Gavroche poursuit la publication des analyses sanitaires très pertinentes de Sam Rainsy, chef de l’opposition Cambodgienne en exil. Depuis plus d’un an, celui-ci préconise une distinction de statut immunologique dans la lutte contre la pandémie de COVID-19, en distinguant notamment les anciens malades maintenant immunisés à qui on devrait attribuer un “passeport immunitaire”.
Une analyse de Sam Rainsy
Dans Gavroche du 9 avril 2021, j’ai rappelé que « l’erreur a été de traiter tous les individus de la même façon, de les mettre tous “dans le même panier”, c’est-à-dire de les soumettre tous aux mesures sanitaires d’ordre général prises à l’échelle nationale, notamment pour les confinements, déconfinements et reconfinements ». Ce manque de discernement peut être particulièrement lourd de conséquences au niveau des politiques de vaccination.
Immunité des anciens malades maintenant reconnue
Il y a un an, on n’était pas encore sûr que l’immunité acquise par les anciens malades serait durable étant donné le caractère très récent de la COVID-19. Ainsi, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a mis en garde le 24 avril 2020 contre la création d’un “passeport immunitaire” pour les anciens malades parce qu’il n’y avait “pas de preuve” que les personnes qui s’étaient rétablies de cette maladie et avaient développé des anticorps, seraient à l’abri d’une seconde infection. En d’autres termes, on n’était pas sûr que les anciens malades étaient vraiment immunisés. L’OMS basait son jugement sur le fait que l’on ne disposait pas d’assez de recul pour être certain que les anticorps sécrétés par ceux qui avaient surmonté la maladie dureraient assez longtemps pour continuer à les protéger au-delà d’un laps de temps relativement court (1).
Mais peu après la mise en garde de l’OMS, des observations scientifiques rigoureuses sont venues continuellement contredire son jugement initial. Ces observations analysées par des chercheurs qualifiés et portant sur des dizaines de millions de cas réels recensés à travers le monde, montrent que l’immunité acquise naturellement après un contact infectieux avec le coronavirus est aussi réelle et dure au moins aussi longtemps que l’immunité engendrée par les meilleurs vaccins nouvellement mis au point.
Revoir le passeport immunitaire
Dans un article dans The Geopolitics du 12 janvier 2021 intitulé “The World Health Organization Must Revise Its Stance on Covid-19 Immunity Passports”, j’ai appelé l’OMS à revoir sa position sur le passeport immunitaire sur la base des plus récentes observations scientifiques (2). L’OMS a attendu jusqu’au 10 mai dernier pour rectifier très timidement sa position sur l’immunité des anciens malades (3), et elle reste un peu en porte-à-faux avec l’Union Européenne qui, dès le 1er juillet 2021, va délivrer un “pass sanitaire” aussi bien aux personnes complètement vaccinées qu’aux anciens malades, les deux groupes étant considérés comme ayant le même degré d’immunité contre la COVID-19.
Pragmatisme anglais
Après un flottement initial, c’est le pragmatisme des Anglais qui attire notre attention et mérite notre considération.
Nos voisins d’Outre-Manche ont très vite compris la réalité et l’importance de l’immunité naturelle engendrée par la contamination – très souvent asymptomatique – par la Covid-19. Dès avril 2020, c’est-à-dire au tout début de la pandémie, le Royaume Uni envisageait d’émettre un “passeport immunitaire” pour “sortir au plus vite du confinement” en toute sécurité (4).
Puis, en janvier 2021, en étant logiques avec eux-mêmes et avec la science, les Britanniques ont lancé un débat sur l’opportunité – ou pas – de vacciner les anciens malades qui étaient déjà immunisés, et cela dans un contexte de pénurie criante de vaccins qu’il fallait savoir économiser en déterminant les cibles de vaccination prioritaires (5).
Pas d’effet en France
En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) juge qu’”il n’y a pas lieu de vacciner systématiquement les personnes déjà contaminées” et reconnaît par là que la vaccination serait inutile pour les anciens malades. Mais cet avis n’a pas été suivi d’effet. A la limite, la HAS préconise une seule dose de vaccin pour les anciens malades, jugeant que ceux-ci bénéficient déjà au moins d’un début d’immunité.
Mais c’est dans le mode d’administration des vaccins et la priorisation des cibles de vaccination – toujours dans un contexte de pénurie de vaccins – que les Anglais ont fait le choix le plus judicieux, même en ne respectant pas à la lettre le protocole de deux doses successives relativement rapprochées recommandé par les fabricants de vaccins.
En effet, les autorités britanniques ont délibérément décidé, pour pratiquement tous les candidats à la vaccination, de retarder l’administration de la deuxième dose. Cette approche repose sur le fait que la première dose confère un début d’immunité satisfaisant au moins pendant un certain temps, et que ce répit doit être mis à profit pour administrer la deuxième dose prévue pour la même personne à une autre personne plus vulnérable. Celle-ci bénéficiera alors d’une protection relative mais jugée suffisante pendant un certain temps. Ce faisant, on pourra protéger plus de personnes tant bien que mal pendant un temps donné, en attendant l’arrivée de contingents supplémentaires de vaccins qui permettront d’administrer une deuxième dose à chaque personne afin de consolider et prolonger son immunité comme prévu dans le protocole initial.
En tout cas, le résultat est là, à travers la courbe du nombre de décès quotidiens dus à la COVID-19, qui au Royaume Uni chute beaucoup plus nettement et plus rapidement qu’en France où les autorités n’ont pas adopté cette approche pragmatique tenant compte du degré de l’immunité obtenue dès la première injection.
Depuis avril, le nombre de décès quotidiens dus à la COVID-19 est tombé pratiquement à zéro au Royaume Uni alors qu’il pouvait encore varier de 200 à 300 en France.
Leçon pour les pays pauvres
C’est dans les pays pauvres et très peuplés que la distinction de statut immunologique permettra de sauver le plus de vies humaines. C’est dans ces pays asiatiques, africains et latino-américains que les vaccins manquent le plus et qu’il faut le mieux gérer leur utilisation. Les anciens malades immunisés sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le croit généralement et on peut les identifier facilement par un test PCR positif datant de plus de 15 jours, comme pour la délivrance du “pass sanitaire” européen. Ces anciens malades devraient céder leur place, au moins temporairement, aux autres candidats à la vaccination plus vulnérables parce qu’ils n’ont pas encore été touchés par le virus de la COVID-19.
Sam Rainsy
Notes:
(1) World Health Organization, 24 April 2020
“Immunity passports” in the context of COVID-19, Scientific Brief – Retrouvez le lien ici
(2) The New York Times, 26 mai 2021
“Immunity to the Coronavirus May Persist for Years, Scientists Find”
(3) World Health Organization, 10 May 2021
COVID-19 natural immunity, Scientific Brief
(4)Business Insider, 4 avril 2020
“The UK plans to issue coronavirus ‘immunity passports’ so people can leave the lockdown early”
(5) The Telegraph, 16 janvier 202
“Ministers accused of wasting scarce jabs by vaccinating people with Covid immunity”