Rien ne sert d’être pressé sur l’île cingalaise. Mieux vaut se laisser aller au rythme de la vie locale. Train, bus ou tricycles, là est le véritable voyage.
Bidies au coin des lèvres pour les hommes, sari coloré pour les femmes. À trois heures de vol à peine de Bangkok, le dépaysement est total. Les premiers contacts avec les Srilankais le confirment. Ici, on hoche la tête. Oui ? Non ? On ne sait pas trop mais tout le monde le fait.
Cultures, traditions, religions, randonnées altitudes ou farniente : chacun y trouve son compte dans cette ancienne colonie britannique. En quelques jours, on peut combiner un parcours dans les cités anciennes, partir à la découverte des plantations de thé ou le temps s’est arrêté et terminer la boucle en bord de mer où le surf est une religion.
L’aéroport se trouve à Négombo, à une trentaine de kilomètres de la capitale, Colombo. Si bien des touristes s’offrent le confort d’une voiture avec chauffeur durant leur séjour, il est possible de se débrouiller avec les transports en commun. Les villes et villages restent bien desservis et à fréquence régulière. La ponctualité ne fait pas partie des habitudes mais au Sri Lanka, on se plaît à vérifier l’adage qui dit que tout vient à point à qui sait attendre. Car le spectacle qu’offre un trajet de train vaut bien plusieurs minutes de patience sur le quai.
Les transports publics sont aussi le meilleur moyen de rencontrer des Srilankais, qui n’hésiteront pas à venir s’asseoir à côté de vous, juste pour discuter, même si le bus est presque vide. La mixité du pays, qui puise ses racines dans un passé aux diverses influences coloniales et religieuses, a sans doute rendu ce peuple curieux et ouvert d’esprit.
De l’histoire ancienne
Le voyage commence à Polonnâruvâ, une cité chargée d’histoire, au nord-est du pays, à 170 km de Colombo. Les trois célèbres bouddhas du Gal Vihara sculptés dans une seule paroi rocheuse siègent dans cette ancienne capitale moyenâgeuse. Le premier se présente assis en position de méditation ; le deuxième est debout, les bras croisés sur la poitrine, posture synonyme de son illumination ; le troisième, couché, symbolise l’accès au Nirvana. Ces trois images finement sculptées rappellent qu’à cette époque, les Srilankais étaient de grands spécialistes de la culture sur roche.
Un peu plus au nord-ouest, dans la province centrale du pays, on trouve la ville sainte d’Anurâdhapura et ses ensembles monastiques prestigieux. Au centre, se dresse le Sri Maha Bodi, symbole spirituel du lieu. Cet arbre sacré a été authentifié comme l’un des plus vieux au monde. Des milliers de pèlerins s’y rendent, surtout le week-end, pour déposer des offrandes et prier. Tout cela parmi les singes.
Classée au patrimoine mondial par l’Unesco, on retrouve aussi la célèbre cité de Sigirîya (« rocher du lion »). Nîchée dans la province centrale du pays, cette ancienne capitale royale du Sri Lanka figure parmi les sites archéologiques majeurs. Plus de mille marches nous séparent du sommet (370 mètres) où l’on admire, sur la façade ouest, des fresques de plus de mille ans.
L’ascension est fastidieuse mais le panorama qui s’offre ensuite est grandiose. Au nord et à l’est, la jungle est tachetée de lacs et de villages. Au loin, on aperçoit les contreforts montagneux du pic d’Adam. Au sud et à l’ouest, le point de vue plongeant sur l’alignement « versaillais » des jardins laisse apparaître une perspective parfaite, inimaginable depuis le sol.
Le lendemain, nous faisons cap vers le Sud, dans les hauteurs de l’île. Premier arrêt à Kandy, une ville établie autour d’un lac niché dans les collines. C’est là que se situe l’un des monuments les plus vénérés au monde par les bouddhistes : le temple de la dent sacrée. De nombreux mythes tournent autour de cette dent qui aurait été épargnée des flammes du bûcher des funérailles de Bouddha et serait arrivée clandestinement au Sri Lanka au 4ème siècle après J.C., cachée dans les cheveux de la princesse. Les habitants de Kandy n’hésiteront pas à narrer l’histoire en détails.
Kandy, c’est aussi un marché où les gens affluent pour venir vendre leurs épices. Une multitude de restaurants et échoppes pour boire le thé se succèdent dans les rues. Le curry et le piment viennent piquer le nez. La place stratégique de la ville de 115 000 habitants représente un point d’entrée idéal pour aller visiter les plantations de thé.
Le train, un voyage en soi
C’est également dans cette province montagneuse que débute un des périples en train les plus époustouflants du pays. Direction
Ella, un village au milieu des plantations, à 7 heures de train au sud-est de Kandy. On peut choisir la 1ère classe et son wagon panoramique climatisé. Ou bien voyager plus simplement, en 2ème et 3ème classe, comme la majorité des passagers.
Comme dans le bus, les gens observent avec curiosité les touristes venus jusqu’ici. Quelques sourires échangés et c’est le début d’une conversation. On sent la fierté des habitants pour leur terre. Ils n’ont cesse de vanter les merveilles naturelles du Sri Lanka. Certains font le trajet simplement pour admirer la vue. On ne s’en lasse pas. Les paysages sont préservés, l’authenticité aussi. Le train passe dans des endroits où la voiture ne peut aller, franchit des ponts suspendus, traverse des montagnes, des plantations de thé, des chutes d’eau… et donne le sourire à ceux qui attentent son arrivée toute la journée. Sur les quais, quelques personnes montent dans les wagons, d’autres saluent les voyageurs. Certains y viennent juste pour passer le temps. Les vendeurs ambulants déballent leur marchandise et se faufilent parmi les passagers, s’arrêtant, de temps à autre, pour déguster ce qui se trouve dans leur panier.
Le tout petit village d’Ella offre de nombreuses possibilités d’hébergement et de restauration. Un havre de paix pour les routards et les passionnés de randonnée. En partant à l’aurore pour l’ascension du Mont Adam, on croise les cueilleurs de feuilles en route pour le travail. Perchés dans les hauteurs, ils nous saluent. Les gens que nous croisons en chemin nous accompagneraient bien jusqu’au sommet s’ils le pouvaient. À défaut, ils s’assurent que nous allons dans la bonne direction. Du haut de ses 1141 mètres, le mont propose un infini à perte de vue, des montagnes, des vallées, des plantations, des cascades… et un grand sentiment de satisfaction.
Retour dans la vallée
Pour prendre le bus depuis Ella, rien de plus simple, il n’y a qu’une rue ! Haputale se trouve au prochain arrêt, à 1h30 au sud. En contrebas de la rue principale et à proximité de la gare se trouve un immense terrain vague aux couleurs ocre. Ouvert sur la vallée, c’est ici que s’entraînent les équipes de criquet et de volley-ball. Tous les joueurs veulent devenir champions et passer à la télévision. En attendant, les balles fendent les airs. à qui veut réceptionner le prochain ballon. On prend part au jeu sans même s’en rendre compte. Pour le plus grand plaisir de ces sportifs en herbe.
À 11 kilomètres d’Haputale, le bus conduit les employés à l’usine de Dambatenne, perchée en haut d’une colline. C’est ici qu’est préparé le thé pour Lipton, premier acheteur. Thomas Lipton lui-même a fondé cette usine en 1890. Vu de l’extérieur, le bâtiment ne paye pas de mine. Monnayant quelques roupies, il est possible de visiter cette usine – une des plus grandes du pays – et comprendre le processus de fabrication du breuvage, de la cueillette au produit fini.
On découvre les quatre étapes que sont le flétrissement des feuilles, le passage sur les machines roulantes puis à la salle d’oxydation pour ensuite finir par le séchage. L’odeur des feuilles enivre. Et puis on réfléchit. Tous ces paquets entassés, prêts à partir vers le Vieux Continent. Que reste-t-il sur place ?
De retour dans la vallée d’Haputale, on choisit le tuk tuk local, le seul moyen de locomotion avec le taxi, pour reprendre immédiatement de la hauteur, en direction de la « fin du monde », un parc national situé dans les plaines d’Horton. Il faut partir très tôt le matin pour entamer les trois heures de randonnée et ainsi éviter l’épais brouillard qui s’incruste quotidiennement au milieu de la matinée. Par beau temps, on distingue, au loin, les contours de l’Océan Indien. Avec sa steppe, ses animaux paissant ici et là et ses vastes prairies aux couleurs dorées, on se croirait au milieu de la savane africaine, mais en altitude.
Le périple prend ensuite le chemin de la mer. Galle est une capsule de vie dans laquelle le temps semble s’être arrêté. Une fois les portes du fort franchies, on se sent transporté dans l’époque coloniale néerlandaise du 17ème siècle.
Dans ces petites rues piétonnes charmantes et colorées, les gens circulent à bicyclette. Les artisans s’attèlent à leur tâche journalière tandis qu’on les observe du haut des remparts, près du phare, symbole de cette ville portuaire. L’art se rencontre à chaque coin de rue.
Les habitants, comme décidément partout sur l’île, apprécient le contact. Ils n’hésitent pas à demander qu’on les prenne en photo et qu’on leur envoie ensuite le cliché. « Je m’appelle Delip et j’habite à Galle, renseigne l’un d’eux lorsqu’on lui demande son adresse. Tout le monde me connait ici, la lettre arrivera sans problème, je demanderai tous les jours au facteur. » Et c’est ici que se referme la boucle de ces quelques jours de voyage. Un séjour au pays des couleurs, des rencontres et des instants suspendus. Vous reprendriez bien un peu de thé ?
Texte Natasha Martin
Photos Kittikun Kunatornporn