Après 70 ans de règne, Bhumibol Adulyadej (Rama IX), le roi de Thaïlande, s’est éteint hier à Bangkok à l’âge de 88 ans à l’hôpital Siriraj, là où la reine Sirikit, 84 ans, est aussi soignée depuis de longues années. Alors que tout le royaume ce matin s’est vêtu de noir et qu’un deuil national de un an a été déclaré, le chef du gouvernement, après avoir consulté le parlement lors d’une session extraordinaire tenue dans la soirée, a annoncé l’intronisation du nouveau roi, le prince héritier Maha Vajiralongkorn (futur Rama X), selon la volonté de son père. Le prince a déclaré hier soir « ne pas être encore prêt à devenir roi », souhaitant respecter une période de deuil avant son couronnement. Cette intronisation met fin aux nombreuses rumeurs qui ont circulé sur une succession en faveur de la princesse Sirindhorn au détriment de son frère mal-aimé dans le cœur des Thaïlandais. Elle confirme également que le royaume n’entrera pas dans une période de grande incertitude comme une majorité des observateurs, et des Thaïlandais, le pensait.
Prayuth Chan-ocha et la faction des Burapha Payak, plus connue sous le nom de « Tigres de l’Est », attachés au régiment de la Queen’s Guard (Garde de la Reine), se sont assurés, en prenant le contrôle du pouvoir politique suite au coup d’Etat de mai 2014, de ne laisser aucune chance à quelque opposition que ce soit de renverser l’Ordre établi et vont, dans les prochains jours et prochaines semaines, réaffirmer leur détermination à ce que la succession se déroule comme elle se doit : sans heurts ni contestation.
Toute tentative de déstabilisation semble vouée à l’échec, voire impossible, tellement la domination des « Tigres » et leur pouvoir semblent incontestables ; qu’elle vienne des anti-royalistes, minoritaires et pourchassés, des ennemis politiques, complètement muselés, exilés ou en prison, ou du peuple lui-même, profondément attaché à l’institution royale et qui a récemment validé la nouvelle constitution présentée par la junte militaire lors d’un referendum, constitution qui protège encore un peu plus la monarchie et le contrôle de l’exécutif par l’armée.
Quant à l’autre faction royaliste et militaire (les deux étant liées) dominante, appelée Wongthewan (Garde du Roi), la plus puissante historiquement de l’armée thaïlandaise et la seule en théorie capable de pouvoir renverser le Pouvoir établi et sa clique, elle s’est ralliée, avec l’appui de Prem Tinsulanonda, 96 ans, le très influent président du Conseil du Roi, à Prayuth. Preuve en est : la nomination récente à la tête des forces armées du général Chalermchai Sittisart, attaché à la Garde du Roi et qui a déclaré son allégeance à Prayuth dès sa nomination. Ce bouleversement rare de la tradition et de la hiérarchie (le plus haut poste de l’armée aurait dû revenir à un général « Tigre ») est un signe fort de l’unité de l’armée thaïlandaise aujourd’hui et du pouvoir quasi absolu du chef de la junte.
La mort du Roi Bien-Aimé marque paradoxalement la fin d’une longue période d’instabilité et de bataille pour le pouvoir déclenchée par Thaksin Shinawatra (chef du gouvernement de 2001 à 2006), qui a tenté à partir de 2004 de prendre le contrôle de l’armée, et plus précisément de la faction Wongthewan, et à qui l’on attribuait des liens supposés avec le Prince Héritier et son entourage.
Une tentative qui a déclenché la montée en puissance des Tigres de l’Est, qui ont initié sa chute en l’éjectant du pouvoir en 2006 avec la complicité de généraux ralliés à Prem. Jouissant d’une grande popularité, notamment auprès des populations démunies grâce à ses réformes populistes et ses succès économiques qu’il a utilisés comme arme politique, Thaksin a alors tenté de reprendre le contrôle, sans succès malgré plusieurs gouvernements voués à sa cause, dont celui de sa sœur, déposée par un coup d’Etat en mai 2014.
Ces années de troubles politiques qui auront fait de nombreuses victimes civiles ont ainsi contribué à asseoir la domination des « Tigres » au sein du Pouvoir établi, supportés par les ultra-royalistes descendus dans la rue et une majorité des classes affairistes et dominantes du royaume qui ont eu peur de perdre leurs acquis et privilèges devant la montée du populisme, de la démocratie inclusive et de l’ingérence des mouvements politiques qui contestaient leur mainmise quasi absolue sur les richesses et les affaires du pays.
A l’heure où le pays entre dans une longue période de deuil, le royaume ne pouvait pas être mieux armé pour accompagner la dynastie des Chakri, qui règne sur son peuple depuis plus de trois siècles.
Seule ombre au tableau, la question non résolue de l’insurrrection indépendantiste du sud profond de confession musulmane, qui conteste le pouvoir central et à qui l’on attribue la série d’explosions qui a secoué les stations banéaires du sud en août dernier. Un changement de roi ne viendra pas éteindre ce conflit qui a déjà fait 7000 morts depuis 2004.
Bangkok, 14-10-2016
Philippe Plénacoste