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CHINE: Le tableau d’un pays qui n’est plus seulement «l’usine du monde»

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 04/07/2019
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L’agence éditoriale Telos, toujours riche en analyses et contributions, propose une passionnante fresque de la Chine d’aujourd’hui, signée de Jean-Dominique Séval. Nous vous proposons de la retrouver ici dans sa version originale, ainsi que les autres textes récemment publiés par Telos. Cette contribution détaille les évolutions de la Chine et explique pourquoi elle n’est plus seulement «l’usine du monde». Comme toujours avec Gavroche, un texte de référence pour mieux comprendre l’Asie !

 

Par l’agence Telos, Jean-Dominique Séval

 

Il y a quarante ans, la Chine était nue, et elle est aujourd’hui parée de villes géantes et modernes, d’universités de tout premier rang, et d’une classe moyenne qui devrait dépasser les 400 millions avant 2030.

 

Seconde économie mondiale en PIB depuis 2017, le débat est ouvert pour savoir si la Chine est déjà passée en tête, ou le sera à partir de 2020 ou de 2045.

 

« Chine, toujours faire suivre de l’Usine du monde ». Cela pourrait être une entrée du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, édition augmentée 2019.

 

Salaires bas, urbanisation accélérée et sacrifice écologique ont été les premiers termes d’une équation dont les secondes étaient accumulation primitive et transferts technologiques.

 

Résultat : une montée en puissance massive d’emplois dans presque tous les domaines manufacturiers, des plus simples au plus high-tech.

 

La Chine, est déjà entrée dans la phase suivante : celle qui doit lui permettre de passer de l’Atelier du monde, qu’elle est de moins en moins, à celle d’Usine à brevets.

 

C’est la teneur du plan Made in China 2025, lancé par Xi Jinping en 2015, qui en fixe l’objectif : une Chine autosuffisante technologiquement grâce à des investissements ciblés dans dix domaines clés comme la voiture électrique, les robots industriels, les énergies renouvelables, le matériel médical ou les avions gros porteurs.

 

Une politique offensive, inspirée par le plan allemand Industry 4.0, mais dotée d’une manne d’argent public de plus de 2000 milliards d’euros.

 

La Chine est devenue une terre d’innovation, forte d’un écosystème mobile sans équivalent dans le monde.

 

Ses géants du Net et ses start-ups proposent des services dans la finance (WeChat, Ant Financial), le transport (Didi), le divertissement (TikTok), l’e-commerce (JD.com) ou la sécurité (SensTime), qui vont souvent plus loin que les modèles dont ils se sont inspirés.

 

La Chine aurait dépassé les États-Unis en nombre de licornes (ces start-ups valorisées à plus d’un milliard de dollars) avec 40 % du total mondial. Un succès en partie lié à la masse d’argent disponible.

 

Un seul exemple : on compte actuellement plus de 400 constructeurs de voitures électriques là où il devrait en rester moins de dix à terme.

 

Une frénésie qui se retrouve dans les dépôts de brevets qui ont largement dépassés le million dès 2017, quand les États-Unis tournent au rythme de 600 000 par an.

 

Même scénario pour les publications scientifiques : la Chine qui représentait 1 % des publications en 1980 est remontée à la seconde place dès 2006, et ne l’a plus quittée avec 16 % du total.

 

L’ambition est clairement de devenir leader en termes d’innovation en 2050, sachant que désormais, il lui faut avancer avec de nouveaux handicaps : les États-Unis rendent coup pour coup, au moment ou le pays entre dans un nouveau cycle de croissance à haut risque, avec des équilibres économiques, financiers, sociaux et environnementaux fragilisés.

 

Pour ravir la première place en matière d’innovation, il reste encore beaucoup à faire : les dépenses de R&D, même si elles ont augmenté rapidement (de 0,7 % du PIB en 1991 à 2,1 % en 2017), restent en deçà des celles des États-Unis (2,8%).

 

Et en ce domaine, la quantité n’est pas synonyme de qualité. La Chine ambitionne de prendre le leadership dans les domaines les plus avancés comme les ordinateurs quantiques, les réseaux du futur, l’intelligence artificielle, la blockchain, les biotechnologies, l’espace…

 

Autant de disciplines qui demandent de longues années de recherche fondamentale, de tâtonnements pratiques, de collaborations internationales… Ainsi que de la créativité et de l’imagination.

 

De l’usine à rêves à la Pax Sinica : 2050-2100

 

Mais ne nous y trompons pas, l’empire du milieu a déjà investi cette ultime dimension sans laquelle aucune puissance économique n’a pu durablement imposer son magister au reste du monde : la part du rêve.

 

À ce titre, la Chine d’aujourd’hui rappelle ce que fut la France et l’Europe de 1900. Celle des inventeurs, des entrepreneurs et des créateurs qui furent les pionniers de l’aviation, du cinéma ou de la médecine.

 

Elle me rappelle aussi les États-Unis des années 1950, qui popularisèrent la consommation de masse, les ordinateurs et envoyèrent des hommes sur la Lune.

 

La Chine d’aujourd’hui renoue, à sa manière, avec cet optimisme technologique. Jusqu’à mettre en scène dans une émission de TV grand public, My future, des scientifiques qui s’affrontent à coup d’inventions devant plus de 80 millions de téléspectateurs.

 

Sans oublier cette nouvelle génération d’auteurs de science-fiction, qui dans le sillage de Liu Cixin (Le Problème à trois corps, 2016 Actes Sud), est lue dans le monde entier, comme Jules Vernes ou Isaac Asimov en leur temps.

 

On est bien sûr encore loin d’un soft power ayant conquis les cœurs et les esprits.

 

Mais la Chine dispose de quoi alimenter la machine à rêves universelle, avec une histoire plusieurs fois millénaire, qui a déjà su fasciner l’occident et s’inscrit dans une culture asiatique, japonaise ou Sud-coréenne, populaire depuis les années 80, qui a préparé le terrain à coup de dessins animés et de mangas, de jeux vidéo, de K-pop, ainsi que de grands auteurs et réalisateurs reconnus au niveau mondial.

 

Les gouvernements chinois connaissent bien cette nouvelle frontière que représente l’inconscient collectif universel, qu’il leur faut conquérir.

 

Ils y travaillent activement : Le soft power (en mandarin ruan shili ou 軟實力), a été officiellement adopté par le gouvernement chinois comme un principe politique dès 2007, au 17e Congrès du PCC.

 

Un ensemble d’actions, qui se décline à tous les niveaux des différents cercles d’influence de l’Empire : pour les Chinois de l’intérieur ou de la diaspora, tout abord, car il faut encore et toujours légitimer le Parti ; le « jardin asiatique » ensuite, zone d’influence prioritaire, auquel s’ajoute désormais les pays de plus en plus nombreux à intégrer la Belt and Road Initiative (BRI) ; et enfin, les citoyens des États-Unis et d’Europe, qu’il s’agit de séduire.

 

On le sait peu, mais la Chine est actuellement le pourvoyeur de troupes le plus important des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, avec des interventions de plus en plus fréquentes depuis 2009, notamment en règlement des conflits africains.

 

Une image de « faiseur de paix » qui est bien utile alors que le reste du monde ne semble pas prêt d’oublier la terrible répression de la place Tiananmen du 4 juin 1989, et que le pouvoir s’illustre toujours par une mise au pas violente des immenses provinces du Tibet et du Xinjiang.

 

Beijing ne lésine pas sur les moyens, en soutenant la diffusion de la culture, de la langue et des informations : un tissu toujours plus dense des 548 Instituts Confucius de par le monde ; de nombreux partenariats entre universités et grandes écoles ; la multiplication des implantations et traductions en langues locales des chaînes de la CCTV, de Radio Chine Internationale ou de l’agence de presse Xinhua.

 

Mais ces leviers montrent vite leur limite, dans un pays où communication rime encore très souvent avec propagande, et où l’internet est soumis à un contrôle de tous les instants.

 

C’est pourquoi le pouvoir valorise désormais une stratégie de contenus en phase avec les attentes d’un large public mondialisé qui veut du sport et du divertissement.

 

La Chine a su attirer les Jeux olympiques de 2008 et ceux d’hiver en 2022. Le Président Xi Jinping popularise sa passion affichée pour le football en demandant à ses Tycoons d’investir dans les clubs des grandes villes chinoises, mais aussi en Europe, comme Huawei qui a été sponsor pendant deux saisons du Paris Saint-Germain ou le groupe Wanda qui a pris des parts dans de nombreux clubs dont ceux de Manchester, de l’AC Milan et d’Auxerre.

 

Une stratégie tout azimut dont la dernière péripétie est la prise de contrôle, par le fond d’investissement Orient Hontai Capital, de l’espagnol Mediapro, nouveau géant des droits télévisés du football européen qui détient la diffusion du foot espagnol, italien et de la Ligue 1 française.

 

Objectif final, que la Chine accueil un prochain mondial de foot, avec la perspective ultime de décrocher une première étoile à l’horizon 2050 !

 

Coté entertainment aussi, la Chine investie massivement.

 

Forte d’un marché intérieur qui est en train de rattraper le box-office américain en seulement dix ans, d’un parc de plus de 60 000 salles (contre 40 300 aux États-Unis) et plus de 1 000 films produits (contre 576 aux États-Unis), elle entend satisfaire son marché intérieur pour se lancer à la conquête du monde.

 

Avec comme arme d’échange massive, la même que depuis le début de son retour sur le devant de la scène, faire miroiter son marché intérieur.

 

Les grands studios américains comptent déjà, pour financer leurs blockbusters, sur les centaines de millions de dollars de revenus générés par les écrans chinois.

 

Un potentiel immense encore très contrôlé (en 2018, 133 films étrangers ont été autorisés), et qui dans la période actuelle de « guerre froide » pourrait par ailleurs sourire à l’Europe en raison d’un prochain embargo visant les productions américaines.

 

La Chine se dote ainsi d’une économie complète autour du cinéma. Elle a son Chinawood, inauguré début 2018 dans la ville balnéaire de Qingdao, sur l’équivalent de 500 terrains de football : 20 studios de tournage construits sur le modèle du lot mythique de Warner à Burbank, mais encore largement sous-utilisés.

 

Elle entend proposer des films à grand spectacle qui, à quelques exceptions près, ne sont pas encore aux standards internationaux.

 

Un écueil que les coproductions permettent de contourner, tout en facilitant l’apprentissage, à l’instar du système des joint-ventures dans les années 80 : chaque année, on compte une dizaine de productions américaines avec des capitaux chinois dont : Seul sur Mars, X-Men: Days of Future Past ou Iron Man 3.

 

Cela permet, sous contrôle de la tutelle publique (National Radio and Television Administrationou NRTA) d’imposer de tourner au moins une partie des scènes sur le sol chinois et d’avoir au moins un acteur et personnage chinois.

 

D’autres pistes, qualitatives, sont également explorées.

 

Comme c’est le cas avec le festival international du film de Pingyao, qu’organise depuis 2017, le réalisateur de renom Jia Zhangke dans sa région natale, avec la participation de Marco Müller, ancien directeur artistique du festival de Venise.

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