Bangkok, Vendredi 5/09/08 – 10 heures (heure locale). Un groupe de manifestants de l’université de Ramkhamhaeng qui s’apprêtait à marcher vers la résidence du Premier ministre, hier soir vers 21h30, a été attaqué par deux inconnus en moto qui leur ont tiré dessus, blessant deux étudiants. Touchés au bras et à la jambe, ils sont hors de danger. La police parle d’un acte isolé et a ouvert une enquête.
L’ambiance était beaucoup plus détendue en début de soirée du côté de la Maison du Gouvernement où environ deux mille supporters du P.A.D. continuent d’occuper les lieux et de bloquer les rues adjacentes au palais où siègent habituellement le Premier ministre et son cabinet.
Habillée de jaune, couleur du P.A.D., la foule, sagement assise autour de la scène, écoute attentivement les discours des leaders du mouvement de protestation, discours entrecoupés de mini concerts d’artistes activistes comme Wasan Sittikhet.
Il n’en faut pas plus pour entraîner un petit groupe de fervents supporters qui se mettent à se déhancher. Un bonze mitraille avec son appareil photo une femme portant un masque de cochon – caricaturant le faciès du Premier ministre – tandis qu’à ses côtés un homme brandit l’effigie d’une marionnette de policier pendu à un poteau.
C’est au tour des leaders étudiants de monter sur scène. L’ambiance est à son comble. A l’annonce d’une grande manifestation d’étudiants samedi après-midi à Sanam Luang, le public actionne d’un seul mouvement des castagnettes en forme de main – vendues 40 bahts l’unité devant l’entrée, 50 bahts les deux – dans un bouquant à en réveiller les fantômes du palais qui se dresse derrière lui. Des caméras de la chaîne satellite ASTV – elle appartient à Sondhi Limthongkul, l’un des leaders du P.A.D. – retransmet en direct les événements. Des grands écrans sont disposés un peu partout. On se croirait presque à un meeting de McCain avant le passage de l’ouragan à la Nouvelle-Orléans…
Un employé de la Thai Airways, arborant fièrement son badge sur sa chemise blanche, vient nous proposer des friandises et une bouteille d’eau. L’atmosphère est étouffante. L’air est irrespirable en ce début de soirée. Des odeurs rances se mélangent à la sueur. Après 10 jours de siège, l’hygiène est précaire. Des douches de fortune ont été installées derrière les bâtiments et les toilettes sont rares. On s’organise comme on peut. Des plats sous cellophane et des bouteilles d’eau, achetés avec les dons des sympathisants, sont distribués gratuitement. Les irréductibles dorment à même le sol sous de grandes bâches. D’autres ont installé des tentes dans les jardins. Seule la presse dispose d’une salle à air conditionné connectée à Internet.
Devant l’unique entrée, les sacs sont contrôlés et passés au détecteur de métaux. Des casques de moto sont disposés sur des barrières, prêts à être enfilés en cas d’une attaque surprise des opposants pro-gouvernementaux du D.A.A.D. Des casques de fortune que l’on trouve chez Carrefour et qui ne résisteraient pas à un seul coup de matraque, fendant en même temps le crâne de son propriétaire! De retour «d’une patrouille», un petit groupe d’hommes armés de bâtons et de battes de baseball nous croise sans lever la tête, le visage grave de ceux qui ont une mission. C’est la garde rapprochée. Le noyau dur qui ressemble plutôt à un groupe de casseurs habitués à mettre le feu dans les manifs. Parmi eux, se trouve peut-être celui qui a tué l’un des supporters du D.A.A.D. venus en découdre l’autre soir.
Aux alentours immédiats du palais, pas l’ombre d’un policier. Quelques fourgons sont bien stationnés deux cents mètres plus bas, sur l’avenue Pitsanulok. Quelques CRS sont positionnés le long du trottoir tandis que d’autres posent pour la photo avec leur bouclier et leur casque telle une équipe de football américain. L’armée, elle, est invisible. La sécurité et la circulation autour du siège des «insurgés» sont assurées par le service d’ordre du P.A.D… Etrange «no man’s land» en plein cœur de la capitale, à quelques centaines de mètres du palais du roi…
En quittant les lieux, une grande clameur venue de la scène, suivie par le tintamarre des castagnettes, annonce le rejet par les leaders du P.A.D. de la proposition du gouvernement d’appeler à un referendum pour décider du départ ou du maintien de Premier ministre. La bras de fer continue…
M.C. (à Bangkok)