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Le procès kafkaïen de Yingluck Shinawatra

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 03/11/2017
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Trois ans après avoir été élue Première ministre à une très large majorité, Yingluck Shinawatra était destituée par la Cour constitutionnelle pour avoir transféré un fonctionnaire d’un poste à un autre – pour des raisons que la Cour administrative avait jugées hypocrites. Quelques jours après, Yingluck était renversée par un coup d’Etat militaire pour n’avoir pas su restaurer l’ordre suite à sa destitution.

 

Quelques mois plus tard, une assemblée nommée par la junte militaire décidait de procéder à un « impeachement » rétroactif de Yingluck, et ce, pour avoir déposé un amendement (in)constitutionnel l’année précédente. Deux ans après, sa fortune était gelée, puis saisie pour rembourser les « pertes » infligées à l’Etat par son programme de subventions aux riziculteurs. Enfin, le 25 août dernier, un mandat d’arrêt fut lancé contre elle pour ne pas avoir fait cesser lesdites pertes. Le 27 septembre, elle a probablement été condamnée, au moment où nous mettons ce numéro sous presse, in abstentia à x années d’emprisonnement ferme pour « négligence ».

 

Un tel acharnement n’a d’égal que celui s’étant abattu il y a plusieurs années sur son frère aîné, Thaksin Shinawatra, qui avait vu tour à tour, à l’issue d’un coup d’Etat à son encontre, son parti dissous, son inéligibilité déclarée, sa fortune gelée, puis saisie, et enfin sa condamnation à deux ans de prison ferme par contumace. De nombreuses autres affaires étaient alors entre les mains de la « Commission pour l’Examen des Actes ayant Commis des dommages à l’Etat » spécialement conçue pour s’occuper de la mise en examen de Thaksin. Aujourd’hui, c’est la Commission Nationale Anti-Corruption (NACC) qui détient une dizaine d’autres affaires pour condamner encore Yingluck, si besoin est.

 

Le verdict rendu le 25 août dernier mérite quelques explications, ou plutôt, une fiche technique. Face à l’opacité de l’ensemble de l’affaire – en effet, aucun document, et surtout pas le jugement de la Cour, n’a été rendu public, quand le site internet de la juridiction suprême renvoie le message suivant « 403.Forbidden » – permettez-moi d’aller à l’essentiel. Qui sont les accusés ? En tout, une trentaine de personnes étaient en cause dans l’affaire des subventions aux riziculteurs, dont Yingluck Shinawatra et l’ensemble des membres du comité de pilotage du programme.

 

Quels sont les faits reprochés ? On accuse Yingluck et ses ministres de malversation dans la gestion du projet de subventions du riz, consistant en la vente de riz à des entreprises chinoises ne représentant pas le gouvernement chinois qui auraient ensuite revendu aux Thaïlandais et à profit le riz ainsi acheté à bas prix.

 

Quels sont les fondements juridiques de l’accusation ? Pour Yingluck, l’article 157 du Code pénal sur la « négligence » pour ne pas avoir mis un terme aux actions de ses ministres, notamment son ministre du Commerce Boonsong Teriyapirom, qui est également accusé en vertu de la Loi Organique contre la Corruption.

 

Selon quelle procédure l’affaire a-t-elle été portée directement devant la Cour suprême ? La Commission Nationale contre la Corruption a saisi le Procureur qui a saisi la Division Spéciale de la Cour Suprême. Créée par la Constitution de 1997, sa raison d’être est la rapidité avec laquelle elle travaille, l’objectif étant de destituer des hommes politiques pour des faits réalisés pendant l’exercice de leur mandat, et ce, alors qu’ils sont encore au pouvoir.

 

Comment les juges à la Chambre spéciale de la Cour suprême sont-ils choisis ? La Cour est composée d’un panel de neuf juges élus séparément pour chaque affaire, et ce, au cours d’une Assemblée générale extraordinaire de la Cour suprême. Les candidats étant généralement peu nombreux, les volontaires ont toutes les chances de pouvoir se saisir des affaires qui les intéressent. Par exemple, l’un des juges en charge du procès de Yingluck, Thanit Keswaphitak, avait condamné Thaksin à deux ans de prison ferme en 2008 après avoir, en tant que juge à la Cour constitutionnelle, voté en faveur de la dissolution du parti Thai Rak Thai en 2007.

 

Quelle méthode est adoptée par la Cour ? La méthode est hybride, à la fois inquisitoriale et accusatoire. Les audiences ont lieu au bâtiment de la Cour Suprême au Nord de Bangkok dans le grand complexe des fonctionnaires, dans une froide et imposante théâtralité, les juges surplombant de presque un mètre l’accusée entourée de ses avocats.

 

Finalement, les sentences rendues sont d’une incroyable sévérité. L’ancien ministre du Commerce, Boonsong Teriyapirom, écope d’une peine de 42 ans, son ancien assistant Poom Sarapol, de 36 ans, Manas Soiploy, l’ancien directeur général du Département du Commerce Extérieur, de 40 ans, et son assistant Tikhumporn Natvaratat, de 32 ans. Akharaphong Theepwatchara, ancien directeur du Bureau du Commerce du Riz, s’en sort comparativement bien avec 24 ans. Yingluck, elle, ne risquait « que » dix ans de prison. Mais est-ce le jugement et la fuite de l’ancienne Première ministre qui comptent ? Comme l’écrivait Franz Kafka dans Le Procès, « le jugement n’intervient pas d’un coup ; c’est la procédure qui insensiblement devient jugement ».

 

Eugénie Mérieau

Chargée d’enseignement à Sciences Po Paris et à l’université Thammasat Bangkok. Elle est l’auteur de l’ouvrage Les Chemises rouges de Thaïlande (Irasec, 2013).

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