Certains écrivains défendent des causes sociales ou idéologiques. D’autres prennent la défense d’accusés, et pourfendent à leurs côtés le système judiciaire qui n’a pas reconnu leur innocence. La bibliothèque idéale historique de Gavroche, sur laquelle veille notre ami et collaborateur François Doré, animateur à Bangkok de la formidable librairie du Siam et des colonies, est remplie de ces hommes de plume-activistes, pour qui écrire rime avec mission. Ce fut, dans un tout autre registre, aussi le cas d’Albert Viviès. Ce romancier consacra trois livres à la Cochinchine, tous à la gloire de ce territoire qui fut la seule colonie de l’Indochine, les autres pays n’ayant que le statut de protectorats. Trois livres où le personnage principal sera la terre même de la rizière, le limon, la glaise, mais aussi le nhaqué qui y vit, y travaille et y meurt : le paysan du delta.
Une chronique de François Doré
Albert Viviès est arrivé en Cochinchine en 1912. Quatorze ans plus tard, il va écrire son troisième ouvrage, «Les Timoniers». À cette époque, Viviès ne pouvait pas ne pas avoir entendu les cris d’une « Indochine Enchaînée », ce quotidien anticolonialiste de Paul Monin et d’André Malraux, animé aussi par le collectif « Jeune Annam ». Il va donc écrire ce qu’on appellerait aujourd’hui un ouvrage de politique-fiction. Une étonnante fable, rêve pour les uns et cauchemar pour les autres.
La France s’est dotée d’un dictateur, « maître absolu qui pensait que les hommes de son pays se mouraient d’excès, les uns d’action, les autres de renoncement, et il avait la volonté de leur faire recouvrer le sens de la vie, le sens de la mesure ».
Un jour, il convoque dans son Palais du Louvre son ami le plus cher, le Comte Henri d’Estepour lui exposer le projet extravagant qu’il a conçu pour l’Indochine : « Je veux tenter une expérience : ou bien les chefs annamites ont raison de vouloir expulser les Français de leur chemin dès maintenant, ou bien c’est la France qui a pour devoir de les guider encore ».
Pleins pouvoirs à Saïgon
Un plan d’action est rapidement mis en place : sous l’incognito du peintre voyageur, Alfred d’Esquilles, Henri part vers Saïgon, muni des pleins pouvoirs. Il devra étudier soigneusement la situation, rencontrer toutes les parties en cause, et surtout juger des volontés profondes du peuple annamite.
Henri devra savoir si le peuple est réellement en communion d’idées avec les chefs des mouvements qui réclament au moins l’autonomie. Si la réponse est oui, alors le Gouverneur Général devra se replier avec ses troupes vers le cap Saint-Jacques et laisser la place à un gouvernement annamite.
La première partie du plan va parfaitement se dérouler. Henri retrouve sur place un vieil ami, l’avocat Jacques Volnès, portrait exact de l’auteur lui-même. Il va faire découvrir à Henri l’âme profonde de cette Cochinchine qu’il aime, et surtout de cette population d’agriculteurs pour lesquels les remous politiques de la grande ville sont bien loin.
La leçon sera efficace pour Henri, dont le jugement est rapidement forgé: ce peuple indochinois a encore besoin de la France pour parcourir son long chemin vers le bien-être social auquel il aspire.
L’épouse fatale…
Tout ira bien et sa décision sera prise, jusqu’au jour fatal où il va rencontrer, au coin du boulevard Charner, une Européenne de toute beauté, « aux traits délicats d’un teint clair, qu’encadraient de longs cheveux d’un vénitien ardent ». Volnès comprit alors qu’un drame se préparait, car lui seul savait que cette beauté était l’épouse du plus grand leader nationaliste annamite…
« Les Timoniers » d’Albert Viviès
Editions Léonce Deiss
Pour se procurer le livre et découvrir l’Indochine au fil des pages:
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