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B-Floor Theatre : l’avant-garde culturelle en Thaïlande

Journaliste : Manon Dubois
La source : Gavroche
Date de publication : 07/05/2014
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Tant du point de vue artistique que politique, le parcours de B-Floor, un collectif d’artistes désireux d’insuffler un vent nouveau sur le théâtre thaïlandais, atteste du caractère prolifique de l’art contemporain en Thaïlande et de ses relations ambiguës avec le pouvoir.

 

C’est en 1999 que naît B-Floor, fruit de la rencontre entre treize artistes aux profils et aux trajectoires différents. Leur point commun ? Un désir de changement. Issus de troupes de théâtre ou de danse traditionnelles laissant peu de marge à leur créativité, ils veulent se forger un espace où pourra pleinement s’épanouir la mouvance contemporaine qu’ils incarnent.

 

Premier essai, premier succès. A peine créée, la troupe participe en 1999 au Bangkok Fringe Festival, faisant une très bonne première impression. « Nous en retiendrons surtout l’alchimie au sein du groupe, confie Jarunun « Jaa » Phantachat, l’une des fondatrices de la compagnie et qui continue aujourd’hui d’en tenir les rênes. Nous avons eu envie de continuer et surtout de nous battre, alors que se faire un nom n’était pas facile. »

 

Loin de n’être qu’un projet utopiste initié par de jeunes talents faisant un pied de nez au conservatisme, B-Floor s’établit rapidement comme une compagnie sérieuse et légitime. Plus ou moins fournis selon les années, ses rangs d’une dizaine de membres s’agrandissent ponctuellement lors du déplacement d’artistes étrangers venus collaborer sur un spectacle. Alors seule troupe thaïlandaise de théâtre avant-gardiste, B-Floor n’a effectivement pas tardé à se faire un nom au-delà des frontières.

 

Son baptême international a lieu en 2001, année où la pièce « Medusa – Life without Snakes » est jouée lors du très célèbre Fringe Festival d’Edimburgh. Le potentiel de la compagnie séduit l’Alliance française de Bangkok qui lui octroie à deux reprises une résidence artistique. Après un passage par Tokyo en 2010, la consécration a lieu en 2012 avec l’invitation au prestigieux festival new-yorkais Undergroundzero. Bien que sa fragilité financière menace sa participation, B-Floor réunit finalement tous les fonds nécessaires et s’envole pour la Grosse Pomme. Sur place, son style artistique polymorphe fait mouche.

 

Ce dernier se caractérise avant tout par des influences hétéroclites. « La diversité des formations de nos membres est ce qui fait notre richesse », souligne Jaa. Le théâtre avant-gardiste de la B-Floor aime à valoriser le mouvement physique par l’emploi d’effets multimédias sonores, vidéos ou musicaux. Différents types de danse sont ainsi présents dans de nombreuses productions. On y retrouve les codes conventionnels des danses jazz et classique, mais également le minimalisme poétique du Buto japonais, les ondulations de la technique Laban ou la technicité des différents arts martiaux asiatiques. A ce titre, nombreux sont les membres de la compagnie à être titulaires d’une formation de danseur et non de comédien. Le jeu d’acteur n’est pas la clé de voûte des productions de B-Floor qui se rapprochent davantage de la performance. Aux yeux de Jaa, « cette forme d’art laisse souvent les textes de côté, ce qui rend la pièce accessible à n’importe quel type de public, sans considération de langage. Il faut avant tout transmettre une émotion. » De quoi dérouter les aficionados du théâtre traditionnel : ici, peu ou pas de script. La colonne vertébrale d’une représentation se construit au gré d’improvisations. A terme seulement, la performance est codifiée à l’écrit afin d’apporter un support matériel aux répétitions finales.

 

Une troupe engagée

 

A raison de cinq à sept représentations annuelles de grande ampleur, saupoudrées de petites performances et de happenings, annoncés sur leur page Facebook, B-Floor est une compagnie à la créativité féconde. Ce chiffre tient à la réalisation en solo de nombreuses productions qui ne monopolisent pas la troupe : l’artiste prend en charge son œuvre de sa création à sa représentation. Jaa, la directrice de la compagnie, n’omet pourtant pas de rappeler que la force de tout projet repose dans le collectif. « Même lors d’une représentation solo, les membres de l’équipe viendront assister aux répétitions et offrir leur éclairage. Nos formations très complémentaires sont enrichissantes car elle permettent à chacun d’entre nous d’apprendre des autres et d’enrichir sa propre palette de compétences. » Echange et réciprocité sont des maîtres mots pour cette grande famille, dont l’œuvre artistique arbore une forte résonance politico-sociale.

 

Cet axe de réflexion engagé et souvent polémique s’impose en signature de B-Floor, pour qui le théâtre est l’arme la plus pacifiste dans la dénonciation des tensions sociales qui frappent le royaume. La plupart des productions décortiquent la condition humaine sous toutes ses coutures : quête identitaire, inégalités, croyances, spiritualité, foi, savoir, censure, lien social et droits fondamentaux sont autant de thèmes passés au crible et traités, selon leur sensibilité, avec plus ou moins de délicatesse. Cette démarche s’inscrit toujours dans une logique de questionnement qui n’est pas celle d’une agression frontale. Majoritairement composé d’étudiants et d’intellectuels passionnés, le public du théâtre contemporain thaïlandais se distingue par une pensée affranchie des normes imposées par les autorités ; pour autant, une critique trop amère peut être mal reçue. Surtout, et quoiqu’il soit moins sous pression que le cinéma, le théâtre n’est à l’abri d’aucun droit de regard officiel pouvant aboutir à des décisions de contrôle ou de censure.

 

Quand l’armée intervient…

 

Au côté de représentations de buto aussi esthétiques qu’obscures, ce début d’année 2015 a été marqué par le très grand succès de « Bang-La-Merd ». Créée et interprétée par Ornanong Thaisriwong, cette performance solo présentée pour la première fois il y a quelques années, traite alors des répercussions individuelles de l’autocensure face au très sévère crime de lèse-majesté.

 

La jeune artiste marie monologue, mouvements physiques et interactions avec le public dans cette production couronnée de la récompense du meilleur scénario par l’Association internationale des Critiques de Théâtre en Thaïlande. Son slogan ? Elle le clame : « liberté d’expression ». Deux mots qui trouvent une toute autre résonance lorsque prononcés sous la loi martiale. Ainsi décide-t-elle, au vu de la situation politique actuelle, de lancer une nouvelle salve de représentations en février dernier, axée autour des effets quotidiens de l’oppression politique. La donne est pourtant différente : désireuse de surveiller et d‘enregistrer les séances, l’armée s’est invitée à la fête. « Cette présence non désirée fut une grosse surprise pour nous tous, confie Ornanong. D’ordinaire, notre compagnie n’est pas sous le feu des projecteurs et parvient à échapper à la vigilance officielle. Cette fois, les autorités ont clairement senti une menace. »

 

Effectivement, Bang-La-Merd se joue tous les soirs à guichet fermé. La pièce intrigue, attire de nouveaux curieux dans le public parmi lesquels certaines familles de dissidents ou de prisonniers politiques. Plus que jamais, il convient de ne pas faire de faux-pas en franchissant la ligne du politiquement tolérable… pourtant bien mince.

 

Présentée en octobre dernier, « Satapana » est une performance solo de l’un des co-fondateurs de B-Floor, Ka-ge Teerawat Mulvilai, qui s’attaque au thème de la censure. Son contenu est des plus explicites : la représentation s’achève sur la diffusion d’une séquence où l’artiste, masqué, est enchaîné à un trône bancal qu’il traîne avec douleur au milieu d’un décor apocalyptique. « Nous devons être extrêmement prudents en ce qui concerne l’article 112 (article du Code Pénal portant sur le crime de lèse-majesté, Ndlr) affirme Ornanong. Ce renforcement du contrôle politique m’inquiète, mais il veut également dire que notre art est une force. Et nous continuerons d’inventer, de créer, de proclamer notre liberté ». Voilà qui est dit.

 

Manon Dubois

 

www.bfloortheatre.com

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