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BIRMANIE – ANALYSE: L’économie birmane, ruinée par le coup d’État militaire

Journaliste : François Guibert
La source : Gavroche
Date de publication : 14/04/2021
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Deux mois et demi après s’être saisi par la force du pouvoir, le général Min Aung Hlaing affiche un bilan économique désastreux. Il n’a d’ailleurs même pas réussi à convaincre les milieux d’affaires et les «cronies» à être des soutiens indéfectibles comme ils le furent pourtant sous l’ère des régimes militaires passés. Selon le Fonds monétaire international, la Birmanie devrait connaître cette année sa pire récession depuis 33 ans. Le recul anticipé pourrait être de plus de douze points par rapport à 2020, une année déjà horribilis du fait des effets de la COVID-19 et qui a jeté 5 % de plus d’habitants dans la grande pauvreté.

 

Une analyse de François Guilbert

 

Non seulement les putschistes birmans plombent les comptes de 2021, font fuir les populations des villes (15 % des habitants de Rangoun) et suscitent un véritable fuite des cerveaux vers Singapour et les pays occidentaux (Australie, États-Unis, Royaume Uni) mais ils obèrent les développements économiques futurs de leur pays. Alors que ces deux dernières années la Birmanie s’enrichissait plus vite que ses voisins de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), aujourd’hui elle décroche, et peut être pour longtemps. En 2022, Nay Pyi Taw peut encore espérer, selon les scénarios les plus optimistes, une croissance positive (+ 1,4 %) mais celle-ci sera bien en deçà de la moyenne de la région (+ 6,1 %). Autrement dit, la Birmanie va se montrer incapable de sortir rapidement de son statut de pays les moins avancés (PMA), de nourrir la croissance régionale, de tirer avantage des relocalisations industrielles asiatiques ou occidentales venant de Chine et du Partenariat régional économique global (RCEP) tout récemment agréé.

 

Indicateurs dans le rouge

 

En attendant une éventuelle embellie, tous les indicateurs macroéconomiques sont dans le rouge, sans même parler de la revivification déjà perceptible de la corruption et des circuits de l’économie informelle. Ainsi pour le deuxième mois consécutif, les directeurs d’achat anticipent une contraction de l’activité ; une première depuis 2016 et l’arrivée au pouvoir du gouvernement civil de Daw Aung San Suu Kyi. Pire, l’agence de notation financière Fitch a fait savoir le 6 avril que la Birmanie risque de devenir « un État défaillant à moyen terme ».

 

Recours aux emprunts

 

Dans le futur le plus proche, ce sont les recettes de l’État qui seront appelées à se contracter d’un cinquième. Le déficit budgétaire va donc se creuser de l’ordre de 9 %. Dans ce contexte dégradé des finances publiques, la dette croîtra vraisemblablement de 10 %< cette année pour s’établir à 50 % du PIB, un ratio modeste mais qui ne manquera pas d’inquiéter dans un pays qui abhorre les recours aux emprunts. La confiance dans l’avenir a d’ailleurs été si malmenée ces dernières semaines que les birmans cherchent à retirer un maximum de liquidités de leurs comptes bancaires tandis que l’adjudication des bons du Trésor de la mi-février 2021 s’est révélée très médiocre : 8,5 % seulement des titres disponibles ont trouvé preneur.

 

Autre signe de dégradation de la situation financière, la monnaie se déprécie par rapport au dollar et d’une manière très continue ces dix derniers jours. Depuis la fin janvier 2021, le kyat a perdu pas moins de 12,4 % de sa valeur. Cette décote dans une économie déjà très dollarisée vient s’ajouter à la hausse des prix qui frappe le porte-monnaie des ménages.

 

Hausse des prix

 

Depuis le coup d’État du 1er février, de nombreux produits du quotidien ont vu leur prix augmenté. C’est le cas de l’huile de cuisine (+ 18 %), des pois chiche (+ 10 %) ou encore du riz (+ 5 %). Les variations tarifaires peuvent s’avérer en outre très importantes d’une région à l’autre. Il semble que l’accélération des prix soit plus sensible à Mandalay, l’un des épicentres de la contestation, qu’à Rangoun. Dans l’État Kachin autre exemple, les prix du riz ont progressé au cours des deux derniers mois de + 27 % à Bhamo et de + 43 % à Putao, au pied des contreforts de l’Himalaya. En cette fin de saison sèche, on peut comprendre que certains prix soient plus élevés mais le renchérissement est aussi le fruit de la situation politique. Les délais de livraison ont été rallongés, en moyenne de deux semaines, du fait des pénuries de transport intérieur (aérien, rail, route). Les transactions financières internationales sont en outre fortement ralenties par l’impossibilité de voir confirmer les lettres birmanes de crédit par les interlocuteurs étrangers habituels. Une situation très pénalisante pour importer les produits pétroliers raffinés dont le pays à un grand besoin et qui a induit un renchérissement de 23 à 30 % des prix selon les types de carburants recherchés. Si le système bancaire perdure à être au bord de la banqueroute, il y a fort à parier que le coût de l’essence continuera de grimper à des niveaux rarement atteints localement, ralentissant plus encore l’économie et la production industrielle.

 

Non seulement à ce stade les autorités installées par les militaires putschistes se montrent incapables de poursuivre le plan de relance du gouvernement civil évincé ou d’en esquisser un autre alternatif mais elles mettent à mal pour de longs mois les projets d’avenir qui avaient été esquissés, en particulier dans le domaine des infrastructures (ex. énergie, transport,…). Ceux-ci pour se matérialiser vus leurs coûts ont en effet des besoins importants de financements de bailleurs de fonds multilatéraux (ex. Banque asiatique de développement, Banque mondiale) ou d’agences nationales d’aide au développement (ex. France, Japon) qui ont pour l’heure suspendu tous leurs nouveaux engagements. Une situation appelée à durer car le maintien au pouvoir des usurpateurs en uniformes induira des sanctions économiques et financières croissantes, en particulier en Europe et en Amérique du nord voire plus mezza voce au Japon et en en Australie.

 

Impasse économique

 

De fait, l’impasse économique dans laquelle les chefs de la Tatmadaw engagent la Birmanie souligne combien les militaires préfèrent présider un État en faillite plutôt que de céder la place à une solution politique qui permettrait une meilleure gouvernance, la restauration d’un ordre légal et civil mais diluerait leur pouvoir. Il y a pourtant urgence à agir car l’attitude adoptée par un quarteron de généraux soucieux de leurs seuls intérêts au détriment de la collectivité mène à une paupérisation d’un grand nombre de Birmans. Pour faire face à ce qui pourrait bien s’avérer comme un véritable défi nutritionnel, le Programme alimentaire mondial dit dorénavant se préparer à mener des opérations d’ampleur en milieu urbain et périurbain pour assister jusqu’à deux millions de personnes. Un désastre de plus qui vient s’ajouter à celui de l’effondrement du système de santé public et à une répression de toute forme de contestation par la terreur et des exécutions de manifestants.

 

François Guilbert

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