-Spean au Cambodge depuis 2009, avec Hubert Forestier, et la découverte de nouvelles espèces humaines à Flores en 2003 ou aux Philippines, un nouvel élan anime l’Asie du Sud-Est.

 

Notes pour accompagner la lecture

[1]Station préhistorique de Somrong-Sen et de Longprao (Cambodge) par Henri Mansuy. 1902, Hanoï, Éditions Schneider. Gisement préhistorique de la caverne de Pho-Binh-Gia (Tonkin) par Henri Mansuy. L’Anthropologie TXX, p531 à 543. Masson et Ci. Éditeurs.
[2]Préhistoire au sud du triangle d’or, page 52 de Valery Zeitoun, Hubert Forestier, Supaporn Nakhbunlung. Éditions IRD, Paris, 2008.
[3]Préhistoire au sud du triangle d’or, page 53 et page 16, par Valéry Zeitoun, Hubert Forestier et Supaporn Nakbunlung. Édition IRD, Paris, 2008.
[4]Préhistoires au sud du triangle d’or, page 16, par Valéry Zeitoun, Hubert Forestier et Supaporn Nakbunlung. Édition IRD, Paris, 2008.

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