La lutte contre la pandémie est présentée comme un point fort par la junte militaire depuis sa prise du pouvoir le 1er février. C’est même l’un des deux objectifs explicites de la « Feuille de route en 5 points » du Conseil d’administration de l’État (SAC). Or force est de constater que l’on est très loin du compte en ce début de mois de juillet, tant sur le plan sanitaire qu’économique.
Une analyse de François Guilbert
A vrai dire, les autorités putschistes birmanes sont totalement dépassées par la troisième vague pandémique qui s’est faite jour en provenance de la frontière indienne depuis le début du mois de juin. Alors que le gouvernement civil de Daw Aung San Suu Kyi su lui faire face à partir de la mi-mars 2020 et l’apparition des premiers cas, puis lors de la 2ème vague de septembre 2020 à janvier 2021, les successeurs en kaki ne se montrent pas eux à la hauteur des défis auxquels ils sont confrontés.
Politiquement, le sujet n’est d’ailleurs pas géré au plus haut niveau de l’appareil d’État et aucune campagne de prévention de grande ampleur n’est en cours. Alors que la cheffe du gouvernement évincée pilotait les réunions interministérielles de coordination et demandait la semaine dernière encore à ses concitoyens d’être vigilants selon les propos rapportés par son avocat, actuellement la présidence du Comité de contrôle et d’intervention d’urgence COVID-19 n’est plus assurée par le plus haut responsable du pouvoir exécutif mais par le numéro 2 de l’armée, le général Soe Win. Par ailleurs, dans le fonctionnement des institutions, le ministre de la Santé n’a plus la place éminente et la grande influence qu’il avait su conquérir au début de la crise.
Au fait des dossiers
Le ministre de la Santé choisit par l’armée est pourtant un homme au fait des dossiers et du sérail puisqu’il fut jusqu’en février 2021 le secrétaire permanent du département ministériel dont il a dorénavant la charge. Chaque jour qui passe souligne combien le professeur Thet Khaing Win n’a pas le poids politique de son prédécesseur le docteur Myint Htwe, ni même la visibilité médiatique de son rival du gouvernement d’unité nationale (NUG), le docteur Zaw Wai Soe. Cette faiblesse ne lui permet pas dans les faits d’obtenir les moyens dont il a besoin. Il ne pèse pas suffisamment pour la mise sur pied au plus vite d’une politique de santé d’endiguement d’ampleur. Il n’a d’ailleurs jamais été appelé à détailler publiquement la politique de son gouvernement. Cette « discrétion » ne doit pas cacher la gravité de la situation et l’amplitude de l’inaction des chefs de l’armée.
Statistiques publiées
Même si les données statistiques publiées par les autorités compétentes sont sujettes à caution, la Birmanie est confrontée depuis près d’un mois aux variants Alpha, Delta et Kappa ainsi qu’à une croissance exponentielle de ses cas asymptomatiques ou non. Les données récemment publiées donnent le vertige bien qu’il soit actuellement effectué moins de la moitié des tests réalisés en janvier 2021. Si le nombre de décès répertorié est faible (13 morts pour la journée du 1er juillet), les contaminations se multiplient aux quatre coins de la nation. La situation est devenue si grave que les mesures territoriales se multiplient. Il a été ainsi édicté des décisions de confinement (Stay at home !) dans 26 townships de 6 États et régions et cela pourrait bien être qu’un début. A Nay Pyi Taw, les restaurants ne peuvent plus à nouveau accueillir de clients, sauf pour de la vente à emporter.
Selon les tests de Covid-19 effectués le 1er juillet sur 9457 personnes, 2070 (21.8%) se sont avérés positifs. Une situation alarmante car le seuil des 2000 cas détectés en une seule journée n’a été franchi qu’à une seule reprise en 18 mois : le 10 octobre 2020 et à cette époque les autorités sanitaires étaient capables de conduire un bien plus grand nombre de tests qu’aujourd’hui. Tout le territoire national est dorénavant menacé d’une progression exponentielle de la maladie. Néanmoins, 80 % des nouveaux cas ont été identifiés dans 5 État et régions (Bago : 22 % ; 20 % Sagaing : 20 % ; Shan ;: 14 ; Rangoun : 14 ; Mandalay :10 %).
Le virus en pays bamar
Cette répartition laisse à penser que c’est au cœur du pays bamar que le coronavirus se propage actuellement le plus vite. Cette hypothèse est plausible mais elle n’en suscite pas moins quelques doutes car cette géographique pandémique se superpose trop bien avec le cœur de la contestation politique et armée au régime imposée par la force par la Tatmadaw. De nombreux observateurs se demandent si la COVID-19 n’est pas un prétexte pour des autorités en difficultés pour imposer des confinements stricts là où elles n’arrivent pas à asseoir leur pouvoir.
Si une telle manœuvre semble bien avoir été engagée notamment dans l’État Chin et la région du Sagaing, il n’en demeure pas moins que la COVID-19 se diffuse ces jours-ci à grande vitesse en Birmanie. Elle menace de morts de nombreux Birmans mais également les pays voisins, à commencer par la Chine et la Thaïlande même si Nay Pyi Taw a décidé de fermer les liaisons aériennes commerciales extérieures jusqu’au 31 juillet et a fortement contraint les déplacements intérieurs. Jusqu’au 15 juillet, les vols à destination ou en provenance de Dawei, Myeik et Kawthaung (région du Tanintharyi), de Kalay (région de Sagaing), de Tachileik et Kengtung (État Shan) ont été suspendus. Ces mesures restrictives sont utiles mais insuffisantes au regard de l’ampleur de la diffusion du virus. La mort rode car les hôpitaux des plus grandes villes sont d’ores et déjà débordés. Depuis une semaine, les hôpitaux de Mandalay n’ont plus de lits disponibles.
Quant aux services de ranimation de Rangoun, ils sont au maximum de leurs capacités. Ailleurs, les situations sont toutes aussi critiques. Impossible de surcroît de déplacer un malade d’une province à l’autre. Les moyens humains et matériels (ex. bouteilles d’oxygène) manquent, y compris dans le système hospitalier de la capitale. Chaque semaine, ce sont donc des dizaines de patients qui décèdent faute de soins, la COVID-19 n’étant qu’une des causes de la mortalité croissante. Le coronavirus amplifie d’autant plus la catastrophe qu’il met à mal les rares ressources humaines disponibles. Le corps médical est lui-même sévèrement atteint, amputant un peu plus encore les capacités d’action de l’État.
Conséquence de la crise politique
La catastrophe liée au coronavirus qui s’annonce n’est pas seulement le fruit de la dynamique pandémique, elle est également la conséquence de la crise politique qui secoue la société toute entière. Le ministère de la Santé et des Sports se montre globalement incapable de faire face, faute de stratégies et de moyens. Il annonce des moyens qui en réalité n’existent pas. Joindre l’un des numéros d’appel d’urgence est une gageure. Un tiers seulement des hôpitaux du pays fonctionne à peu près normalement. De nombreux personnels soignants sont toujours en grève, 5 mois après le début du mouvement social tandis que plus d’un tiers de tous les effectifs a été licencié pour des raisons partisanes par le pouvoir central. L’ancienne cheffe du programme de vaccination contre le COVID-19, la doctoresse Htar Htar Lin, a elle-même été arrêtée le 10 juin. Elle fait face à des accusations de haute trahison pour collusion avec des opposants aux autorités militaires et encourt une lourde peine de prison. A ces mesures individuelles pesantes sur la santé publique se sont ajoutées des mesures administratives prématurées telles que la fermeture des centres d’isolement où étaient placées d’office les personnes testées positives. Il est en outre devenu impossible de recourir aux centres de quarantaine qui avaient été instaurés dans les établissements scolaires, ceux-ci étant censé accueillir leurs élèves depuis le 1er juin. L’administration n’a pas su ou voulu trouver d’infrastructures alternatives.
Les responsables de SAC peuvent en outre se montrer hostiles à toute aide extérieure. Ainsi les personnels travaillant pour les Nations unies n’ont pas été autorisées à être vaccinées par leur employeur notamment à Myitkyina (État Kachin). En outre, la confiance dans l’État s’étant effondrée, le pouvoir ne peut plus compter sur les milliers de volontaires qui s’étaient spontanément mis au service de leurs concitoyens malades voire. Il en est de même pour les financements d’entreprises privées venus soulager le budget de l’État en prenant à leur charge la construction et la gestion de nombreux centres de quarantaines et de soins. L’hostilité suscitée par le pouvoir autocratique est telle qu’une très grande majorité de Birmans refuse de se faire inoculer les rares vaccins disponibles car cet acte médical, aussi banal soit-il, est tout simplement jugé comme l’expression d’une collaboration avec le régime honni. Cette attitude s’exprime jusque dans les rangs médicaux, y compris par des personnels qui ont reçu une première dose avant février 2021.
Dans ce contexte, il n’y a plus de plan vaccinal en marche. Les patients s’y refusent ainsi qu’une bonne part du corps médical. Le refus de l’armée de fournir des détails sur son programme de vaccination a encore aggravé la situation. Le programme mondial de partage de vaccins (COVAX) a dû retarder une expédition de 5,5 millions de doses en mars, faute d’informations adéquates. Un point de blocage si persistant qu’il n’y a aucune nouvelle expédition prévue au niveau multilatéral. Se refusant à collaborer de manière générale avec les instruments onusiens, le régime semble vouloir s’en remettre à la Russie et à la Chine, son fournisseur historique indien étant lui-même confronté gravement aux effets de la pandémie.
Lors de la visite en Russie il y a dix jours, le général Min Aung Hlaing aurait conclu un accord pour acheter 2 millions d’unités de vaccin Sputnik ( 1 ) et 3 machines de tests PCR. Dans un deuxième, il pourrait être opéré une livraison de 5 millions de doses supplémentaires. Aucune date de livraisons n’a été précisée publiquement. Le ministère de la Santé aspire de son côté selon la propagande à acheter de nouvelles doses à Pékin et incite les entreprises de l’armée à produire des masques de protection.
Tous ces efforts pourraient bien se révéler vain pour faire obstacle au virus. Les moyens espérés sont non seulement très limités au regard des besoins mais la population pourrait bien les rejeter, au nom de la lutte totale engagée contre les responsables du coup d’État. L’opinion a d’autant moins confiance dans la gouvernance militaire que celle-ci est capable d’instrumentaliser de manière sordide la COVID-29. Des corps de prisonniers suppliciés par les tortionnaires du régime ne sont pas rendus aux familles au motif qu’ils seraient décédés des suites coronavirus alors qu’ils sont entrés quelques jours plus tôt en bonne santé dans les centres de détention où ils ont trouvé la mort.
Quant à la politique du médicament, elle est, elle, mise à mal par un nouvel arrêté qui veut que tout produit fabriqué en Birmanie ne peut être concurrencé par un remède importé. Compte tenu de la médiocrité de certaines médications industrialisées localement, l’effet risque d’être dévastateur dans le cas de certaines pathologies (ex. lutte contre le paludisme, la tuberculose ou la dengue). La pérennité d’une telle politique ouvre la voie à de vives polémiques sanitaires futures voire à de véritables scandales. Au nom de la défense de l’industrie locale, la junte n’en a certainement cure mais cette approche se fait sans conteste au détriment de la santé de dizaines de milliers de Birmans. En attendant une chose est sûre, l’objectif recherché par le gouvernement civil en début d’année de vacciner 15 millions de personnes d’ici la fin de l’année 2021 paraît d’ores et déjà inaccessible. Plus scandaleux, la plupart des personnes vulnérables, à commencer par les individus les plus âgés ou les personnels de santé, ne seront pas protégés.
Moins de 5% de la population vaccinée
A la fin du 1er semestre 2021, c’est moins d’un quart de la population visée par le plan national de vaccination de cette année qui a bénéficié au mieux d’une injection et bien moins de 5 % de la population totale. Les forces de sécurité (armée, police) et leurs familles même si elles bénéficient d’un accès privilégié aux vaccins ( 2 ), toutes n’ont pu en profiter. Il en est de même des milieux religieux dont les putschistes se veulent d’ardents défenseurs. Enfin, contrairement à ce qu’a cherché à faire croire la propagande des premiers temps du nouveau régime, le système de santé des forces armées n’a pas été mis en situation de se substituer à la défaillance des institutions publiques civiles. Comme il est hors de question de faire appel au secteur privé, clinique ou associatif, peu de civils seront immunisés dans les mois qui viennent des formes les plus graves de la COVID.
Le régime implanté par la Tatmadaw n’arrive pas à faire obstacle aux foyers qui prospèrent dans ses casernements et montre une totale indifférence aux risques sanitaires encourus dans les États ethniques, les périphéries urbaines surpeuplées et aux foyers potentiels que constituent les marchés, les entreprises, les espaces religieux et les lieux de privation des libertés. Ironie de ce comportement pour le moins désinvolte, le Conseil d’administration de l’État poursuit devant les tribunaux le président de la République U Win Myint, la Conseillère pour l’État Daw Aung San Suu Kyi et de nombreux élus de la Ligue nationale pour la démocratie pour ne pas avoir respecté pendant la campagne électorale de 2020 les règles prudentielles édictées par le ministère de la Santé et des Sports visant à lutter contre la propagation de la COVID-19. Alors, la diffusion virale s’avérait pourtant bien plus lente et moins dramatique qu’aujourd’hui, les recommandations comportementales bien mieux mises en œuvre et agrées par la population.
François Guilbert
Note: Selon le porte-parole du ministère de la Santé, sur les 500 000 doses de Sinopharm données par la Chine, 200 000 ont été réservés aux militaires.