A l’écart des grands circuits touristiques, le Sud Laos présente pourtant de nombreux centres d’intérêt à ceux qui prennent le temps de l’explorer. Les chutes de Khone, les quatre mille îles, les sites archéologiques de la période angkorienne, les traces de la France coloniale et le plateau des Bolovens avec ses plantations de café et ses chutes d’eau spectaculaires sont les principales attractions d’une région où le majestueux Mékong rythme la vie des habitants.
La route qui mène de l’aéroport de Ubon Ratchatani au poste frontière de Chong Mek est un véritable billard à quatre voies, surtout emprunté par les poids lourds thaïlandais qui alimentent en denrées et biens de consommation tout le sud du Laos. Nous franchissons la frontière à pied, après nous être engouffrés dans un étrange tunnel qui traverse une zone dont le tracé frontalier n’a pas encore été clairement délimité par les deux pays. Paksé est à moins d’une heure de route. Posée au confluent du Mékong et de la rivière Sédone, cette petite capitale régionale d’un peu plus de 100 000 habitants – troisième ville du royaume par sa taille – est la porte d’entrée du Sud Laos. On y vit du commerce avec la Thaïlande et, depuis que le gouvernement s’est résolu à y développer les infrastructures, et notamment le réseau routier, du tourisme. Enclavée entre la Thaïlande, le Vietnam et le Cambodge, cette petite province voit peu à peu les visiteurs étrangers affluer.
En 1905, les Français font de Paksé, alors un village, le centre administratif de la région. La ville ne garde aujourd’hui que peu de traces de la présence coloniale. Ses bâtiments modernes aux vitres teintées et ses alignements de petites boutiques la font ressembler à n’importe quelle bourgade de province d’Asie du Sud-Est. La seule véritable curiosité architecturale est peut-être le Champassak Palace, sur la route numéro 13, qui relie le royaume du Nord au Sud. C’est l’ancien palais construit à la fin des années 60 pour Chao Boun Oum, alors prince de Champassak, et qui avait dû s’exiler avec sa famille à l’arrivée du Pathet Lao sans avoir pu l’habiter. Longtemps laissé à l’abandon, l’édifice a été depuis réhabilité et transformé en hôtel.
La ville offre toutefois quelques attractions, comme le marché central et ses marchands de légumes frais, de thé et de café cultivés sur le plateau des Boloven, ou le Vat Luang, le plus ancien temple de Paksé, construit en 1830. Niché sur une rive de la Sédone, il accueille la principale école bouddhiste de la région. Dans l’après-midi, quand la ville s’assoupit sous la chaleur, vous pourrez tester le massage traditionnel lao dans l’un des petits salons du centre ou visiter le musée. Une belle collection de bronzes, de statues, d’objets divers, mais aussi de photos, de costumes, de bijoux et d’ustensiles appartenant aux ethnies montagnardes qui peuplent le haut plateau des Bolovens vous donnera un bon aperçu de l’histoire de la région.
Comme beaucoup de bourgades de province, c’est en fin de journée, quand le soleil marque l’horizon de ses tons orangés, que Paksé dévoile ses charmes et que les habitants mettent le nez dehors. Beaucoup se donnent rendez-vous dans l’un des nombreux restaurants surplombant le Mékong, prisés pour leur cuisine locale et leurs spécialités de poissons. A la terrasse du Café Sinouk, dans le centre-ville, les étrangers viennent siroter un apéritif à la française ou déguster un café glacé laotien. Autre lieu très fréquenté le soir, l’hôtel Paksé. On y trouvait jadis un casino et un cinéma qui en faisaient le centre d’attractions de la ville. L’établissement a été entièrement rénové il y a une dizaine d’années par un charmant couple franco-laotien originaire de Toulon. Sur le toit, un restaurant panoramique propose une cuisine locale et internationale de premier choix et affiche souvent complet.
Dépaysement
Le lendemain, nous prenons la direction des Bolovens. Situé à plus de 1000 mètres d’altitude, ce plateau de roches volcaniques s’est formé à l’époque quaternaire suite à une éruption. Son sol fertile et son climat tempéré ont permis la culture du café, réputé dans tout le pays et devenu l’une des principales sources de revenus de la région, mais aussi du thé, du poivre, de la précieuse cardamome et de nombreux fruits et légumes. Peuplé en majorité par l’ethnie Laven ainsi que par plusieurs minorités môn-khmères, ce plateau montagneux est devenu le centre de l’éco-tourisme dans le Sud Laos. Chutes d’eau spectaculaires, trekking et minorités ethniques attirent de plus en plus de voyageurs au long cours qui profitent d’une vaste région encore peu fréquentée que l’on explore de préférence à moto, les transports en commun restant soumis à de nombreux aléas et les routes et chemins souvent chaotiques. De nombreux villages proposent bungalows et guest-houses à des prix modestes et au confort sommaire. Les chutes de Tad Fan sont parmi les plus impressionnantes de la région.
Depuis un observatoire aménagé, on peut observer l’eau qui jaillit d’une cassure dans la jungle avant de se jeter avec fracas dans une gorge, deux cents mètres en contrebas. Un restaurant permet d’observer le spectacle tout en dégustant des spécialités locales arrosées de bière Lao. Les chutes d’eau sont nombreuses sur le plateau et agrémentent les deux boucles (de deux à sept jours) nécessaires pour explorer les Bolovens.
Nous dormons au Sinouk Coffee Resort, une étape aussi incontournable qu’exquise. Le neveu du propriétaire, franco-laotien, nous fait visiter la plantation. La famille Sinouk, qui vivait en France, est revenue au Laos au début des années 80 suite à l’ouverture économique du pays. Elle s’est lancée dans la culture du café et exploite aujourd’hui cette plantation où un charmant hôtel et un café-restaurant ont été aménagés autour d’une cascade et de bassins artificiels.
Aux portes de l’empire khmer Le bateau est là, en contre-bas, au bout d’un escalier cimenté sur la berge du fleuve. Une étroite passerelle permet d’accéder au pont inférieur où un membre de l’équipage nous accompagne à notre cabine. Le Vat Phou est prêt à appareiller pour une croisière de trois jours qui nous emmènera de Paksé jusqu’aux chutes de Khône, cette grande cassure du Mékong rendue célèbre par les explorateurs français Francis Garnier et Ernest Doudart de Lagrée lors de leur expédition de 1866.
Avec son fond plat en acier et son tirant d’eau de seulement 80 centimètres, cette ancienne barge de 34 mètres de long qui servait au transport du teck avant d’être réaménagée en bateau de croisière de luxe (voir encadré) peut naviguer pratiquement toute l’année, même lorsque le Mékong atteint son plus bas niveau. Les amers, ces balises plantées dans le lit du fleuve au temps du protectorat français pour indiquer les voies navigables, servent toujours à signaler les nombreux bancs de sable et les rochers qui affleurent à la surface de l’eau. Ici, le Mékong est large de plusieurs centaines de mètres, mais son lit est peu profond pendant la saison sèche.
Sur le pont supérieur protégé du soleil par un long toit plat, des passagers observent le bateau fendre lentement la surface de l’eau étonnamment lisse, mais qui cache un fort courant. Le bruit du moteur est à peine audible. Après un premier repas à bord, nous faisons escale à Champassak, petite bourgade paisible de moins de dix mille habitants nichée sur la rive droite et point de départ de la visite du Vat Phou. Ce complexe unique datant de la période pré-angkorienne et angkorienne (5ème du 13ème siècle), construit au pied du mont Phu Kao, est composé d’un ensemble de temples sur plusieurs niveaux connectés par un escalier en pierres taillées qui mène jusqu’à un linga sanctifié par une eau de source.
Plusieurs projets de réhabilitation de ces vestiges classés au Patrimoine mondial de l’Humanité depuis 2001 sont toujours en cours. Si le site présente un musée intéressant où sont conservées des reliques trouvées sur place et des traces de dévotion de la période pré-angkorienne (5ème au 12ème siècle), dont une étonnante image de crocodile taillée en creux dans une dalle de grès dont on ne sait pas exactement à quoi elle servait, mais probablement pas à des sacrifices humains comme le prétendent les guides enclins à impressionner leurs clients, le site n’a rien de comparable avec Angkor et pourrait décevoir ceux qui ont déjà foulé les ruines de l’ancien empire khmer. Devenu un lieu sacré pour les bouddhistes, le Vat Phou est surtout fréquenté par les Laotiens et les Thaïlandais et accueille des milliers de dévots lors des célébrations annuelles en février.
Vat Phou, c’est aussi le nom donné au bateau sur lequel nous poursuivons la descente du fleuve et passons notre première nuit, après avoir appareillé à l’abri du courant. Grâce à ses deux générateurs, les cabines avec salle de douche privée sont alimentées en air conditionné et eau chaude toute la nuit, un luxe étonnant alors que les villages alentours ont vécu jusqu’il y a peu de temps sans électricité.
Au lever du jour, on distingue à peine les pourtours du Mékong figé dans un manteau de brume. Seule une frêle embarcation de pêcheur vient fendre la surface de l’eau en formant un minuscule sillon. Sur la rive, une villageoise s’apprête à cueillir quelques haricots. Ils poussent à côté des arachides et des patates douces et sont cultivés tout le long du fleuve à la terre fertile pendant la saison où l’eau atteint son plus bas niveau. A certains endroits, le lit asséché forme de longues plages de sable immaculé brûlées par le soleil.
Le petit train de Don Khône
La journée de navigation est ponctuée par la visite du village de Tomo, que l’on traverse à pied pour rejoindre les ruines de l’un des rares sites archéologiques angkoriens construits en bordure du Mékong, et dont le principal intérêt est une forêt de gigantesques arbres bicentenaires…
A l’école du village, dans leur uniforme avec jupe kaki réglementaires, les deux maîtresses nous invitent dans la petite classe où quelques bancs et tables en bois semblent tout droit sortis d’une photo de Doisneau. Les enfants, radieux, entament un « Frère Jacques » en français quelque peu martyrisé et repris en cœur avec leurs visiteurs.
Après une deuxième nuit rythmée par la sono agonisante d’un mariage au village voisin qui se prolongera tard dans la nuit et reprendra à l’aube…, nous débarquons du Vat Phou pour rejoindre une barque à moteur qui nous mènera jusqu’à Don Khône (prononcez done krône), la plus grande des « quatre mille îles » (Si Phan Don) qui quadrillent cette partie du fleuve parsemée de rapides et de chutes d’eau et qui peut atteindre 16 kilomètres de largeur pendant la saison des pluies. Les chutes de Khône, qui rendent le Mékong infranchissable par voie d’eau, sont probablement les plus belles et les plus spectaculaires de toute la région.
Guest-houses et restaurants sont alignés le long de l’unique chemin qui traverse le village. Nous croisons de nombreux touristes européens qui apprécient la quiétude de l’île et aiment s’y promener à pied ou à vélo. A certains endroits, des bassins naturels protégés du courant autorisent la baignade. Mais la plus étonnante découverte se trouve au milieu de la baie Marguerite, qui marque la frontière entre le Laos et le Cambodge, et où vivent une trentaine de spécimens de dauphins de l’Irrawady. A cet endroit, juste après les chutes, l’eau est profonde et poissonneuse. Les mammifères marins remontent le fleuve pour s’y nourrir et s’y reproduire. Il est généralement facile de les approcher à bord de petites embarcations.
A Don Khône, les anciens bâtiments de la gendarmerie, du dispensaire et de la douane témoignent encore de la présence coloniale française. Tout au sud de l’île, on peut observer le plan incliné où les marchandises et les voyageurs arrivant du Cambodge étaient transbordés sur un petit train Decauville qui traversait Don Khône, puis l’île de Don Det en empruntant un pont de chemin de fer qui enjambait le chenal séparant les deux îles. Là, ils embarquaient sur d’autres bateaux qui remontaient le fleuve jusqu’à Vientiane et Luang Prabang. Un système ingénieux qui permettait de contourner les chutes. Les vestiges d’une locomotive sont toujours visibles à la sortie du village. François Doré, passionné par l’épopée coloniale française en Indochine, a découvert près de l’île de l’Éléphant Blanc une ancienne muraille en maçonnerie construite pour guider les troncs de teck flottés venus de Birmanie jusqu’à l’embouchure du Mékong. L’autre édifice retrouvé par le Français et dont très peu de gens connaissent l’existence, est une pyramide en pierre au bord du fleuve, édifiée à la mémoire de marins français qui se sont noyés à cet endroit lors du naufrage de leur bateau. Non loin de là, à l’aide de nasses et de pièges posés au milieu de dangereux rapides, des pêcheurs de l’extrême capturent les poissons qui nourriront leur communauté. Une vie dure qu’ils ne sont pourtant pas prêts à abandonner malgré le développement du tourisme.