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THAILANDE Conflit Politique – Manifestation à boulets rouges

Journaliste : Philippe Plénacoste
La source : Gavroche
Date de publication : 15/12/2012
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Bangkok, mercredi 8 avril. Si on juge le succès d’une manif par le nombre de participants, les « chemises rouges » ont montré qu’elles pouvaient mobiliser bien plus de supporters que les « chemises jaunes » – quand ces derniers occupaient, voici quelques mois, le même périmètre – une ceinture entourant le siège du gouvernement, le Parlement et la résidence du général Prem Tinsulanonda, président du conseil privé du Roi et cible principale des mouvements de protestation d’aujourd’hui.

 

Toute la matinée, des vagues rouges ont déferlé sur l’avenue Pitsanulok et la Place royale pour former une foule uniforme d’environ 50,000 à 100,000 personnes (selon nos estimations), qui s’est ensuite dirigée aux alentours de 10 heures vers la maison du général Prem – située à deux kilomètres de là, sur Sri Ayudhaya -, protégée par des troupes anti-émeutes de la police et un dispositif de sécurité renforcé (blocs de béton, barbelés, lances à incendie).
Sans avoir rencontré de résistance, trois camions-podiums sonorisés ont été placés devant la résidence pour permettre aux leaders du mouvement de vociférer leurs critiques envers le conseiller du Roi et le gouvernement. Le général Prem, qui avait déclaré hier ne pas vouloir « fuir » la foule, se trouverait à l’intérieur du bâtiment.

 

Mais en fin de matinée, les manifestants attendaient toujours l’intervention téléphonique (finalement reportée à ce soir) de leur leader spirituel, Thaksin Shinawatra, devenu l’ennemi juré de l’Etat depuis ses attaques au vitriole contre Prem et le général Surayud (ancien Premier ministre sous la junte et aujourd’hui au Conseil du Roi), qu’il accuse d’être derrière le Coup d’Etat militaire qui l’a renversé, lui et son gouvernement, en septembre 2006.

 

Thaksin et les chemises rouges revendiquent aujourd’hui le départ du gouvernement «illégitime» d’Abhisit, un «retour à la démocratie» via des élections générales et la non interférence des généraux qui siègent au Conseil du Roi, une instance hautement respectée car les membres sont nommés par le Monarque lui-même.

 

Depuis les attaques de Thaksin, le royaume est retombé dans la même effervescence qu’avaient provoquées les manifestations des « jaunes » du PAD, mouvement civil qui a précipité la chute du gouvernement Somchai (beau-frère de Thaksin) en décembre dernier suite au blocage de l’aéroport international de Bangkok.

 

Comment la situation peut-elle évoluer ?

 

Les deux incidents qui ont eu lieu hier montrent que la situation dans le pays peut dégénérer. Le Premier ministre, en visite hier à Pattaya, a échappé de peu à une cinquantaine de manifestants en colère qui s’en sont pris à sa voiture alors que le convoi officiel était bloqué dans le trafic.

 

Plus inquiétant encore, la presse locale rapporte ce matin qu’une tentative d’assassinat qui visait un autre conseiller du Roi, Chanchai Likhitjittha, ancien président de la Cour Suprême, aurait été déjouée par la police suite à l’arrestation de trois tueurs à gage qui ont dénoncé un commandant de l’armée comme étant le cerveau de l’opération. Ce dernier a été appréhendé ce matin. Chanchai a aussi été accusé par Thaksin d’être l’un des instigateurs du coup d’Etat de 2006.

 

La riposte des conseillers du roi visés par Thaksin ainsi que du gouvernement et d’une partie des ennemis politiques de l’ancien chef du gouvernement (2001-2006), dont un de ses anciens fidèles lieutenants, Newin Chidchob, a été radicale et pourrait mettre le feu aux poudres : ces derniers l’accusent de vouloir renverser la Monarchie. En se plaçant sur cette ligne de front, le mouvement «rouge» devient lui aussi un ennemi du Royaume et non plus une force politique d’opposition et de revendication.

 

Dans la rue ce matin, si aucun portrait de Sa Majesté n’était brandi par les manifestants ou présent dans les stands de vente parmi les objets à l’effigie de leur mouvement (applaudisseurs en plastique en forme de pied ou de cœur, photos de Thaksin, tee-shirts…), les chemises rouges continuaient toujours de clamer, comme Thaksin, leur fidélité à la Monarchie et semblent viser un seul objectif : la chute du gouvernement Abhisit et l’appel à de nouvelles élections.

 

Sean Boonpracong, analyste politique, joint par téléphone, pense que le blocus de la résidence de Prem pourrait durer « encore trois jours» avant qu’une décision ne soit prise, à l’approche de Songkran, sur la suite à donner au mouvement.

 

Cette démonstration de force semble donc pour le moment vouée à une issue pacifique, car il est improbable que les leaders rouges ne décident de radicaliser la manifestation en attaquant la résidence du Premier Conseiller du Roi. Ce qui provoquerait inévitablement une réaction des forces de police et de l’armée. Mais le gouvernement ne semble pas non plus disposé à mettre le feu aux poudres en déclarant l’état d’urgence où en utilisant la force pour disperser la foule, «tant qu’il n’y a pas de débordement et que la situation reste sous contrôle», a toutefois précisé Abhisit Vejjajiva.

 

Malgré la chaleur et les sirènes des voitures de secours qui emportent les personnes victimes d’un malaise, des dizaines de milliers de personnes attendront au moins jusqu’à ce soir la vidéo conférence téléphonique désormais quotidienne de leur leader en exil avant de savoir s’ils pourront retourner chez eux à temps pour célébrer le Nouvel an thaïlandais, qui commence vendredi soir.

 

Philippe Plénacoste

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