Le 1er novembre dernier a eu lieu à Pattaya le plus important concours de beauté organisé par le non moins célèbre Cabaret Tiffany’s Show. Des « Miss », oui, mais toutes « ladyboys » venues des quatre coins de la planète. Même si bien de ces événements organisés autour des transgenres prêtent à sourire, ils sont bien souvent le prétexte pour cette communauté parfois marginalisée de s’enorgueillir de ces moments précieux et de briller bien au-delà des frontières de la Thaïlande.
Vichai Lertritruengsin, qui a créé le Tiffany’s Show voici maintenant 40 ans, est un pionnier. Tout commença dans un petit théâtre du sud de Pattaya pouvant accueillir tout au plus deux cents invités où il organisait des spectacles entre amis pour le Nouvel An et qui devint vite très populaire sous la direction de Sutham Phanthusak.
Les deux compères commencèrent alors à recruter, former des artistes et organiser des spectacles plus importants, et surtout plus réguliers. Leur rêve avait pris forme et ne cessa de se développer à partir de 1974 pour donner naissance au premier cabaret de Thaïlande. « Mon père, alors propriétaire d’un hôtel et sénateur, avait le désir de développer le tourisme et changer l’image de Pattaya, confie Alisa Phanthusak, son assistante aujourd’hui. Il fût le principal investisseur dans ce projet un peu fou qui allait devenir le Tiffany’s Show. Aucun sponsor ne croyait alors en ce concept marginal de mettre en porte-drapeau du tourisme national des ladyboys à la réputation sulfureuse. »
Mais quelques années plus tard, le succès est au rendez-vous et le petit théâtre se transforme en une salle de spectacle de cinq cents places. Suparp Seangkumchoo, chorégraphe diplômé en France, se charge de la formation des nouvelles recrues. La troupe s’agrandit et compte alors quarante artistes. Si les danses traditionnelles thaïlandaises sont mises en avant, Suparp s’inspire pour ses chorégraphies des cabarets français afin de répondre aux attentes de la clientèle internationale. Aujourd’hui, le Tiffany’s Show se produit à travers toute la Thaïlande. Un rayonnement qui va bien au-delà des frontières du royaume. Chaque année, la troupe part en tournée mondiale, à Singapour, Macao, Sydney ou encore aux Etats-Unis. Plus d’une centaine de talents venant de toutes les provinces du royaume sont présentés dans un spectacle original et accessible à tous les publics. Un show traditionnel à la pointe de la modernité donnant trois représentations tous les soirs de l’année, récompensé par TravelCom Magazine comme le quatrième des dix meilleurs spectacles à voir dans le monde, après le Moulin Rouge.
Les convictions d’une visionnaire
Alisa Phanthusak suit les traces de son père depuis quinze ans. Des sciences politiques et de la finance au tourisme hôtelier où elle fit ses premières armes, un nouvel univers de fantaisies allait désormais devenir sa plus belle aventure et son plus grand défi. Des débuts qui furent toutefois difficiles car son dévouement ne fut pas toujours compris par son entourage. Elle dut s’efforcer de changer la perception qu’ils avaient de son travail au sein de la communauté transgenre, bien décidée à se battre pour que soit acceptée et respectée sa nouvelle famille de cœur. « La discrimination reste toujours présente, mais la Thaïlande demeure un pays de tolérance, pense-t-elle. Régulièrement, nous apportons notre soutien à différents événements de charité pour les moins fortunés. Tout ce que je crée avec Tiffany est un combat gagné pour les transgenres afin qu’elles soient fières de faire partie de cette famille. »
La reconnaissance d’un pays
D’un show privé pour se mesurer aux copines et amuser le staff est né quelques années plus tard Miss Tiffany’s Universe, un concours de beauté annuel ouvert aux ladyboys thaïlandaises. Un premier recrutement à travers des chaînes d’Etat comme I-TV s’est avéré pour le moins difficile, aucun sponsor ne voulant alors s’associer avec cette image « mauvais genre ». En 1999, le Tiffany’s envoie pour la première fois ses artistes participer au concours de Miss Queen Universe aux Etats-Unis, afin de représenter la Thaïlande et intéresser les médias. La surprise fut de taille puisque le royaume gagna ce concours pendant trois années consécutives. « Pourquoi continuer à investir pour la renommée d’un autre pays, s’interroge alors Alisa. Miss Tiffany’s Universe pourrait désormais s’afficher la tête haute en Thaïlande avec cette reconnaissance nouvellement acquise. « En 2000, nous possédions l’un des plus grands cabarets transgenres avec mille places, explique-t-elle avec fierté. Nous étions ambitieux et prêts à accueillir la première édition de Miss International Queen. » Quatre ans plus tard, le projet prit forme.
Ouverture sur le monde
Le premier recrutement à l’étranger fut particulièrement compliqué. Mais des candidates se laissèrent convaincre. Le concours, à présent relayé par la chaîne gouvernementale Thai PBS, mais aussi par de grandes chaînes internationales comme CNN et la BBC, dont la dernière édition eut lieu le 1er novembre dernier, ouvre désormais les portes du Tiffany à vingt-cinq prétendantes venant de dix-sept pays différents.
Autant de candidates qui à présent se bousculent pour gravir ce podium du bout du monde. De nombreux pays comme le Népal, la Chine, la Corée du Nord ou la Russie, où la discrimination envers les transgenres est plus forte, s’intéressent aussi à ce concours. Toutes sont accueillies par le Tiffany’s et ses sponsors comme des princesses, visitant une semaine durant les plus beaux hôtels, plages et restaurants de Pattaya et participant activement à des animations et plateaux télé. Certaines viennent avec maquilleuse et habilleuse, d’autres sont assistées par la direction et ses traducteurs. La plupart n’étant pas professionnelles, un entraînement intensif les attend. Khun Tim, dite « Big Mama », la manager du show, ancienne artiste, chorégraphe et styliste au sein du Tiffany’s depuis 35 ans, est chargée de l’organisation six mois à l’avance.
Chacune des candidates a toutefois un voyage à payer à ses frais, doit règler les 15 000 bahts d’inscription et se faire confectionner quatre tenues originales, telles qu’une robe de soirée et une tenue représentative de son pays, le costume traditionnel thaïlandais étant conçu par Tiffany’s. Beaucoup réalisent leurs rêves et les gagnantes tendent la main à d’autres en devenant une image de réussite dans leur contrée d’origine et en concrétisant leur désir de carrière, la plupart du temps dans les médias ou la mode. Cette influence a permis à Ai haruna, Miss international Queen 2009, de devenir l’une des premières artistes TV transgenre au Japon et une référence pour beaucoup de ladyboys. « Depuis tout petit j’entretenais le désir d’être une femme, mais c’est à mes 17 ans que j’ai commencé à vivre au grand jour en tant que ladyboy, confie Nethnapada Kanrayanon, deuxième dauphine thaïlandaise cette année et Miss Tiffany’s Universe 2013. Une transition alors rejetée par mes parents et c’est en secret que j’ai participé à ce premier concours dont je rêvais depuis toujours. Ma famille apprit avec fierté ma victoire à la télévision. Ils ont été ensuite les premiers à me soutenir lors de Miss International Queen 2013. »
Ses études à peine terminées, elle représentera pendant un an le cabaret à travers toute la Thaïlande avant de s’envoler vers d’autres ambitions que lui donne ce formidable tremplin. Mais la victoire fût brésilienne cette année et c’est le mannequin Marcela ohio qui endossa le rôle tant convoité de Miss international Queen 2013, suivie par la première dauphine américaine Shantell D’Marco. La nouvelle reine retournera à Sao Paulo avec 300 000 bahts en poche, un an de chirurgie esthétique gratuite dans une clinique de Bangkok et un appartement à Pattaya.
Quand toute une nation y croit
Chaque année lors de l’événement, les chaînes publiques nationales et câblées retransmettent en direct Miss international Queen, un show médiatisé à grande échelle et suivi au-delà des frontières avec une moyenne de 15 millions de téléspectateurs. Parrainé par l’office du Tourisme de Thaïlande (TAT), ce concours est largement utilisé pour promouvoir Pattaya en tant que destination touristique internationale et vise à améliorer son image à l’étranger. Avec le temps et beaucoup d’acharnement, Alisa Phanthusak a réussi le tour de force de convertir à sa cause les médias les plus réticents. « Beaucoup de personnes ont grandi avec nous et ont changé leurs perceptions, reconnaissant à présent notre travail comme une aide apportée à la communauté transgenre du pays. » Une récompense amplifiée grâce à de nombreux reportages relayés entre autres par National Geographic, Sky TV ou M6.
Le Tiffany’s Show fut récompensé en 2010 et 2013 par le Prix du Tourisme pour ses performances exceptionnelles et innovantes, et en 2011 par le Prix de la Créativité décerné par le Premier ministre.