GAVROCHE HEBDO – ÉDITORIAL : En Birmanie, Total n’est pas resté indifférent
On le sait : la règle habituelle est de taper sur les multinationales, en particulier celles du secteur extractif : pétrole ou minerais, accusées d’être indifférente au sort des populations dans les pays pauvres ou émergents où elles travaillent. Alors, pour une fois, la lucidité impose de féliciter Total et son président Patrick Pouyanné car ce dernier vient de prendre en Birmanie une décision d’autant plus politiquement courageuse qu’elle est financièrement couteuse. Et ce, à quelques jours du tragique premier anniversaire du coup d’État militaire du 1er février 2021.
Gisement de Yadana
Peu connu du grand public, le gisement birman de gaz de Yadana, exploité depuis près de vingt ans, est un filon qui alimente en énergie la Thaïlande voisine. Même s’il s’épuise, Total avait, dans le passé, résisté à toutes les pressions humanitaires et il y en a eu beaucoup.
Or les généraux birmans ont repris dans le sang les rênes de ce pays au sous-sol très riche en ressources naturelles. Aung San Suu Kyi, emprisonnée, vient d’être condamnée à six ans de prison. Total se retrouvait donc dans l’impasse car cette fois, l’armée entend bien rester aux commandes. Une première solution, qui consistait à geler les revenus du gazoduc de Yadana, n’était pas tenable. Le président du géant pétrolier n’avait donc que deux options : soit risquer l’opprobre internationale, soit revendre ses parts.
Obligation de lucidité
Total et son partenaire américain Chevron ont donc décidé de montrer que ces grandes sociétés pétrolières, accusées en plus de polluer le planète et de contribuer à son réchauffement, ont maintenant une obligation de lucidité. Mais regardons les choses en face : la Birmanie a beau être au cœur de la région la plus dynamique de la planète sur le plan économique, elle n’est pas un carrefour géopolitique ou la puissance de la France est en jeu. Il est des lors plus facile de prendre ses distances ici qu’en Afrique ou dans le golfe persique, d’autant que les repreneurs, thaïlandais ou chinois – PTT est le repreneur naturel – seront sans doute moins regardants.
Plus grave : la situation de la population birmane ne va pas s’améliorer parce que Total est parti. Ceux qui remplaceront les français seront choisis par les militaires avec mission de fermer les yeux et de remplir les poches des généraux. Au fond, Total sort davantage pour se blanchir que pour aider la Birmanie. C’est la morale humanitaire qui l’a emporté. On peut s’en féliciter. Mais l’économie, ce n’est pas de la morale. Et les généraux birmans, finalement, ne sont peut-être pas si mécontents de voir, demain, arriver des pétroliers aux mains plus sales que le géant français.