A deux jours des grandes manifestations de lundi par les opposants au gouvernement qui vont tenter de « bloquer » Bangkok, le royaume est plongé dans l’incertitude quant à l’issue de cette crise politique qui divise le pays en deux. Des violences, dans la capitale ou d’autres villes du pays, entre pro et anti-gouvernementaux ne sont pas à exclure, alors que plusieurs opposants au gouvernement ont été pris pour cible cette nuit à Bangkok par des tireurs non identifiés (un mort, sept blessés).
Il était 2h45 dans la nuit de vendredi à samedi quand une fusillade a éclaté à une intersection de l’avenue Ratchadamnoen, à proximité du site où sont rassemblés depuis deux mois les supporters du PDRC (Comité du Peuple pour la Réforme de la Démocratie) emmenés par Suthep Thaugsuban, chef de file des opposants au gouvernement. Selon le site du quotidien anglais Bangkok Post, une personne est décédée et sept autres ont été blessées par balle.
Si l’identité des victimes n’était pas encore connue ce matin, il semble qu’un groupe de manifestants ait été pris pour cible par une ou plusieurs personnes non identifiées.
Ce drame suit plusieurs attaques à main armée par des inconnus qui ont déjà fait trois victimes depuis le 26 décembre, dont un policier.
Alors que les Bangkokois se préparent à vivre une semaine difficile suite à l’annonce de l’opposition de paralyser la capitale thaïlandaise en dressant des lundi matin des barrages à de nombreuses intersections du grand centre-ville, la tension est palpable dans d’autres villes du pays où plusieurs confrontations ont déjà eu lieu entre pro et anti-gouvernementaux.
A Bangkok, les événements de cette nuit confirment ce que Yingluck Shinawatra a annoncé hier en conférence : la cheffe du gouvernement craint des interventions d’une « troisième force » dont le but serait de provoquer des violences et de répandre un climat de peur parmi les manifestants.
Ces « hommes en noir » comme on les appelle souvent, qui appartiennent à des organisations ou groupuscules extrémistes agissant dans l’ombre et principalement la nuit, sont déjà « intervenus » à de nombreuses reprises dans les joutes politiques de 2006, 2007 et 2008, semant la terreur en tirant sur des manifestants où en faisant exploser des grenades dans la foule.
Ce sont eux qui, en avril 2010, lors d’une manifestation des Chemises rouges pro-Thaksin, sont accusés d’avoir pris pour cible des militaires, tuant un commandant et un journaliste japonais. Cette action avait alors déclenché une répression de l’armée – dans une capitale alors placée sous l’état d‘urgence – qui s’était soldée un mois plus tard par un bilan dramatique (91 morts).
Un tel scénario peut-il se répéter ?
La police, dont 15 000 à 20 000 hommes vont être mobilisés dès ce week-end, sera en charge du maintien de l’ordre, l’armée étant confinée à un rôle de soutien dans le dispositif mis en place par le CAPO, le centre de crise du gouvernement. Les consignes reçues – éviter tout recours à une répression violente contre les manifestants – devraient être suivies, alors que les leaders de l’opposition ont annoncé de leur côté des démonstrations pacifistes.
Mais il n’est pas à exclure des débordements par des groupes d’opposants incontrôlables qui se verraient refuser l’accès à un bâtiment public par exemple (comme cela a déjà été le cas en novembre et décembre derniers) où qui se retrouveraient confrontés à des contre-manifestants s’opposant au blocage de la capitale.
Il n’est pas à exclure non plus de nouveaux incidents provoqués par des groupuscules armés qui peuvent agir aussi bien contre les manifestants que contre les forces de l’ordre, policiers et militaires.
Il est fort probable que leurs commanditaires, regroupés sous l’appellation « Troisième force » par la Première ministre, appelés par d’autres les « forces de l’ombre », soient, depuis longtemps, identifiés par les différents services secrets du gouvernement et de l’armée, sans toutefois pouvoir les nommer publiquement ou les neutraliser.
Mais ce qu’il faut craindre le plus, ce ne sont peut-être pas les débordements à Bangkok, où les Chemises rouges sont sagement tenues à l’écart par leurs leaders, mais ailleurs, en province, où des groupes d’opposants, appelés à descendre dans la rue par Suthep et le PDRC, risquent de se confronter directement aux supporters du Yingluck.
Les incidents entre les deux camps survenus ces derniers jours à Chiang Mai, Ratchaburi ou récemment à Pathum Thani, aux portes de Bangkok, laissent craindre la montée d’un climat propice à une flambée de violence et d’exactions.
D’autant que les Chemises rouges ont l’intention d’organiser des rassemblements à la périphérie de la capitale dès lundi, et qu’elles bénéficient, on l’oublie trop souvent dans les débats actuels, d’un fort soutien parmi les classes besogneuses et défavorisées de Bangkok, travailleurs immigrés des provinces venus chercher un emploi, et qui pourraient à leur tour se mobiliser.
Si un tel scénario devait se produire sans que les forces de l’ordre ne parviennent à maitriser la situation, le gouvernement pourrait alors avoir recours à l’état d’urgence, obligeant l’armée à intervenir afin d’éviter l’escalade vers une guerre civile.
Les généraux, qui ne semblent pas vouloir déclencher un coup d’Etat « préventif » pour prévenir une telle situation et incitent les responsables des deux camps au dialogue, seraient alors les seuls capables de s’interposer. Un rôle au service des intérêts supérieurs de l’Etat qu’ils ne veulent pas endosser aujourd’hui, mais qui deviendrait incontournable si la situation, très tendue, tournait à la catastrophe.