Notre collaborateur François Guilbert scrute de très prés la situation en Birmanie où, comme le 10 décembre dernier, l’opposition aux militaires putschistes et l’un de ses bras armés le Mouvement de désobéissance civile (CDM) ont décidé de se faire entendre en appelant tout le pays à un silence assourdissant le mardi 1er février de 10 à 16 heures. Ce sera leur manière de commémorer pacifiquement le premier anniversaire du putsch du général Min Aung Hlaing. Via les réseaux sociaux depuis la fin de la semaine dernière, le message a été abondamment répliqué. La population est invitée à massivement rester chez elle (#SilentStrike) puis à exprimer bruyamment sa désapprobation au régime du Conseil d’administration pour l’Etat (SAC). A quatre heures de l’après-midi, les habitants sont conviés à faire le plus de tintamarre possible (#ClappingStrike), en applaudissant pendant de longues minutes, en klaxonnant de manière continue dans les rues ou en frappant depuis chez soi sur tout instrument à portée de mains.
L’opposition veut souligner une fois encore qu’elle maîtrise symboliquement les espaces urbains, qu’elle peut spectaculairement en interdire l’accès ou se l’approprier pleinement en dépit des moyens militaro-policiers déployés et de leur férocité. Dans cette bataille des villes, le tohu-bohu ne sera pas sans risque. En effet, à de nombreuses reprises ces derniers mois, les hommes en armes de la junte n’ont pas hésité à faire feu sur les façades des habitations suspectées de faire du barouf ou à conduire des descentes violentes dans les appartements pour faire cesser immédiatement les concerts de réprobation.
Nouvelle épreuve de force
La nouvelle épreuve de force qui s’engage, entre la junte et la société birmane, ne tournera vraisemblablement pas à la faveur du régime militaire. Il a peu moyen pour imposer aux Birmans de circuler pendant le créneau horaire prohibé par ses opposants. Tout au plus, il pourra exiger de certains marchands, sous peine de sanctions si ses injonctions ne sont pas respectées, de ne pas baisser leurs rideaux. Pour autant, les consommateurs ne se précipiteront pas pour faire leurs emplettes sauf si à l’image de quelques stations à essence ils offrent gratuitement leur carburant aux motocyclistes et automobilistes. Le régime et ses affidés cherchent « LA » parade à cette résistance passive qui s’affichera par le vide dans des centaines de villes-mortes. Ils ne l’ont pas encore trouvé.
Pas possible d’escompter des rassemblements de masse
Pour remplir les artères désertées, faire défiler dans les centres urbains les partisans des chefs de la Tatmadaw est une possibilité mais il ne sera pas possible d’escompter des rassemblements de masse, même en payant les protestataires des cortèges. Toutefois, la junte s’y essaie à la mesure de son attractivité depuis le 31 janvier au matin. Les tentatives à Rangoun et Mandalay le mois dernier n’ont guère été probantes. Les rues sont restées désespérément vides sur les prises de vues des téléphones portables et les contre-manifestations aussi peu nombreuses que chétives. La propagande kaki ne put contredire le succès éclatant de l’appel DCM. Dans de telles circonstances, il est cocasse de constater que rien n’est plus visible et audible que le silence. C’est une arme politique redoutable et très photogénique. Elle se révèle plus l’expression d’une force qu’une traduction de faiblesse. Le silence de masse demande un sang-froid collectif.
Détermination à se faire entendre par tous les moyens et en toute circonstance
Il n’est pas l’incarnation de la peur ou de la haine mais de la détermination à se faire entendre par tous les moyens et en toute circonstance. Il est un passage réfléchi à l’action de tout un peuple dont certains citoyens ont fait le choix de la lutte armée. Jamais il n’a été aussi juste de parler de « majorité silencieuse » que dans le cas birman. Mais, nous ne trompons pas ! Le message politique véhiculé de manière non violente n’est pas un renoncement ou une dénonciation du recours aux armes. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le message de mobilisation le plus récurrent sur les réseaux sociaux : « Nous restons calmes si nous le voulons. Nous bougeons si nous le décidons. Ils ne pourront jamais nous gouverner ».
Face à une telle détermination, terreur, hyper-violences et coercition sont les seules réponses auxquelles se prête la junte. C’est pourquoi, les jeunes sont aujourd’hui visés plus que jamais par la répression des généraux. Insécurisés, ils changent de domicile, évitent tout rassemblement amical et limitent, autant que possible, leurs déplacements. Pour réduire plus encore leurs interactions personnelles, le SAC aspire à mieux maîtriser leurs télécommunications. Il veut interdire et criminaliser par une nouvelle loi de cyber-sécurité la détention de VPN mais les milieux d’affaires nationaux et étrangers s’y opposent publiquement. Il est vrai que ce sont des outils indispensables à la diffusion des informations critiques et aux mouvements de résistance. Les putschistes veulent faire taire la Génération Z. Ils souhaitent également la rendre moins mobile. A cette fin, la junte multiplie les obstacles à la circulation physique des personnes. Non seulement dans de nombreux townships il faut désormais disposer d’un permis spécial délivré par la Direction des affaires générales (GAD) inféodée à l’armée pour voyager mais sur la route les multiples check-point des forces de l’ordre sont autant d’occasions d’interpellations arbitraires et de racket. A ces mesures coûteuses voire dangereuses sont venues s’ajouter depuis peu des interdictions de transport de nombreux biens. Il est ainsi dorénavant officiellement défendu dans les déplacements, en particulier au long cours, d’emporter avec soi « trop » de nourriture ou de vêtements, plusieurs téléphones portables ou ordinateurs, des équipements électroménagers voire des métaux.
Toujours plus de répression
Sur une liste d’une vingtaine d’items, autant de biens suspectés de pouvoir renforcer les capacités combattantes des mouvements d’opposition. Ces mesures jusqu’ici inusitées démontrent combien Nay Pyi Taw doit aller toujours plus loin dans la répression et les privations de liberté pour voir les généraux putschistes se maintenir au pouvoir. Dès lors, la Tatmadaw doit s’inquiéter autant des silences des populations de son pays que de leurs revendications verbalisées. Il est des silences qu’il vaudrait mieux entendre avant qu’il ne soit trop tard ! L’opération villes-mortes du 1er février 2022 ne sera pas seulement comme sa devancière de décembre 2021 l’occasion de démontrer force et détermination, elle sera un moment d’hommages au millier de martyrs tombés sous les balles et la torture des forces de sécurité de la junte et de les assurer que la lutte déterminée se poursuit y compris en leur mémoire. Elle pourrait même se prolonger les 2 et 3 février par d’autres modes d’actions, notamment le jet de détritus ou de pierres sur les axes de communication.
François Guilbert