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Phnom Penh, Le lac Boeung Kak vit ses derniers jours

Journaliste : Catherine Monin
La source : Gavroche
Date de publication : 16/12/2012
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Un vaste projet d’urbanisme est à l’origine de la disparition imminente d’un des lieux les plus réputés de Phnom Penh. Tandis que le pompage du sable a déjà débuté, un bras de fer se joue entre la municipalité et les riverains du lac Boeung Kak qui cherchent tant bien que mal à défendre leurs intérêts.

 

Situé au Nord de la capitale, le long de l’ancienne station de chemin de fer, aujourd’hui désaffectée, le lac Boeung Kak est l’épicentre d’une vie locale intense. Mais les riverains, qui vivent principalement de la pêche et de la culture du liseron d’eau, sont aujourd’hui sommés par les autorités de quitter les lieux. Certaines familles y vivent depuis plus d’une trentaine d’années.
Sans cesse repoussée pour cause de législatives, la première réunion officielle entre les autorités municipales et les riverains du Boeung Kak s’est finalement tenue fin août. Depuis, la confrontation entre les deux parties ne cesse de s’intensifier: les habitants contestent avec force les procédures d’exclusions engagées par la municipalité. Les quelque quatre mille habitants des lieux tentent toujours, pour l’instant en vain, de faire entendre leur voix auprès du gouverneur de Phnom Penh, Kep Chuk Tema.

 

Les modalités de l’accord, contracté en février 2007 par la société d’investissement Sukhaku, sous la responsabilité du gouverneur de Phnom Penh, dote le directeur de la compagnie et sénateur du Parti du Peuple Cambodgien, Lao Meng Khin, d’une concession de 99 ans à l‘emplacement du lac, pour un montant de 79 millions de dollars. L’objectif de la société est de transformer ce lieu unique de la capitale cambodgienne en vaste programme d’urbanisme. Le terrain, de plus de 130 hectares, une fois le sable et l’eau du lac pompés, doit accueillir des centres commerciaux, des résidences de luxe, une université, ou encore des centres de loisir.
Pour l’instant, les propositions de dédommagement sont loin de satisfaire les riverains. La municipalité a proposé trois solutions aux quatre mille familles concernées. Celles-ci peuvent bénéficier de l’un des logements neufs qui seront construits sur le terrain, ou bien pourront être immédiatement relogées à 15 kilomètres en périphérie de Phnom Penh, dans le village de Damnak Trayeung. Ceux qui refusent d’être relogés toucheront un dédommagement de 8500 dollars.

 

Le gouverneur de Phnom Penh a déclaré vouloir faire au mieux pour qu’une solution satisfaisante pour les deux parties soit trouvée: «Je souhaite que cet investissement se fasse sans problèmes, et qu’il y ait un réel compromis entre la société et les habitants». Mais ces bonnes intentions contredisent certains échos donnés par des habitants qui se sont plaints de pressions exercées par les chefs de village. C’est le cas de Pich Lai, une riveraine, qui déclare avoir été contrainte, sous la menace, de poser ses empreintes digitales sur un document lui permettant de toucher les 8000 dollars de compensation.

 

Actif soutien des familles, les ONG locales sont les principaux moteurs de la revendication. Elles tentent notamment de convaincre les habitants d’afficher sur le mur de leur maison des drapeaux portant l’inscription «Arrêtez les expulsions!», et distribuent t-shirts et autocollants arborant le même slogan. Kev Saroun, contestant un dédommagement qu’elle juge insuffisant pour son habitation de 80 m², a accroché le drapeau à sa porte: «Rare sont les habitants qui osent faire de même, car beaucoup craignent des représailles de la part des autorités». Mais il est toujours hors de question, pour l’instant, de cesser l’opération car «le lac appartient à l’Etat» a rappelé avec fermeté le gouverneur. Meas Kimseng est coordinateur de l’ONG Theang Thnot, qui s’occupe des sans-abri et des squatters de la capitale. «Les solutions proposées par les autorités sont totalement inadéquates, constate-t-il. Le dédommagement est bien trop bas au regard de l’inflation des prix de l’immobilier. Comment voulez-vous posséder un logement à Phnom Penh avec 8000 ou même 10000 dollars?», interroge-t-il. Il met en cause le caractère expéditif des solutions apportées par la société et la municipalité. Si certains habitants se disent conscients que ce genre de projet immobilier est nécessaire pour favoriser le développement de la capitale, ils trouveraient juste que le montant de l’indemnité soit indexé sur les prix de l’immobilier, qui grimpent en flèche à Phnom Penh. Mais ils savent aussi que, lors d’une précédente opération d’expulsion, au vieux stade de Phnom Penh, les habitants dépossédés n’ont quasiment rien touché.

 

Meas Kimseng dénonce les nombreuses failles du plan de compensation. La grande majorité des habitants qui seront relogés en périphérie travaille dans la capitale. Or, le coût des transports pour un fonctionnaire, dont le salaire peut varier entre 25 et 50 dollars, serait d’environ 4 dollars par jour, soit 120 dollars par mois! Il constate par ailleurs que ceux qui choisiront d’être relogés sur place devront patienter au moins 5 ans avant d’emménager, délai nécessaire pour pomper le lac et construire les bâtiments. Or, en attendant, le coût d’un autre loyer n’est pas pris en charge.

 

Par ailleurs, les autorités s’attachent à traiter le problème de manière uniforme, générant ainsi des injustices criantes. Certaines familles, installées sur le lac depuis les années 80, recevront exactement le même dédommagement que les familles arrivées plus récemment. De même que les propriétaires de grandes habitations en dur et ceux de petites cabanes en bois recevront une somme identique. Seuls les habitants de la rive Est du lac – lieu privilégié des backpackers de passage – qui possèdent de grandes guest-houses ou des bars, verront leur situation examinée au cas par cas. Enfin, autre incongruité, explique Mao Thol, père d’une famille nombreuse: «Tous mes enfants sont mariés et ont des enfants. Ma fille vient de donner naissance à des jumeaux il y a une quinzaine de jours. Nous sommes une famille de vingt personnes, mais nous recevrons le même dédommagement que les foyers comptant deux membres!»

 

Meach Vet, les dents rougies par le bétel, vit de la culture du liseron d’eau depuis 1982 sur le Boeung Kak. Elle est inquiète, car à 57 ans, elle craint de ne pas retrouver de travail: «Je suis âgée et je n’ai aucune compétence particulière. C’est pourquoi je réclame des compensations adaptées à ma situation. Une somme de 50000 dollars, en plus d’un nouveau logement, serait nécessaire pour faire vivre les cinq membres de ma famille.»

 

Malgré l’insalubrité ambiante de ce lieu jonché d’ordures et l’accès difficile aux habitations, les riverains du Boeung kak montrent un profond attachement à ce lieu unique de Phnom Penh. Une véritable petite ville dans la ville s’est constituée dans ce dédale de ruelles étroites.

 

Tout en tentant d’étouffer les revendications, la municipalité commence à mener des opérations coup de poing. Des patrouilles de police sont intervenues pendant la nuit sur le lac pour sectionner les fils qui délimitent les cultures de liserons d’eau des habitants. Narong, propriétaire d’une guest-house, craint les méthodes insidieuses des autorités: «Le système d’égout de la zone habitée traverse le lac. Le fait de pomper le sable boucherait inévitablement les évacuations, posant de gros problèmes d’hygiène. J’ai bien peur que si nous n’acceptons pas les solutions proposées par la municipalité, celle-ci use de ce stratagème pour nous faire partir.» Des pompes ont déjà commencé à aspirer le sable sous les yeux catastrophés des riverains et des ONG, interdits d’accès par les forces de police. Conséquence immédiate, le niveau de l’eau s’est élevé brutalement.

 

Les riverains sont désormais décidés à entamer des procédures juridiques. Chuong Chou Ngy, l’avocat en charge de plaider la cause des riverains, explique sa démarche: «Le terrain qui borde le lac est la propriété publique de l’Etat, mais ce sont les habitants qui le valorisent depuis des années. Donc, selon le code foncier, sa propriété doit désormais être attribuée aux habitants. La partie submergée du lac est une propriété naturelle de l’Etat.

 

Par conséquent, selon la loi khmère, il ne peut en faire une concession.» Sa défense s’appuie notamment sur un article de loi qui stipule que l’Etat ne peut louer un terrain au-delà de 15 ans. Les habitants appuient également leurs revendications en pointant du doigt les probables dégâts environnementaux que provoqueront l’aspiration du lac. Des graves inondations sont effectivement à craindre, ce que pour l’instant, le ministère de l’Environnement continue de réfuter.

Catherine Monin (à Phnom Penh)

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