Les pays membres de l’Asean ont accepté le Timor-Leste comme nouveau membre, en novembre 2011. Docteur en géographie et aménagement, Christine Cabasset (1) revient sur cette adhésion qui marque la valeur de l’organisation régionale sur la scène internationale.
Lors du dernier sommet de l’Asean, du 17 au 19 novembre dernier, les pays membres ont donné leur accord de principe pour l’entrée du Timor-Leste dans leur organisation. Que signifie cette prochaine adhésion pour le nouveau venu ?
Situé entre deux grands pays, l’Indonésie et l’Australie, et siège de l’influence grandissante de la Chine et des Etats-Unis, le Timor-Leste veille à appartenir à des sphères géographiques et culturelles diversifiées, comme la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), l’Union européenne, le Forum des îles du Pacifique. L’Asean est l’une des sphères majeures. Seul territoire des onze pays du Sud-Est asiatique à ne pas faire partie de l’Asean, le Timor-Leste estime sa place dans l’organisation, naturelle et justifiée. Au-delà d’une filiation géographique, le pays est, comme les autres, particulièrement concerné par les grandes questions dont traite l’organisation régionale, comme la sécurité, la défense, le terrorisme, le blanchiment d’argent, le changement climatique.
Quel futur pouvons-nous envisager pour le Timor-Leste ?
Le Timor-Leste a connu des progrès importants depuis son accession à l’indépendance, d’autant plus lorsqu’on les mesure à la situation dans laquelle était le pays en 1999 après le retrait de l’armée indonésienne, avec 80% des infrastructures détruits. Les différentes avancées ont été particulièrement saluées par le Conseil de sécurité de l’ONU le 22 novembre 2011 qui validait le départ, fin 2012, de la mission de maintien de la paix des Nations unies et une réorientation davantage liée au renforcement institutionnel. La lenteur observée dans le développement d’infrastructures masque souvent les progrès, moins visibles, réalisés dans d’autres secteurs, comme le renforcement des principaux organes étatiques, ou encore l’établissement d’une politique sociale innovante. Certes, la tâche pour développer le pays est encore immense, mais le maintien de la stabilité et du développement national peut permettre une évolution positive.
Les prochaines élections de 2012, présidentielles et parlementaires, sont ainsi capitales pour la poursuite des progrès. Une autre avancée est celle concernant la démocratie : outre la pluralité des partis politique (six partis représentés actuellement au Parlement, 22 partis enregistrés pour les élections de 2012), la vigueur des débats ou des critiques illustre le niveau de liberté d’expression. De ce point de vue-là, comme dans ceux de la démocratie participative, le Timor-Leste peut apporter une contribution notable à l’Asean. Un sens politique aiguisé et une vision stratégique des enjeux nationaux et globaux dont est dotée l’élite politique est-timoraise pourraient constituer un autre apport. Les leaders historiques comme Jose Ramos- Horta, actuel président de la République, et Xanana Gusmao, actuel Premier ministre, et bien d’autres encore, mais aussi nombre de représentants de la génération suivante, souvent encore étudiants au moment du conflit et engagés dans la résistance, sont dotés de ces capacités, aussi précieuses pour la construction nationale que pour celle de l’Asean. La forte implication du pays dans le ‘G7+ nations fragiles’ qu’il préside, ou encore dans les travaux concernant l’efficacité de l’aide au développement, en sont des illustrations. Enfin, compte tenu du profond attachement des Est-Timorais à la paix, si chèrement gagnée, le pays pourrait contribuer à l’avancée de cette question à l’échelle régionale. L’Asean a besoin de ces qualités-là aussi pour s’imposer comme une puissance régionale stable, crédible, démocratique et progressiste. Il reste à ses membres à reconnaitre les progrès réalisés et les compétences que le pays est en mesure de mobiliser pour renforcer le rôle de l’Asean sur la scène internationale.
Parmi ses nouveaux collègues, le Timor-Leste trouvera l’Indonésie. Est-ce un signal d’une réconciliation digérée que les deux pays veulent donner à la communauté internationale ?
Chacun d’eux a connu des progrès spectaculaires depuis une dizaine d’années, et les deux pays veulent incarner le cas exemplaire d’une réconciliation rapide. L’intensité des relations et des accords de coopération entre les deux pays en est un signe. L’Indonésie bénéficie aujourd’hui de cadres de haut niveau formés en Indonésie et à l’étranger, ouverts sur le monde et conscients des grands enjeux globaux. A sa suite, toute une génération d’étudiants a faite sienne les principes de démocratie, de développement national, d’équité sociale, et de coopération internationale. Mais l’Indonésie fait aussi face à ses propres défis et menaces internes, et elle doit encore composer avec une « vieille garde » peu progressiste. La question des crimes contre l’humanité commis durant l’occupation indonésienne reste un sujet sensible, et la présence en Indonésie de membres des milices pro-indonésiennes impliquées dans les violences de 1999 représente toujours un risque. Par ailleurs, confronté à des menaces sécessionnistes, l’Etat indonésien est tenté de véhiculer l’image d’un Timor-Leste chaotique et pauvre. Dans ce contexte, la position de l’Indonésie à l’égard du Timor-Leste n’est pas toujours très claire, comme en témoigne l’implication de l’armée indonésienne dans les incidents frontaliers de ces dernières années. L’intégration du Timor-Leste dans l’Asean ne peut que conforter les efforts bilatéraux et multilatéraux concernant la normalisation des relations entre les deux pays et le développement régional.
D’une manière générale, pouvons-nous dire que l’Asean occupe une place toujours plus importante sur la scène internationale ?
Les ambitions majeures de ce 19ème sommet de l’Asean à Bali et des autres sommets liés (des ministres de la Défense, de l’Asie de l’Est (EAS), Japon-Asean, USAsean, UN-Asean, etc.) ont été d’une part, d’atteindre une crédibilité internationale supérieure, d’autre part de donner l’opportunité à l’Indonésie, qui présidait l’association en 2011 et qui abrite le siège de l’Asean à Jakarta, de se repositionner comme un leader important de l’organisation. Ces ambitions sont à remettre dans la perspective plus générale du déplacement du centre de gravité mondial vers l’Asie et, lié à cela, de l’enjeu que représente la structuration régionale via les dynamiques de l’Asean, du Forum régional Asean, de l’Asean + 3 (Chine, Corée, Japon). La présence des Etats-Unis, de son président Barak Obama, et de la Russie a contribué à accroitre l’importance de ce sommet. Les principes de neutralité et de non-ingérence, mais aussi la compétition et les différents entre les pays, ont longtemps rendu l’organisation régionale assez inefficace. Dans ce cadre, le grand objectif fixé pour 2015 de former une communauté de l’Asean, incarnée par les trois grandes priorités qu’elle s’est fixée – politique et sécurité, économique, et socio-culturelle – représente encore un défi de taille. Un certain renouvellement politique dans chacun des pays, mais aussi l’engagement croissant des grandes puissances mondiales, pour lesquelles la sécurité et le développement économique de la région sont fondamentales, sont cependant en mesure d’influencer des avancées plus rapides.
Parmi les décisions majeures prises lors du sommet, nous pouvons souligner la création d’un centre coordinateur de l’Asean d’aide humanitaire pour la gestion des désastres qui sera basé à Jakarta. Mais l’attribution de la Présidence de l’Asean à la Birmanie en 2014 demeure la décision essentielle prise lors de ce sommet. On ne peut s’empêcher cependant de relever un certain décalage entre l’engouement de l’Asean pour soutenir et encourager les progrès réalisés par la Birmanie dans le champ de la démocratie, et la lenteur de l’intégration du Timor-Leste dans l’organisation. Suite à un premier rejet de candidature, au printemps 2011, justifié par le décalage de niveau de développement entre ce pays et les pays membres, l’accord de principe donné par les ministres des Affaires étrangères au cours de cette 19ème rencontre, apparait donc significatif d’une évolution.
(1) Christine Cabasset est Docteur en géographie et aménagement de l’université Paris-Sorbonne IV. Elle est aussi membre associée au Centre Asie du Sud-Est (CASE) et à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC). Elle s’intéresse particulièrement à l’Indonésie et au Timor-Leste.