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BIRMANIE Les oubliés du delta

Journaliste : Pauline Blistène
La source : Gavroche
Date de publication : 17/12/2012
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Plus l’on se rapproche de l’embouchure de l’Irrawady, plus les séquelles sont visibles: des bateaux échoués, des cocotiers décapités, des maisons bricolées avec ce que l’on a pu trouver… Un an après le passage du cyclone Nargis, qui avait causé la mort de plus de 138 373 personnes et 800 000 déplacés, l’aide internationale est toujours mobilisée.

 

Région très isolée, les ramifications du fleuve rendent certains villages difficiles d’accès, même par bateau. Mais il s’agit avant tout d’une zone traditionnellement rebelle, peuplée de Karens et de musulmans, hostiles à la junte au pouvoir. Pour des raisons de sécurité, les témoignages sont restés anonymes et les noms des villages ont été changés.`

 

07h00: Village de Mawlamyaing Kyun, 170 morts sur 300 habitants.

 

A un mètre des berges, un attroupement de petits abris extrêmement précaires signalent la présence d’un village. La pudeur laisse tout de suite la place à un échange animé. « Nous sommes encore totalement dépendants de l’aide internationale mais nous ne savons pas quand ils reviendront », explique une femme qui a perdu ses trois enfants dans la catastrophe.

 

Les visages sont durs, mais toujours souriants. « Si l’on avait le choix on partirait!, s’exclame un jeune homme qui ne cache pas son inquiétude à l’approche de la saison des pluies. Mais nous n’en avons pas les moyens ».

 

Le spectacle est en effet désolant. Les abris provisoires sont devenus permanents: quelques bouts de bois remplacent la structure, des bâches estampillées « ONU » ou « US AID » se substituent aux murs et aux toits. Deux bateaux permettent l’approvisionnement en poisson mais les rizières n’existent plus. « Des vagues de trois mètres ont submergé le village, la terre est devenue salée, raconte un rescapé. Nous n’avons ni outil ni bétail pour recommencer à cultiver. »

 

Une nouvelle saison des pluies pour que le sol soit nettoyé, des outils et du bétail. Cela permettrait de relancer la production de riz. Si l’aide alimentaire a permis à ces habitants de survivre, le retour à la normalité est pour le moment impossible. « Tant que nous n’avons pas d’outils pour retravailler la terre, nous sommes complètement dépendants », souligne une femme silencieuse jusque-là.

 

Soudain un autre homme déclare: « La seule chose que j’avais réussi à sauver était mon bateau, déclare-t-il. Mais un speed boat de l’armée m’a percuté, je n’ai jamais été dédommagé! »

 

Au détour d’une maison, un bruit étrange se fait entendre. Dans le dénuement le plus total, trois villageois sont réunis autour d’une mi
nuscule radio. «Des ONG nous l’a donné pour que l’on écoute les nouvelles afin d’être averti si un autre cyclone approchait, explique-t-il tout en programmant le poste sur la BBC. Un jour, un représentant du Programme alimentaire mondiale nous a demandé, pendant son inspection: Savez-vous qui est le nouveau président des Etats-Unis? Tout le monde a répondu en cœur: Obama!, termine-t-il fièrement.

 

11h00: Village de Kyain Chaung Gyi, 3900 morts sur 4200 habitants.

 

Des pavés défoncés signalent la présence d’une rue. La couleur du sol est pour le moins surprenante. « La terre est encore recouverte du riz répandu par l’explosion des sacs quand les greniers ont été balayés par les vagues », explique un pêcheur qui s’improvise guide. Il désigne, au fur et à mesure de la visite, des fosses communes où les corps on été enterrés à la hâte pour limiter le risque d’épidémie. « Nous vivons désormais parmi les morts », se résigne-t-il. «Nous nous sommes organisés pour envoyer nos enfants à Bogalay pendant la prochaine saison des pluies, raconte une femme. Je veux savoir ma fille à l’abri, dans une maison solide ! »

 

Tout à coup, une rue parfaitement entretenue surgit de ce paysage quasi lunaire. Le gouvernement birman a financé la reconstruction de 220 abris, une école, des purificateurs d’eau et la restauration de la pagode. Parfaitement alignées, ces maisons possèdent même un carré de terre en guise de jardin. « Je n’y ai pas cru et je me suis enregistré trop tard sur les registres, raconte un homme d’un âge moyen. Je dois maintenant financer moi-même la reconstruction ou attendre un nouvel élan de générosité du gouvernement ! ».
Ces abris suscitent désormais la jalousie entre les villageois. « Ils n’ont pas prévu assez de maison pour tout le monde, s’indigne un homme en passant. Nous vivons avec rien, alors que les autres, eux, ont retrouvé une maison ! ».

 

Soudain, un homme lance, discrètement: « Au lendemain de la catastrophe, nous voyions toujours notre village à la télévision. C’était l’exemple même de la bonté de nos dirigeants ! », ironise-t-il.

 

Des « village-témoins » comme celui-ci, il n’en existe pas beaucoup: une dizaine dans tout le delta. Six cent soixante villages ont pourtant été détruits pour la seule région de Bogalay. Des donateurs privés ont permis le financement de maisons «en kit», mais de manière toujours disparate. Des militaires s’approchent. La visite s’écourte soudainement.

13h00: Village du groupe de Kyun Thar Yar, nombre de victimes inconnu.

«Nous n’avions jamais vraiment manqué de nourriture grâce à l’intervention des humanitaires, explique le responsable du village. Maintenant que nous devons compter sur nous-mêmes, nous sommes inquiets ». Déclaration pour le moins étonnante: un bateau aux couleurs d’une ONG locale signale une aide encore présente. «Nous sommes venus apporter des batteuses pour le traitement du riz cultivé, explique le responsable de la mission. Cela permettra aux agicultuers de relancer plus vite la production et donc l’économie locale. »

 

Mais un an après le cyclone, la superficie cultivable a été divisée par deux. La salinité est bien sûr en partie responsable. C’est surtout la pénurie d’outil qui est encore montrée du doigt. « Les dons ne sont pas équitables, explique le responsable de la commune qui a perdu sa femme dans la catastrophe. Quand un village n’est pas directement aidé par des ONG locales, le gouvernement désigne arbitrairement ceux qui obtiendront du bétail ou un tracteur». Jalousie donc, entre ceux qui peuvent recommencer à cultiver leurs terres, et les autres de plus en plus vulnérables et dépendants.

 

Doter les cultivateurs d’outils et de machines est évidemment un impératif. Encore faut-il qu’ils puissent jouir de leur terre. « Le gouvernement exige que nous ayons la même productivité de riz qu’avant la catastrophe, explique un producteur très inquiet. Sinon, ce sont de grandes entreprises qui vont exploiter nos terres pour que les exportations n’en souffrent pas trop ».
Le délai n’est pas encore fixé. Mais les petits propriétaires terriens doivent main-tenant envisager l’idée d’être employés par une société pour que le « bol de riz » du Myanmar soit toujours rempli. « Je ne comprends pas pourquoi une entreprise aurait le droit de venir cultiver ma terre, tout en m’utilisant pour la production, s’étonne une femme. Les salaires étaient misérables et la production redistribuée, ridicule! ».
Les autorités locales, elles, encouragent la lutte improvisée de ces petits producteurs. « Nous sommes déjà 850 à nous rencontrer régulièrement pour tenter de combattre cette mesure !, explique le représentant de ces frondeurs. C’est évidemment le bon moment pour les business men! Nous sommes particulièrement vulnérables, mais nous ne nous laisserons pas faire! ».

 

Pauline Blistène

 

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