Notre chroniqueur François Doré, spécialiste de littérature coloniale indochinoise, nous avait fait découvrir le personnage de Jeanne Leuba, cette romancière passionnée par le Cambodge. Il revient dans cette chronique sur la deuxième partie de la vie de cette femme littéraire…
Une chronique littéraire et historique de François Doré
Comme les jeunes femmes de la communauté occidentale de Hanoï, dans ces années trente, ont dû être heureuses de lire ces nouvelles où leur sœur Jeanne Leuba ( 1882 – 1979) mettait à mal avec beaucoup d’humour, leurs compagnons masculins !
Le Métis Ensorcelé est le titre d’un recueil paru en 1941 où Jeanne Leuba a choisi l’humour pour nous présenter en cinq délicieuses nouvelles des curiosités d’humanités qui pourtant étaient destinées au plus inhumain des abandons : sans jamais sombrer dans une grivoiserie scabreuse, la romancière nous raconte avec son brio habituel et l’élégance de son écriture, les aventures de quelques phénomènes : Épouser une femme blanche !
C’était là le rêve de Pierre Dubois. Hélas, toutes se détournaient de lui, pauvre enfant dont le père, douanier à Cao-Là dans le sud cochinchinois, avait eu pour compagne une jolie femme hindoue aux yeux de gazelle.
Le métis malabar
Malgré ses bonnes études à Saïgon et un solide emploi de commis des Postes, aucune des jeunes filles de la colonie ne voulait de ce ‘pain-d’épices’, métis malabare, pour mari.
Et un jour, voilà que Pierre voit apparaître sur sa jolie peau bronzée, des taches blanches qui petit à petit vont recouvrir tout son corps. Le médecin consulté lui confirma : ‘dans peu de temps, vous serez encore plus blanc que moi !’. Mais alors, cette épouse blanche dont il rêvait, pourrait-elle maintenant l’accepter ?
Viendra ensuite l’histoire de Marguerite Visitat, cette jolie femme, vieillie avant l’heure, que sa sœur va transformer en un redoutable Don Juan qui va conquérir le fils de l’amour d’enfance qui l’avait autrefois rejetée…
Petite campagnarde
Et encore, quelle histoire incroyable que celle de Minique, cette si jolie petite campagnarde de quinze ans, rejetée par son rustaud de promis et qui avait voulu se suicider. Tout ça parce que Dominique était née femme à barbe ! Et c’est plus tard, que, une fois travestie en un élégant jeune homme, elle pourra enfin revenir se venger de celui qui l’avait tant humiliée.
Et ce brave Chocolat, pauvre paysan pataud qui par deux fois devra renoncer en pleurs à sa nuit de noces.
Enfin, l’histoire merveilleuse de Camille, superbe fille, gloire de la piscine du Cercle Nautique de Saïgon, mais dont la beauté si équivoque la faisait tant ressembler à un garçon ? Et c’est avec une angoisse sourde qu’elle voyait s’approcher la date de son mariage avec Georges…
Plantes vénéneuses
Un étonnant bouquet de plantes vénéneuses, qui toutes trouveront une fin surprenante, où le pauvre être disgracié prendra sa revanche contre une nature ingrate, et où bien souvent, le mâle encombrant sera ridiculisé ou cocufié…
Jeanne Leuba aime à déchiffrer les secrets enfouis des familles bourgeoises. L’action de ce dernier grand ouvrage de la romancière, publié en 1942 à Saïgon, va se dérouler successivement dans les appartements cossus du XVIè parisien, et les décors de rêve du Cap Bon.
Une histoire compliquée où des femmes du meilleur monde, vont comparer leurs échecs sentimentaux et arriver à en déduire que l’homme est un être pétri d’égoïsme et que l’on ne peut lui faire confiance.
Pathétique histoire de son héroïne, Monique Fontarège, qui va se déguiser en femme de compagnie auprès de sa peste de fille naturelle pour essayer de la remettre dans le droit chemin. Hélas, là encore, la marque odieuse du caractère paternel rendra inutiles tous les efforts de Monique pour redonner à sa fille, un peu d’humanité.
Que de tristesses, de lâchetés et de dégoûts dans des existences étroites et méprisables…
Heureusement, après tant d’épreuves, pour Monique, c’est dans les éblouissements du soleil toulonnais que le bonheur viendra frapper à sa porte…
François Doré.
Librairie du Siam et des Colonies.