Au siècle dernier : le village gaulois de Sathorn, c’était la France !
Fin août-début septembre, le chassé-croisé des expatriés français, entrants et sortants, se termine : fonctionnaires, diplomates, experts, chercheurs, enseignants, détachés administratifs, chefs d’entreprises, employés de sociétés françaises, etc., ont quitté cet été le Pays du sourire, remplacés par d’autres qui vont passer quelques années ici.
J’ai connu ça au siècle dernier lorsque, après avoir quitté l’Agence France-Presse (AFP), je me suis reconverti dans la diplomatie : Attaché culturel à Bangkok de 1989 à 1992. Je vous invite à découvrir l’ambiance qui régnait alors dans ce « village gaulois » de Sathorn, où les services culturels de l’Ambassade de France, le Consulat, le Lycée français et l’Alliance française étaient tous regroupés sur un même site. Il comprenait un restaurant et un cinéma/salle de spectacle où Bernard Lavilliers, -qui séjourna à Bangkok de janvier à août 1990-, s’est produit en concert au profit d’une ONG locale. Internet et la téléphonie mobile n’existaient pas. La convivialité était la règle sur ce site où la mixité culturelle et sociale faisait merveille… Bonne lecture donc.
Cette Chronique en vers est extraite de l’ouvrage « LA MAISON MITTERRAND – Petites Chroniques en vers du 22, rue de Bièvre, Paris 5ème », à se procurer sur Amazon.fr
« Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va » …
Qui se souvient de Sathorn et de son village
Gaulois ? De son histoire et de ses usages ?
Quelques anciens bien sûr, survivant ici-bas.
Et pourtant, c’est là que le cœur de la France
Battait à Bangkok, sur ce terrain d’ambassade,
Où élèves, parents, fonctionnaires et nomades
Se croisaient entre rires et studieuse ambiance.
Car, dans ce lieu de vie ouvert sur la cité,
Alliance française, Lycée, Consulat,
Services Culturels, restaurant, cinéma,
Coexistaient dans un espace limité.
À cette époque, Smartphones et internet
N’existaient pas. Il fallait se voir pour parler,
Échanger, apprendre, se connaître et s’aimer.
C’était il y a trente ans, sur une autre planète.
Dans les parties communes, couloirs et jardins,
Français, thaïs, étrangers et routards égarés
Se retrouvaient dans un constant chassé-croisé,
Sur fonds de bruits, d’odeurs et parfois de câlins
Jardin de la connaissance, bureau des pleurs,
Le site était ouvert à tous, officiels
Ou privés, prodiguant avis et conseils,
Séchant les larmes et consolant les cœurs.
Le restaurant-cafétéria, qui faisait
Office de cantine pour les collégiens
Et lycéens, attirait gourmets, riverains,
Venus ripailler dans cet oasis de paix.
C’était au siècle dernier, la francophonie
N’avait pas encore amorcé son lent déclin.
Les Services culturels fonctionnaient à plein
Avec ses colloques aux quatre coins du pays.
Les réunions du Conseil d’Établissement,
Après d’âpres négociations, se terminaient
Dans la bonne humeur par un pot bien arrosé,
Où l’on oubliait invectives et arguments.
Le politiquement correct n’existait pas.
La cigarette était permise. On croisait
Les sirènes de Patpong apprenant le français
A l’Alliance, belles et discrètes à la fois.
C’était un lieu de rendez-vous incontournable
A Bangkok. Quelle que soit leur nationalité,
Jeunes et moins jeunes se côtoyaient, s’aimaient,
Formant parfois des couples étranges et improbables.
Le Consulat était fébrile et appliqué.
Dans la salle d’attente, parfois sur le trottoir,
Les thaïs attendaient, impassibles et pleins d’espoir,
Pour obtenir le sésame tant espéré.
Chaque jour apportait son lot d’évènements
Qui alimentaient rumeurs et potins divers.
Mais qu’importe, dans ce monde libre et ouvert.
Le sérieux et l’humour étaient notre ferment.
Des imprévus, parfois singuliers, arrivaient.
Ainsi, lorsque Bernard Lavilliers séjourna
A Bangkok, en quatre-vingt-dix, pour sept mois,
C’est sur le site de Sathorn qu’il prit ses quartiers.
Concert à l’Alliance et voix d’or ailleurs,
Son séjour agité a marqué les esprits.
Il resta de janvier à fin août et sortit
L’album « Solo » ; souvenirs d’Asie et d’ailleurs…
La circulation à Bangkok était moins dense,
Et la pollution limitée. Les gratte-ciels
N’avaient pas encore obscurci le soleil
Et envahi Sathorn de leur svelte présence.
« Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va ».
Las, l’économie prit le pas sur la culture.
Le Lycée partit ailleurs pour d’autres aventures,
Les Service culturels et le Consulat
Rejoignirent la Chancellerie dans son bastion.
L’Alliance française, s’installa plus loin
Dans du neuf. Le site, trop étroit, dernier témoin
D’un village gaulois, fut vendu pour de bon.
« Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va » …
Que reste-t-il de cette période oubliée ?
Comme pour la chanson de Léo Ferré :
Des images, des « visages », et quelques « voix » …
Michel Hermann
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Je conseille à Monsieur Herman de vivre dans ses souvenirs naphtalinés. la mise à jour des évolutions ultérieures pourrait être fatale. Si du moins Il prend le risque de se rendre sur les lieux de l’actuelle ainsi dénommée “Alliance Française”. Après avoir appris qu’elle à connu un précédent déménagement puis une démolition presque subséquente, “Bangkok one oblige, il découvrira qu’elle se trouve actuellement dans un cul de sac. L’expression désigne assez mal le stade auquel cette “Grande Dame” est parvenue ; sans doute la vieillesse si ce n’est un état post-mortem. La COVID n’y a pas été pour rien. Comme en de nombreux domaines il a produit ses effets collatéraux. Construite à l’identique de la précédente à une époque ou les cours avaient lieu “in situ”, le virus a généré d’autres attitudes. Des élèves comme des directions. Plus besoin de salles ni de déplacements pénibles et longs. Que faire alors d’un tel bâtiment et surtout comment le rentabiliser ? La solution love hotel, si chère à Monsieur Hermann qu’il a, il y a peu, et en “vers”, si égrillardement exposée, n’a pas été retenue. Les problématiques gestionnaires et comptables ont probablement submergé le pilotage de l’ensemble. L’absence d’idées novatrices et l’ignorance de ce que doit représenter une politique cultuelle de la part des directions a fait les reste. Le résultat, un lieu peu attirant, transformé en un “lieu de vie” les samedis et vide le reste du temps. Reconnaissons que l’amphithéâtre resplendit dans cet ensemble dommage qu’il ne serve qu’à diffuser les insipidités cinématographiques dont le cinéma français s’honore.
L’évolution vient de connaitre une étape supplémentaire. La fermeture de la librairie “carnet d’Asie” et sa relégation dans un coin de la médiathèque (sans doute nommée autrement dans les temps bénis par Monsieur Hermann) qui, de ce fait se trouve réduite. Les incunables classiques, témoins d’une culture française, qui selon certains n’existe pas (des cultures dans la France dit-il, mais pas de culture française), continuent de hanter l’espace devenu plus congru mais dans une attente de plus en plus fébrile. Ils attendent que la main chenue d’un vieil expat muni de quelques outils grammtiucaux que sa mémoire n’a pas encore enfoui, vienne à leur secours et leur parler un peu. Ils attendent , tels des sépulcres blanchis par les ans le moment du “désherbage” (terme technique de la bibliothéconomie) et d’être d’être remplacés par des écrans. L’écran du smartphone, le plus perfectionné, détenu et brandi dès le plus jeune âge et qui interroge sur la présence physique de leurs détenteurs en ces lieux vidés en quelque sorte de l’intérieur, évidés mais toujours hantés, tels celui qui tâte sa jambe amputée. Un lieu ou l’on vient assister aux derniers jours d’un mourant dans l’attente de son agonie ? Pour le moment ils exhalent encore le parfum de leurs pages et procurent la subtile sensation du toucher si l’on consent à tourner leurs pages… Jusqu’à quand ? Assidu de ces lieux depuis plus de 20 ans j’observe l’évolution hebdomadaire et suis terrorisé à l’idée des nouvelles innovations les plus imperceptibles qui signalent les prémisses d’évolutions fatales. Les rayons s’éclaircissent, un disparu, un mort, et les nouveaux arrivés rarissimes. Une mort lente pour ces modes d’accès que l’on tend à considérer comme dépassés par l’écran et surtout pour ces témoins considérés comme les marques d’une culture trop élitiste…
Le rayon périodique et journaux, réduit à un présentoir, ne vous permettra de consulter le Monde diplomatique que daté d’un an, quand aux Paris Match, vous ne pourrez pas contempler les derniers détails des tenues vestimentaires de la “première dame”. La situation est, semble-t-il, en voie de réorganisation, une nouvelle responsable de la médiathèque venant d’être nommée et bien décidée à mettre bon ordre, après deux années d’absence.
Ce n’est pas tout, “Carnet d’Asie”, la librairie, le coin le plus précieux de l’édifice à été contrainte de s’exiler dans un espace réduit du premier étage, une “espèce d’espace” partagée avec la médiathèque. Cette “capitis diminutio” permettra l’extension d’un restaurant ou la tête de veau sauce ravigote devrait avantageusement remplacer “Vingt mille lieues sous les mers”.
Ainsi vont les jours, pour le meilleur et souvent le pire ; je me souviens”, devise du Québec et livre de Georges Perec qui attend son lecteur s’il n’a pas été “désherbé”… Je me souviens, Je ma souviens… du 27 rue de Bièvre acquis en copropriété avec Roland Dumas ; Je me souviens de la photo de Mao-Tse-Toung dans la chambre toute bleue de l’épouse ; Je me souviens du dernier étage, le “pigeonnier” ou il écrivait “La paille et le grain” ; Je me souviens du “boui-boui” de la rue de Bièvre ou il allait périodiquement déguster un excellent couscous ; Je me souviens de Baltique s’échappant du jardinet allant voir sur la place Maubert si il y est ; Je me souviens du temps ou, lassé des lieux, il allait caresser son âne à Latché ; Je me souviens des moments ou, lassé de tout et se sentant trop observé, épié, , il allait dans son appartement de la rue Frédéric – Le – Play… Allait -il assister à la messe Saint Pie X à quelques encablures ? Je ne m’en souviens pas…
Il faut mettre beaucoup de photos pour mieux revivre les vieux souvenirs.
Hé oui je me souviens, souvenirs souvenirs.
Fin des années 70 j’y allais souvent pour lire les télex affichés près ou dans la bibliothèque. Car les nouvelles de France n’arrivaient pas aussi vite qu’aujourd’hui.
Et plutard voir mon fils à l’ EFB.
Pour la pollution Sathorn l’était déjà fortement. Parfois on voyait pas le fonds de l’avenue tellement il y avait de brume.
Mais c’est vrai c’était sympa.
J’ai connu cet “ilot” en 1975-76
Il n’y avait pas encore de restaurant, mais l’ambiance y était avec la bibliothèque et le cinéma.
Et j’habitais tout prés, Soi Saladaeng. Il n’y avait qu’a traverser le klong sur une passerelle en bois improbable au dessus des eaux noires !
C’est bien loin tout ça…