Le renouvellement pour un an des sanctions européennes en avril illustre l’absence d’alternative. Faute d’une véritable brèche dans le régime, les puissances occidentales sont reléguées au rang de spectateurs.
Robert Cooper est, sur le papier, l’un des diplomates les plus influents à Bruxelles. Ce vétéran du Foreign office, qui seconda longtemps le Haut représentant de l’Union européenne Javier Solana, est désormais l’un des « missi dominici » de celle qui a succédé au vétéran espagnol : la baronne britannique Catherine Ashton. Le fait de voir M. Cooper débarquer voici peu à Rangoon pour y rencontrer notamment Aung San Suu Kyi laisse donc à penser que les Vingt-Sept cogitent. Quoi faire, alors que depuis les élections sous contrôle de novembre 2010, le pouvoir militaire birman parait une fois encore avoir consolidé sa position, en profitant des capitaux chinois, thaïlandais, singapouriens et autres qui affluent toujours ? Que dire, surtout, alors que la baisse de la production d’opium, en baisse en Afghanistan, reprend de plus belle dans le Triangle d’Or, résultat de mauvaises conditions climatiques et du renforcement des troupes de l’Otan ces vingt derniers mois ?
La réponse est assez simple et il n’est pas agréable de l’écrire : pour l’heure, les diplomaties occidentales demeurent démunies face aux généraux de Rangoon. Les arguments ne manquent pourtant pas pour reconduire les sanctions, comme cela a été fait par l’Union européenne en avril pour un an. La popularité d’Aung San Suu Kyi, égérie de la démocratie mondialisée, est aussi intacte, et son portrait continue de flotter devant le parlement européen à Bruxelles. Mais au delà des mots, tout manque. L’efficacité des sanctions est réduite. La Chine n’en a que faire et poursuit son avancée vers le sud, via la Birmanie. L’Inde observe, plus inquiète des velléités stratégiques de Pékin que de la répression au « Myanmar ». Les 2 200 prisonniers politiques connus – leur nombre réel est sans doute plus élevé – qui croupissent dans les geôles birmanes comptent parmi les détenus les plus ignorés de la planète. L’amnistie aux prisonniers, offerte par les autorités le 17 mai 2011, s’est avérée une farce, avec un an de remise de peine généralisée.
Le piège s’est refermé sur l’Occident. Trop occupés ailleurs, l’Europe et les états-Unis ont, de fait, accepté de confier le dossier birman à l’Asean depuis la sanglante répression de la révolte des moines de septembre 2007. à charge pour leurs alliés asiatiques de contenir les diables kakis de Naypyidaw, la nouvelle capitale birmane. Résultat: « Aussi longtemps que les gouvernements occidentaux se trouveront coincés par les réformes largement cosmétiques, l’impasse perdurera », prédisait, en mai dernier, l’hebdomadaire The Economist, ironisant sur le surnom donné à l’ex-Birmanie par les diplomates en place à Rangoon : « La république chinoise de l’Union de Myanmar ».
Il faut, en somme, trouver des raisons de durcir le ton. Ou, au contraire, de désserrer l’étau. Et c’est là, peut-être, que les mois à venir vont apporter leur petit lot d’éléments nouveaux. La reprise de la production d’opium dans le Triangle d’Or, confirmée par l’office des Nations unies à Vienne, présente de ce point de vue en effet un risque pour les généraux birmans. Car, même si les seigneurs locaux de la drogue bénéficient, à coup sur, de complicités haut placées au sein de la mafia chinoise et des capitales voisines, personne à Pékin ou Washington n’a envie de revoir cette région redevenir un abcès opiacé. Suivre de près la courbe des ventes de stupéfiants en provenance de la Birmanie est peut-être, aujourd’hui, l’un des indicateurs les plus pertinents pour juger de la volonté, ou non, de la communauté internationale d’intervenir et de redéfinir une « politique birmane ». Preuve que le commerce de la pâte brune d’opium, de la poudre blanche ou des amphétamines inquiète plus les gouvernements occidentaux que les atteintes aux droits de l’homme. Aussi flagrantes soient-elles.
RICHARD WERLY