Comme souvent lorsqu’une crise politique majeure paralyse la Thaïlande, c’est à la justice qu’on s’en remet pour débloquer la situation. Mercredi, la Cour Constitutionnelle, qui doit rendre une décision lourde de conséquences sur la « constitutionnalité » des amendements votés par le Parlement, pourrait bien sceller le sort de Yingluck avec la dissolution de son parti Pheu Thai. Les opposants au gouvernement, qui poursuivent leurs manifestations dans le cœur historique de Bangkok, profiteraient alors d’une victoire « sur le tapis ». Un scénario que les Chemises rouges pro-gouvernementales n’entendent pas accepter…
L’histoire va-t-elle se répéter ? En 2008, deux gouvernements acquis à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, chassé par un coup d’Etat militaire en 2006, avaient dû abandonner les rênes du pouvoir suite à la décision de la Cour Constitutionnelle de dissoudre les partis de la majorité parlementaire et de bannir leurs cadres de toute activité politique pendant cinq ans. Deux fois pour « faute constitutionnelle ».
En septembre 2008, Samak, le Premier ministre de l’époque, avait donné un cours de cuisine à la télévision pour lequel il avait été rémunéré. Trois mois plus tard, alors que les Chemises jaunes s’étaient emparées des deux aéroports de Bangkok, le gouvernement de Somchai, beau-frère de Thaksin alors en exil, avait subi le même sort après que le People Power Party a été reconnu coupable de fraude électorale.
Une décision qui avait permis au Démocrates de retourner la majorité parlementaire en leur faveur, et provoqué par la suite la grande crise de 2010 lorsque les Chemises rouges, descendues à leur tour dans la rue, avaient tenté, en vain et au prix de 92 morts et de centaines de blessés, de faire tomber le gouvernement Abhisit.
Les opposants à Yingluck Shinawatra, – la petite sœur de Thaksin arrivée au pouvoir lors des législatives de juillet 2011 –, après avoir obtenu une victoire probante suite à l’abandon du projet de loi d’amnistie générale, ont tenté de lui porter l’estocade en appelant à la désobéissance civile, à la grève et au soulèvement général, utilisant les mêmes méthodes de « combat de rue » que les Chemises jaunes aujourd’hui démobilisées.
Une stratégie critiquée par les pro-gouvernementaux qui dénoncent un mouvement anti-démocratique et une « incitation à la guerre civile », et qui a reçu une réponse mitigée à l’échelle du pays malgré de grandes affluences (entre 20 000 et 50 000 personnes selon les jours) sur le site de la manifestation qui bloque l’avenue Ratchadamnoen depuis plus de deux semaines maintenant.
Alors que la tension monte, les Chemises rouges vont se mobiliser aujourd’hui et demain dans la capitale en attendant le verdict des juges, mercredi, qui décideront si l’amendement adopté par le Parlement sur le système de vote pour l’élection des sénateurs est constitutionnel ou non.
Si la décision de la Cour est défavorable au gouvernement, les Chemises rouges, qui y verraient alors un nouvel arbitrage « politisé » de la justice, ont annoncé qu’elles se mobiliseront en masse. Et bénéficieront du soutien des leaders politiques évincés du pouvoir.
Dans le cas où le gouvernement et la majorité survivent à la décision de la Cour, Yingluck en ressortira renforcée. Elle choisira alors probablement une stratégie d’usure en pariant sur une démobilisation des Démocrates à court d’arguments.
(Philippe Plénacoste/Gavroche)