Notre ami Patrice Montagu Williams plonge son agent de la DGSE dans les milieux interlopes du Bangkok et du Triangle d’Or. Mais avant cela, il lui faut quitter Paris, cette ville aimant. Direction l’Asie. Bienvenue dans ce nouvel épisode de «L’Impératrice rouge».
« L’Impératrice Rouge » : un roman inédit de Patrice Montagu-Williams
L’intrigue.
Les saisies de drogue atteignent un niveau record dans le 13ème arrondissement de Paris. Cette drogue proviendrait du fameux Triangle d’or, cette zone frontalière située entre la Thaïlande, la Birmanie et le Laos. Quel est le rôle exact de la Chine et de ses services secrets dans cette affaire ? Et qui est exactement cette Impératrice Rouge, somptueuse et tragique femme vampire, qui serait le chef d’orchestre occulte de ce trafic ?
L’agent très spécial Ly, de la DGSE, est envoyé en Thaïlande pour régler le problème, par tous les moyens. Persuadé, comme le dit Sartre, qu’on ne peut vaincre le mal que par un autre mal, il vivra une histoire de passion, de folie et de trahison.
Rappel de l’épisode précédent : À la suite d’une réunion organisée au siège de la DGSE, il est décidé que ce serait l’agent Ly qui serait chargé de l’opération « Chat Sauvage », à Bangkok. Il est asiatique, parle le thaï, et sa précédente mission sur place a été un succès.
Épisode 7 : Bye bye Paris.
À leur grande surprise à tous les deux, ce qui devait n’être qu’une passade s’était transformé en tout à fait autre chose. Comme un marin se harnache à son trimaran pour franchir les quarantièmes rugissants, ils s’étaient attachés l’un à l’autre, de manière presque viscérale, prêts à faire face ensemble aux critiques et ragots d’une société qui ne manquerait pas de juger absurde et sans lendemain une liaison entre un asiatique originaire de Grigny et une fille de grands bourgeois élevée à Neuilly, au collège Sainte-Marie. Eva trouvait plus d’honnêteté, de profondeur et de franchise chez cet homme, originaire d’une lointaine banlieue (pour elle, toutes les banlieues étaient lointaines), et dont elle ne savait pas ce qu’il faisait, que chez tous ceux qu’elle avait croisé, dans son milieu. De son côté, Ly avait découvert qu’une excellente éducation peut rendre moins rugueuse la vie de tous les jours, surtout si, derrière, se cache un cœur pur et généreux.
Le Polo de Bagatelle
Eva avait renoncé à aller, chaque dimanche, au Polo de Bagatelle et Ly n’avait pas remis les pieds à Grigny depuis de longs mois. Chacun vivait chez soi, mais, dès qu’ils le pouvaient, ils se retrouvaient à n’importe quelle heure de la journée, pour faire l’amour, n’importe où, y compris sur la table de la cuisine ou dans l’ascenseur de l’immeuble où ils s’étaient fait surprendre par Alberto, le concierge portugais. Ly avait dynamité ce qui restait en elle de tabous et de pudibonderie bourgeoise permettant à Eva, une fois ces chaînes brisées, de trouver une sorte de bonheur.
Au « Rosebud »
Ce soir-là, ils s’étaient donné rendez-vous pas très loin de chez lui, de l’autre côté du cimetière du Montparnasse, au « Rosebud », rue Delambre. Si vous êtes un gamin de moins de quatre-vingt-dix ans, c’est sûr, vous n’avez pas connu l’âge d’or de Montparnasse. Heureusement, pousser la porte du « Rosebud », vous permettra de remonter le temps, avait dit un jour à Ly un vieil acteur dont il avait oublié le nom, rencontré dans une soirée, chez des amis. Depuis, il se rendait régulièrement dans ce bar américain, ouvert en 1962, où le décor, conçu à l’époque par le peintre et sculpteur expressionniste Paul Rebeyrolle, était inchangé. De Baltimore, où il vivait, jusqu’à son récent décès, Larry Benicewicz, un mélomane fou tombé amoureux du bistrot, envoyait régulièrement une bande-son jazzy concoctée spécialement pour son bar fétiche.
Le troquet servit de repaire à Diego Giacometti, Jean-Paul Riopelle et Eduardo Arroyo, mais aussi à Marguerite Duras, Sartre et Simone de Beauvoir qui habitait juste à côté, à l’hôtel des Bains, au n°33 de la même rue, et préférait le « Rosebud » au « Flore », affirmait-elle.
Wi-Fi interdit
Afin de respecter l’esprit du lieu, il n’y a pas de Wi-Fi et les portables sont brouillés. Eva commande un « Singapore Sling », et, Ly, un « Manhattan ».
— Je vais devoir m’absenter quelques semaines, lui dit-il en lui prenant la main.
— Ce n’est pas la peine que je te demande ce que tu vas faire, je suppose ?
Il s’attendait à ce qu’elle lui pose cette question et il a préparé sa réponse :
— Je vais essayer de vaincre le mal par un autre mal, comme le disait Sartre dans « Les Mouches ».
Eva sait qu’il n’en dira pas plus que cette phrase énigmatique et elle passe à autre chose :
— L’autre nuit, j’ai rêvé que tu retournais au pays de tes ancêtres.
— Mes ancêtres, c’est ici qu’ils se trouvent, à présent : ils dorment dans le cimetière, juste derrière. On apprend beaucoup en se promenant dans les cimetières, tu sais, Eva. Et puis, on peut faire des rencontres intéressantes. Chez nous, les Hmong, les hommes ont trois âmes et, après leur disparition, l’une d’entre elles reste parmi les vivants. Qui peut dire, comme moi, qu’il a parlé à tous ces morts fameux, les Bartholdi, César, Soutine, Baudelaire, Kessel, Beckett ou Gainsbourg que j’ai rencontré là-bas ?
J’attends un enfant de toi
— Tu es fou, mon chéri, lui répond Eva en lui prenant la main. C’est pour ça que je t’aime.
Après le dîner – chili con carne pour lui, tartare de bœuf pour elle – il la raccompagne rue de Médicis. C’est dans l’ascenseur qu’elle lui dit, sans le regarder :
— J’attends un enfant de toi, Ly. Même si tu ne reviens pas, je le garderai, en souvenir de nous…
A suivre…