Grâce au naufrage volontaire du navire de guerre américain Chang HTMS, Koh Chang pourrait rapidement devenir l’une des premières destinations pour le tourisme de plongée en Thaïlande. Les plongeurs raffolent déjà du site et la vie sous-marine s’y développe rapidement.
Dix-sept heures, sur le ponton de Bang Bao. Le soleil décline et embrase ce petit port désormais plus fréquenté par les touristes que par les pêcheurs. Le ballet des bateaux de retour de mer débute. En moins d’une heure, des dizaines d’embarcations ramènent à quai des centaines de touristes ayant passé la journée sur ou sous l’eau.
Patrick pose pied à terre. Ce Suédois revient d’une journée de plongée sur l’épave du Chang HTMS 712 et ne peut cacher son enthousiasme. « C’était extraordinaire ! s’exclame-t-il. J’ai l’habitude de plonger sur des épaves, il y en a pas mal en Suède. Mais je n’en ai jamais vu d’aussi grande. » Même engouement pour les huit autres plongeurs de l’excursion.
« Vraiment impressionnant, confirme une Hollandaise. Cette épave est tellement immense que j’ai été prise d’un sentiment de vertige. Elle nous happe vers les fonds marins. »
Le Chang HTMS est en effet la plus grande épave reposant dans les fonds sous-marins thaïlandais. Ses dimensions sont impressionnantes : 100 mètres de long, 15 de hauteur. Ce navire américain, construit pendant la Seconde Guerre mondiale et cédé à la marine thaïlandaise en 1961, a été coulé volontairement le 22 novembre dernier au large de Ko Chang.
« Tout a été fait dans les règles de l’art, affirme Kristel, la propriétaire de BB Divers, la plus grosse école de plongée de l’île. Le navire a été nettoyé et sécurisé en amont. Des trous ont été percés dans la carcasse pour faciliter les entrées et les sorties des plongeurs. Ensuite, dans la demi-heure qui a suivi le naufrage, une dizaine de plongeurs venus de toutes les écoles de l’île ont été réquisitionnés par le gouvernement pour inspecter les lieux. » Jules, instructeur français indépendant, était l’un d’eux. « Nous avons vérifié son positionnement. Il fallait être sûr qu’il se soit bien posé sur le sable, parfaitement droit, pour des questions de sécurité évidentes. Nous avons réalisé des mesures. C’était extraordinaire d’être les premiers à le voir sous l’eau, émergeant d’une eau trouble comme un monstre sous-marin ! »
Cette initiative des autorités thaïlandaises ravit tous les centres de plongée de l’île. Car les retombées économiques du Chang HTMS se font déjà sentir.
« Cela fait un peu moins d’un mois que nous plongeons sur ce site, précise Kristel. Au début, nous pensions faire deux sorties par semaine. Mais pendant les vacances de Noël, il y a eu tellement de demandes que nous y allions tous les jours. J’ai même été contactée par une école de plongée de Koh Tao qui souhaite amener un groupe de plongeurs ici. » Même constat pour Paul Hobson, le manager de The Dive Adventure, une autre école installée à Bang Bao. « En moins de trois semaines, nous avons fait plonger 80 personnes sur l’épave. C’est vraiment une très bonne chose pour nous, on va enfin venir à Ko Chang exprès pour plonger. »
Que des heureux !
Car si Ko Chang et son parc naturel possèdent de très beaux sites de plongée, l’île n’est toujours pas classée parmi les grands sites d’Asie. La quasi-totalité des plongées réalisées ici est le fait de touristes en vacances qui en profitent pour se payer un petit tour sous l’eau. L’épave du Chang HTMS, elle, devrait attirer le vrai tourisme de la plongée. « C’est déjà le cas avec le marché des expatriés vivant à Bangkok, affirme Paul Hobson. Avant, ils allaient plonger à Phuket. Mais ils commencent à venir à Koh Chang pour plonger sur l’épave, nous avons déjà quelques réservations. Quand elle sera connue au niveau international, c’est sûr, les plongeurs du monde entier viendront ici exprès pour elle. Au bénéfice de l’ensemble du secteur touristique local. »
Booster le tourisme local, c’était bien sûr l’objectif des autorités en coulant ce navire à Ko Chang. Mais pas seulement. Car une épave est aussi un récif de qualité, favorable au développement de la vie. Poissons, pieuvres et crustacés y trouvent un abri sécurisant. Se couvrant peu à peu d’éponges, de coraux, de gorgones et de vers marins, ces carcasses de métal se transforment au fil du temps en récif artificiel, créant de nouvelles oasis sous-marines.
En coulant ce navire, il s’agissait avant tout de donner une autre alternative à la vie sous-marine du parc maritime national de Moo Ko Chang. « Ici, les coraux souffrent énormément, on a de plus en plus de plongeurs et d’apnéistes. Ils sont respectueux des lieux bien sûr, mais cette affluence contribue tout de même à détériorer peu à peu le milieu sous-marin. Cette épave soulagera les sites déjà existants. Il y a même déjà deux autres projets de ce type vers Koh Mak. »
Pierre, instructeur chez BB Divers, revient justement d’une plongée sur le navire. « Il y a déjà beaucoup de vie sur place, c’est allé très vite. Aujourd’hui, nous avons vu des petits poissons chauve-souris, des poissons lime, des gros barracudas, des calamars, des poissons rasoirs, un mérou. Il y a aussi beaucoup de petits poissons, des bébés, et les algues accrochées sur la carcasse mesurent déjà deux à trois centimètres. » Une description qui fait écho aux propos entendus de l’autre côté de l’île, vers Klong Prao et Kaibae. Pour Sacha, le patron de Dolphin Divers, cela ne fait aucun doute : « D’ici deux à trois ans, ce sera magnifique. On est à une bonne profondeur, 30 mètres, mais on peut aussi voir le navire dès 15 mètres. La visibilité sur ce site est particulièrement bonne. C’est la plus grosse épave de Thaïlande. Et si, en un mois il y a déjà autant de vie, je n’ose pas imaginer ce que ce sera dans quelques années… En fait, si : ce sera le rêve de tous les plongeurs ! ».
Une vraie aubaine pour Koh Chang, donc. Certains restent toutefois un peu plus prudents, comme Michel, le propriétaire de Sea and Sun Divers. « Personnellement, j’ai un peu peur que cela ne prenne beaucoup de temps avant que la vie ne s’implante réellement sur place. L’épave est posée dans le sable, assez loin des derniers rochers. Je ne sais pas si l’endroit a été vraiment bien choisi. »
Il faudra donc attendre quelques années avant d’être certain que l’objectif écologique de ce récif artificiel a bien été atteint. Les ambitions économiques, elles, semblent déjà au rendez-vous.
Aurélie Bérard