La nouvelle chronique illustrées de Michel Hermann relate des souvenirs de jeunesse. Beaucoup parmi vous auront probablement vécu des expériences identiques, pas forcément dans un château, mais dans d’autres lieux plus ou moins appropriés. Bonne lecture donc.
Le vieux lit en chêne du Château de la Caze
Crissait discrètement à chaque folle étreinte.
Les draps étaient chiffonnés, et la courtepointe,
Qui dissimulait nos dévotieuses extases,
Gisait au pieds du lit, vaincue par nos ébats.
Dans cette tour carrée surplombant la rivière
Six siècles de vie, de drames, de vieilles pierres,
De légendes courtoises et de durs combats
Imprégnaient les murs de ce château Renaissance
Qui cachait notre tendre et secrète idylle.
Malgré le froid printanier, nos joutes fébriles
Réchauffaient nos corps excités dans le silence
De cette austère pièce. Bâti au quinzième
Siècle dans les Gorges du Tarn, ce fameux castel
Qui domine la rivière, maintenant hôtel,
Abritait pour un soir nos débauches extrêmes.
La nuit, par les étroites fenêtres encastrées
On entendait s’écouler doucement le Tarn,
Égayant l’étrange silence et le charme
Désuet du lieu. C’était notre empyrée.
J’étais parti de Marseille tard le matin
En empruntant le long chemin des écoliers,
Pour me rendre le lendemain à Montpellier
Où mes localiers m’attendaient sur le terrain.
J’avais amené ma gracieuse tourterelle
De vingt-quatre ans, intelligente et tonique
Sylphide au corps d’un blanc laiteux, dont l’impudique
Beauté enfantine me semblait irréelle.
Libre et insoumise, elle menait sa vie
De jeune femme d’affaires avec brio.
J’avais quarante ans, une forte libido,
Un travail dense, risqué et plein de défis.
Ces escapades amoureuses nous relaxaient.
Nous étions, tous deux, simplement épicuriens,
Et croquions goulûment la vie avec entrain
Lorsque les rares occasions se présentaient.
C’était le cas ici. Le dîner aux chandelles
Dans la salle du restaurant moyenâgeuse,
Froide et voûtée, mit nos papilles goûteuses
A l’honneur. Une fois terminé, de nouvelles
Émotions nous attendaient dans la tour carrée.
Un escalier de pierres en colimaçon
Menait à notre chambre d’amour. Nous prenions
Notre temps, voulant jouir sans nous presser
De cette ambiance particulière. Peut-être
Que les cinq filles des fondateurs du château,
Dont l’histoire dit qu’elles rendaient les damoiseaux
Éperdument amoureux, hantaient fenêtres
Et murs, et s’amusaient de nos jeux érotiques.
Nous leur faisions honneur, bien des siècles plus tard.
Cette nuit endiablée où nudité sans fard
Et plaisirs se mêlaient dans un ballet épique,
Fut mémorable. Nos vies ont pris des chemins
Différents, mais trente-trois ans après, elle et moi,
Vieux complices, nous souvenons avec émoi
De ces inoubliables instants volés à nos destins.
Michel Hermann