Notre ami Philippe Le Corre vient de publier une très intéressante analyse sur les enjeux sur les relations avec la Chine pour les 27 pays membres de l’Union européenne, une fois que le Brexit sera derrière nous. Ce texte, publié par notre excellent confrère Asialyst, replace la relation UE-Chine dans le contexte des «dominos» nationaux que le pouvoir chinois excelle à manipuler. On l’a vu avec la récente visite du président chinois Xi Jinping à Athènes. Un seul mot d’ordre: gare aux divisions.
Nous reproduisons ici un extrait de l’analyse de Philippe Le Corre dans Asialyst, site d’expertises sur l’Asie dont nous vous recommandons la lecture ici.
Plus que tout autre période récente, le mois de novembre 2019 a mis en exergue les complexités de l’approche européenne vis-à-vis de la Chine : politique de la porte ouverte aux capitaux chinois contre exigence de réciprocité.
Direction Athènes, alors qu’Emmanuel Macron venait d’effectuer sa deuxième visite d’État à Pékin, son homologue chinois Xi Jinping prenait la direction d’Athènes, où l’attendait le Premier Ministre Kyriakos Mitsotakis – lui aussi de retour de Shanghai. A son actif, le président français a tenté d’européaniser son voyage le plus largement possible, incluant dans sa délégation un commissaire européen, l’Irlandais Phil Hogan et la ministre allemande de l’Éducation et de la Recherche, Anja Karliczek et associant la Chambre de Commerce Européenne en Chine à ses rencontres. Mais malgré ces efforts, le choix de Xi de visiter la Grèce n’est pas une coïncidence. Depuis plusieurs années déjà, le gouvernement d’Athènes a adopté la politique chinoise la plus ambigüe – et la plus favorable parmi les pays européens.
Certes, la Grèce n’a pas bloqué durant l’année 2019 l’adoption de la nouvelle stratégie UE-Chine en mars, ni le nouveau mécanisme de filtrage des investissements étrangers dans l’Union en avril, autorisant la Commission Européenne à examiner les projets d’investissements chinois dans les domaines technologiques sensibles et les infrastructures.
La Grèce aux cotés des Balkans
Pour autant, le nouveau gouvernement grec, élu en juillet 2019, n’a renié aucun des engagements de son prédécesseur. L’ancien Premier Ministre Alexis Tsipras a participé au Forum des Nouvelles Routes de la Soie à Pékin en avril dernier, et rejoint l’initiative « 16+1 », jusqu’ici réservée aux pays d’Europe centrale et orientale, y compris les Balkans. L’investissement chinois dans le capital de l’Autorité portuaire du Pirée est désormais considéré comme partie intégrante de la « ceinture et la route » (Belt and Road Initiative ou BRI, nom officiel des « Nouvelles Routes de la Soie ») – bien que l’implication chinoise en Grèce ait démarré dès 2009, la BRI ayant été mentionnée pour la première fois par Xi Jinping en 2013.
La compagnie étatique de transport maritime China Ocean Shipping Company (COSCO) détient désormais 51 % du Pirée et entend utiliser ce port méditerranéen comme base logistique pour les produits chinois dans la région. A terme, la part de COSCO dans le capital devrait atteindre 67 %. En novembre, Xi Jinping a visité le port et exprimé son soutien absolu aux investissements chinois en Grèce.
Courtiser les petits Etats européens
En recevant avec faste le président de la République française, « invité d’honneur » de la foire sur les importations de Shanghai, les dirigeants chinois ont montré une certaine volonté de poursuivre des relations de long terme avec les pays européens les plus importants, y compris ceux qui ont été à l’initiative de la nouvelle stratégie de l’UE vis-à-vis de la Chine. La France est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. C’est une puissance militaire, active sur quatre continents. En 2017, elle a organisé le sommet de Paris sur le climat avec le soutien de la Chine. Macron est un défenseur du multilatéralisme et du commerce international – des concepts que Pékin n’a cessé de promouvoir ces dernières années.
Néanmoins, la visite subséquente de Xi Jinping à Athènes est la preuve que la Chine entend continuer à courtiser les plus petits États européens toujours à la recherche d’aide et de soutien en capitaux. En 2008, après la crise financière, la Chine était devenue un investisseur important dans certains des pays les plus endettés du sud de l’Europe, notamment l’Italie, la Grèce et le Portugal. Bien qu’étant repartie, l’économie grecque demeure fragile. Le port du Pirée est devenu le symbole d’une présence chinoise réussie dans les infrastructures européennes. La Chine maintient qu’elle continuera à investir dans l’économie grecque, notamment le secteur touristique.
Partenaire, concurrent ou rival ?
Dans une certaine mesure, la Chine est également importante pour les grandes économies européennes – France et Allemagne – qui tournent au ralenti et doivent anticiper l’avenir, lequel se jouera en grande partie dans la région Indo-Pacifique. L’Allemagne est proche d’une récession et ses entreprises sont divisées entre celles qui croient encore au grand marché de consommation en Chine (Siemens, Volkswagen ou Daimler) et celles – représentées par le BDI, la confédération des industries regroupant notamment des entreprises de taille moyenne spécialisées dans les technologies de pointe. En janvier 2019, le BDI avait publié un rapport détonnant appelant à un renforcement de la solidarité européenne, notamment à l’égard des entreprises d’État chinoises.
La France et l’Allemagne sont à l’origine de la nouvelle politique européenne initiée suite à une démarche conjointe de Berlin et Paris (ainsi que Rome) en 2017. En mars 2019, la Commission publiait son “EU–China Strategic Outlook”, qui pour la première fois, qualifie la Chine simultanément comme un « partenaire de négociation avec lequel l’Union européenne doit trouver un équilibre, un concurrent économique à la recherche d’un leadership technologique et un rival systémique mettant en avant des modèles de gouvernance alternatifs »….