Aujourd’hui réfugié politique en France, Sam Rainsy, que Hun Sen, au pouvoir à Phnom Penh depuis 40 ans, a promis de faire enlever et assassiner, raconte son combat pour la démocratie avec un optimisme et une bonhomie presque déconcertants – et dans un français absolument parfait.
Comment est né votre engagement politique ?
J’ai toujours baigné dans la politique. Mon grand-père était ministre sous l’administration coloniale, mon père ambassadeur et ministre. Lorsque mon père entra en conflit avec le roi Sihanouk, ce dernier nous expulsa du Cambodge. J’avais alors 15 ou 16 ans. Nous avons, avec ma famille, traversé le Vietnam en guerre. Nous y sommes restés un an avant de rejoindre la France. Dans les années 1980, je me suis rendu à plusieurs reprises le long de la frontière cambodgienne, à la rencontre des réfugiés, sans pouvoir entrer au Cambodge. J’ai étudié puis travaillé en France, dans l’attente d’une opportunité de rentrer au pays. Elle se présenta suite aux accords de Paris de 1991 et l’organisation d’élections libres sous l’égide de l’ONU. En 1992, je rentrai à Phnom Penh pour me présenter aux élections de 1993. Mon engagement politique fut d’abord un appel du pays.
Comment se sont alors définis les piliers de cet engagement, au sein des différents partis dans lesquels vous avez pu évoluer au cours de votre carrière ?
Le pilier de mon engagement, le point principal de mon programme si l’on peut dire, fut avant tout l’opposition au « Cambodge vietnamien », inspiré du Vietnam communiste : Etat policier, parti unique. Je formais le projet d’un Cambodge démo-cratique, libre, pluraliste, libéral, attaché au respect des droits de l’Homme, aux antipodes de l’Etat autoritaire, pauvre, et arriéré qu’il était alors. Je m’opposais – et m’oppose toujours – en tout point à la politique menée par Hun Sen et son parti.
Comment appréciez-vous la situation politique actuelle au Cambodge ?
Nous voyons se développer au Cambodge les ferments d’une révolution des esprits, propice à une révolution politique pacifique, comme ce qui a pu se passer en 1986 aux Philippines, ou en 1998 en Indonésie. Tous les éléments sont réunis : 70% de la population a moins de 30 ans, elle est très jeune, éduquée, et informée, a accès à Facebook, Twitter, la télévision, la radio, et surtout elle voyage. Les Cambodgiens comparent avec leurs voisins : le Vietnam, ou la Thaïlande, qui, l’un pays communiste, l’autre dictature militaire, sont beaucoup plus développés.
La situation au Cambodge ne peut se maintenir en l’état d’un régime dirigé d’une main de fer par Hun Sen. Ce dernier cumule toutes les faiblesses ! Il n’offre à son peuple aucune liberté et cette lacune n’est comblée par aucune promesse de développement économique. De plus, aucune idéologie ne le porte, et il n’a aucune vision pour le pays, contrairement à certains dirigeants autoritaires comme Mahathir Mohamad en Malaisie, Lee Kuan Yew à Singapour, ou la « Berkeley Mafia » en Indonésie.
« Je formais le projet d’un Cambodge démocratique »
Pourquoi la révolution n’a-t-elle pas encore eu lieu ?
La réticence à se mobiliser tient à l’histoire de notre pays, notamment à son traumatisme né du génocide des Khmers rouges. C’est par l’instrumentalisation de ce traumatisme qu’Hun Sen a pu se maintenir si longtemps au pouvoir, en mettant en avant son rôle dans la transition post-Khmers rouges : « Je vous ai libéré des Khmers rouges, faîtes-moi confiance ». Mais tout ceci est en train de changer. La nouvelle génération n’a pas connu le génocide et ses membres ne portent pas ce traumatisme en eux : ils veulent aller de l’avant.
L’armée est-elle loyale à Hun Sen ?
Tout dépend du grade. Les généraux soutiennent Hun Sen, quand les colonels et les rangs inférieurs sont favorables à mon mouvement. L’armée opère selon un système clientéliste : le salaire de l’armée n’étant pas suffisant pour vivre, il faut prêter allégeance directe à Hun Sen pour se voir attribuer toutes sortes de privi-lèges lucratifs, comme le droit de couper du bois, d’ouvrir des casinos et des bordels. Ces privilèges n’étant distribués qu’aux généraux, les colonels sont aigris. En bref, l’armée n’est pas loyale à Hun Sen, elle est loyale à l’idéologie de l’argent.
Quel est le rôle de l’institution bouddhique dans la mobilisation pro-démocratique ?
A l’image de l’armée, les chefs de pagode soutiennent Hun Sen quand les petits bonzes nous sont favorables.
Pour lire la suite de l’interview exclusive de Sam Rainsy paru dans le numéro de février 2018 du magazine Gavroche dispo,nible en version digitale pour 2.99 €, cliquez ici
Numéro également disponible sur les kiosques numériques lekiosk.com, pressreaders.com, zinio.com
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