Deux attentats contre des opposants au gouvernement ont fait un mort et des dizaines de blessés vendredi et dimanche à Bangkok. Les assaillants n’ont pas été identifiés alors que les deux camps s’accusent mutuellement. Un climat de terreur qui n’entame pas la détermination des leaders du mouvement d’opposition. Ces derniers ont appelé leurs supporters à bloquer à partir d’aujourd’hui toutes les administrations à Bangkok et dans les provinces du pays. De nouvelles violences sont à craindre.
Bombe, grenades, arme à feu : les moyens utilisés contre les manifestants pacifistes qui bloquent depuis une semaine plusieurs intersections de la capitale thaïlandaise en disent long sur l’escalade de la violence dans ce conflit qui enflamme le royaume depuis près de trois mois maintenant.
Alors que la police recherche activement un suspect repéré sur les caméras de surveillance dans l’explosion d’une bombe vendredi au passage d’un cortège emmené par Suthep Thaugsuban, le leader du mouvement de protestation, l’un des agresseurs de dimanche, sur le site du Monument de la Victoire occupé par les manifestants, a échappé aux gardes du PDRC (Comité du Peuple pour la Réforme de la Démocratie) en faisant exploser une deuxième grenade et en blessant par balle l’un de ses poursuivants. La première grenade, lancée vers la scène, a explosé près d’une tente réservée aux journalistes, blessant une reporter d’un quotidien local et une trentaine d’autres personnes.
Ces deux attentats perpétués en plein jour font suite à plusieurs attaques sporadiques à main armée visant les gardes du PDRC. Des attaques qui avaient eu lieu jusqu’à présent la nuit et qui ont fait plusieurs blessés par balle du côté des manifestants.
Le PDRC accuse le gouvernement d’être à l’origine de ces violences, alors que la police cherche à interroger un suspect identifié par les caméras de surveillance dans l’attentat de vendredi comme l’un des aides d’un ancien député du parti Démocrate, principal parti d’opposition à l’origine de la rébellion civile contre le gouvernement.
Les autorités ont déclaré de leur côté vouloir intensifier les dispositifs de surveillance autour des sites de manifestations et réclament la collaboration du PDRC qui ne laisse pas approcher les forces de police des sites occupés ou encadrer les marches.
Cinquante leaders du mouvement de rébellion sont sous le coup d’une accusation pour insurrection et incitation à la violence et ont été convoqués jeudi devant le DSI (Departement of Special Investigation) pour entendre les charges portées contre eux. Plusieurs d’entre eux, dont Suthep Thaugsuban, font l’objet d’un mandat d’arrêt. Mais les chances que les accusés se présentent devant le DSI sont maigres, ses bureaux étant encerclés par les manifestants…
Le gouvernement, qui a adopté une politique de « laisser faire » en évitant les confrontations directes entre les forces de l’ordre et les manifestants et en déplaçant les agences et ministères visés par ses opposants, redoute une escalade de la violence après que Suthep a appelé, dimanche soir, ses supporters à intensifier leurs actions en bloquant l’accès à toutes les agences gouvernementales afin de paralyser l’administration, objectif qu’il n’a pas encore réussi à atteindre jusqu’à présent.
Cette fois, le PDRC a appelé ses partisans à bloquer le travail de l’administration dans le Sud du pays, en majorité acquis à sa cause, mais aussi dans les provinces du Nord et du Nord-Est où ils risquent d’être attendus par les supporters du gouvernement.
Une situation à haut risque qui pourrait pousser Yingluck à déclarer l’état d’urgence en cas de montée de la violence. L’état d’urgence, utilisé contre les Chemises rouges en 2010 par ces mêmes opposants alors au gouvernement, autorise la Première ministre à faire appel à l’armée pour rétablir l’ordre et, dans ce cas précis, s’interposer entre les deux camps.
La cheffe du gouvernement intérimaire, qui a une nouvelle fois rejeté toute idée de démission avant les nouvelles élections programmées le 2 février, est face à une situation très compliquée, où aucune solution ne semble pouvoir lui permettre d’avancer dans le règlement de ce conflit qui a déjà fait huit morts et plus de quatre cents blessés.
Toute idée de négociation ou de compromis émanant du gouvernement sur les réformes demandées par l’opposition a été rejetée par Suthep et le PDRC, qui veulent installer leur propre « conseil du peuple », dont la mission serait de « reprogrammer » le système démocratique gangréné selon eux par le népotisme et la corruption après plus de dix ans de règne sans partage du clan Shinawatra, vainqueur de toutes les élections législatives depuis 2001.
Malgré les risques d’exposer des civils à de nouvelles vagues de violence, le PDRC n’a pas l’intention de céder à la terreur qui s’est propagée dans ses rangs suite aux récentes attaques meurtrières de ces derniers jours.
Déjà, par le passé, en 2007 et 2008, les Chemises jaunes, qui s’opposaient à l’époque aux gouvernements pro-Thaksin, avaient subi des attaques à la grenade, faisant plusieurs victimes. En 2010, des « hommes en noir » avaient lancé une action commando meurtrière contre des militaires venus disperser une manifestation des Chemises rouges, déclenchant les événements d’avril et mai 2010 qui ont fait 91 morts.
Aucun commanditaire n’a jamais pu être identifié, mais les hypothèses vont bon train sur ces tentatives de déstabilisation qui ressurgissent lors de chaque conflit. La piste de groupuscules liés à l’armée ou à la police a été évoquée : des factions dissidentes dont l’objectif serait de mener des actions clandestines pour semer le trouble chez leurs ennemis.
Ainsi, les « pastèques », en référence à ces commandants qui obéissent à un état-major à l’origine du coup d’Etat contre Thaksin en 2006, mais dans le sang est « rouge », de la couleur des maillots portés par les supporters de l’ancien Premier ministre qui vit aujourd’hui en exil, pourraient agir dans l’ombre et être connectées à des factions politiques extrémistes ou mafieuses (voire les deux), sans lien direct avec le gouvernement ou le PDRC, et qui ont tout intérêt à ce que l’un ou l’autre des camps l’emporte afin de protéger leurs affaires.
Si les actions violentes menées ces derniers jours semblent avoir pour but d’atteindre les leaders du PDRC, dont la plupart sont issus du parti Démocrate, ennemi héréditaire de Thaksin et ses affiliés, et de réduire par la terreur le nombre de manifestants dans les rues – l’arme principale de Suthep pour réussir cette tentative de révolution civile –, les hypothèses d’un complot à l’intérieur même du mouvement d’opposition visant à faire porter la responsabilité de ces violences au gouvernement et à rapprocher un peu plus le conflit d’une guerre civile en diffusant la haine n’ont pas été exclues. D’autant que, dans cette hypothèse, l’armée ne pourra pas tenir plus longtemps sa position neutre.
Quel que soit le scénario envisagé, ces groupes risquent encore de frapper si les deux camps continuent de s’affronter sans pouvoir dialoguer afin d’éviter, au moins, que le sang de civils ne coule de nouveau.