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INDOCHINE – LITTÉRATURE : René Jouglet, l’homme des dessous de Saïgon

Journaliste : François Doré
La source : Gavroche
Date de publication : 03/09/2021
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Notre compagnon d’écriture et chroniqueur François Doré a pris l’habitude, depuis de longues années, de nous régaler avec ses chroniques littéraires indochinoises. En voici une nouvelle, consacrée à René Jouglet. Fermer les yeux et faites vous lire ce texte…Vous êtes en Indochine, dans les années vingt. Premier épisode /3

 

Une chronique littéraire de François Doré, Librairie du Siam et des colonies

Le paquebot doubla le cap Saint-Jacques et pénétra dans la rivière de Saïgon. Le jour se levait. Une vingtaine de passagers, nouveaux venus en Indochine, avaient gagné le pont et ils laissaient courir leurs yeux sur les quelques villas qui sont bâties à cette pointe. On était à la fin de janvier. La température ne se montrait pas encore accablante, et la brise marine faisait de cette heure un délice.

 

Au temps de la prospérité

 

Assise à l’avant dans un fauteuil de toile, Lucienne, en pyjama rose assez collant, regardait le paysage un moment accidenté puis tout de suite plat, étendues de rizières, espaces de monotonie. Elle se trouvait seule. Tout à l’heure, quelques célibataires du bord viendraient tourner autour d’elle : les tout jeunes gens lui adresseraient la parole avec une politesse dont elle n’avait pas l’habitude et les autres, avec une familiarité qu’elle tolérait aisément, y étant habituée. Quant aux femmes vertueuses, elles lui passeraient sur les pieds sans même lui dire bonjour. Car, à présent, les passagers savaient quelle n’avait en France d’autre occupation que de faire commerce de ses charmes, lesquels étaient certains, et qu’elle ne venait pas en Extrême-Orient pour taper à la machine ou pour se marier. Si elle avait affronté la mer, qu’elle craignait un peu, encore qu’elle eût sous les yeux, et chaque jour, le vieux port de Marseille, ce n’était pas dans l’intention de ses refaire une virginité d’âme ou de corps, ce qui paraissait difficile : c’était pour remplir autant que possible de piastres son escarcelle. Car on était au temps de la prospérité…

 

A cette époque, dans les années vingt, la colonie nageait dans le bien-être. Les affaires de riz et de caoutchouc ouvraient au monde un vrai Pactole. Les planteurs, les commerçants, les fonctionnaires vivaient dans l’or. On n’avait jamais vu pareils jeux de la spéculation, pareille facilité aussi à jeter l’argent par les fenêtres. Et l’on conçoit que les petites alliées de Marseille et d’ailleurs, aient volontiers pris le bateau.

 

Un garçon robuste et jovial

 

Vers les sept heures, le capitaine Darand, un officier de l’armée de terre, garçon robuste
et jovial, le seul qui fit ouvertement danser Lucienne, s’en vint se planter auprès d’elle. Il
était tout débraillé, la tunique de toile ouverte sur un ventre déjà bedonnant.

 

— On approche, cria-t-il à la cantonade.
Puis baissant tout à fait la voix :
— Ma petite Lucienne, c’est vrai qu’on approche et ça veut dire qu’on va devoir se séparer.
— J’ai l’habitude, dit-elle, c’est dans les conditions du métier… A Saïgon, on ne se revoit
plus ?
— Un jour, dit-il, pas davantage. J’ai mon affectation depuis vingt minutes.
— Pour quel patelin ?
— Pour le Tonkin.
— c’est loin d’ici ?
— Dans les trois jours.
— Un peu loin, en effet, même si t’as des permes.

 

L’enveloppe dans le tiroir

 

Elle ajoute :
— Penses à mes frais d’installation.
— C’est fait, dit-il. Je sors de ta cabine. Tu trouveras l’enveloppe dans le tiroir de la table
de nuit.
— Pas trop radin ?
Il eut un mouvement d’épaules assez évasif.
— Ce ne serait pas des manières, dit-elle.
Elle se leva, elle dit qu’elle allait s’habiller et qu’on se retrouverait au même endroit vers
les dix heures.

 

Darand fut exact au rendez-vous. Maintenant il était rasé de frais, il portait sa tenue blanche et ses décorations. Il redevenait un officiel.

 

Dans les tournants de la rivière, la cathédrale apparaissait alternativement à droite et à gauche ; il n’y prêtait pas attention : ce n’était pas la première, ni la seconde fois qu’il venait à ce spectacle.

 

Lucienne parut. Toujours en rose. Une robe plus collante que le pyjama, pas trop décolletée, mais le sein provocant, les hanches étroites, et des yeux d’un éclat humide et tendre.

 

Darand souffla. Il ne l’avait jamais vue aussi désirable……

 

Et bientôt l’épisode 2: Une piastre, c’est combien de francs déjà

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