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CAMBODGE – SANTE: Choc des cultures… Le temps et la santé (3ème partie)

Journaliste : Frédéric Amat
La source : Gavroche
Date de publication : 12/09/2018
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Troisième volet de notre enquête sur les moeurs et coutumes cambodgiennes. Ce mois-ci, notre correspondant aborde la notion du temps et les questions de santé. méfiez-vous du cham tik !…

 

Le temps, et avec lui la précision, n’ont pas les mêmes valeurs en Asie qu’en Occident. Les touristes en vacances au Cambodge s’en accommodent parfaitement et trouvent à cette nonchalance temporelle de nombreuses qualités. Elle leur renvoie l’image d’un pays tout en douceur où la vie coule comme les eaux d’un fleuve tranquille. Une image en opposition avec le stress que l’obligation d’exactitude fait peser sur leurs épaules dans leur propre pays. Le monde dit civilisé vit comme un robot qui ne supporte plus aucun grain de sable dans sa mécanique bien huilée. Et ce monde-là se laisse séduire durant ses congés payés par ce pays où les «gens n’ont pas la même notion de temps que nous!».

 

L’expatrié au Cambodge, lui, au contraire, a beaucoup de mal à s’adapter à ce que certains appellent cette «nonchalance horaire», et à ce que d’autres préfèrent décrire plus généralement comme une absence de rigueur généralisée. L’exactitude a été érigée en règle universelle. Un expatrié qui travaille au Cambodge ne perd pas, en quelques semaines ou même en quelques années, son patrimoine culturel. Celui-ci est attaché à son comportement comme une carapace sur le dos d’une tortue.

 

L’expatrié, infatigable fourmi des temps modernes, compte son temps, dispose d’un programme et d’horaires à respecter. Bref, lui, il bosse. Il n’a pas une seconde à perdre. Il n’est pas en vacances. Et, de ce fait, il ne peut supporter qu’un bus ou un bateau ne parte pas à l’heure précise. Cela recèle un «je-ne-sais-quoi» d’irritant. Le plus angoissant pour l’expat’, en réalité, n’est pas tant le retard en soi. Le plus exaspérant vient du constat qu’aucun autochtone touché par l’inadmissible retard ne prête attention à ce détail, qu’il supporte avec une fatalité déconcertante. L’Occident n’a plus de temps pour la fatalité, pour le karma ou le destin. L’expat’, lui, doit arriver à l’heure à son rendez-vous. Un point c’est tout! Et il ne peut même pas trouver dans le regard de ses voisins qui patientent le reflet de sa propre colère. Ces voisins, eux aussi coincés entre deux couches d’espace-temps bien moelleux, les pieds dans le sable qui file à toute allure dans l’étroite fente du cosmos, n’ont que faire de ce retard qui s’accumule. Et ils ont bien raison car l’énervement du Barang, sa colère, et ses gesticulations n’y changeront rien. Au pays du sourire, le temps n’existe pas. Il ne passe pas, ne s’écoule jamais, ne se perd, ne se donne, ni ne se gaspille. Le temps se prend. Tout simplement. Le temps est suspendu au bon vouloir des évènements et non l’inverse !

 

Le traditionnel cham tik, «attends un peu», ne dispose ainsi pas, dans la bouche des Cambodgiens, des mêmes valeurs de temps que lui accordent généralement les étrangers. Alors que l’expatrié relie cette locution à quelques minutes seulement (dépassant rarement la demi-heure au Cambodge), le cham tik n’est relié à rien de précis, et encore moins à la notion d’impatience. Prononcé par un employé qui reçoit un expatrié pour un rendez-vous avec son patron, le cham tik peut très bien signifier que le rendez-vous a été annulé car la personne est partie en vacances. Un barang averti se méfie énormément du cham tik, qui est très souvent un faux-fuyant permettant d’éviter un conflit ou une explication précise ; bref tout ce qui pourrait faire «perdre la face». Cette perte de face se caractérise chez celui ou celle qui en est victime par un sourire figé et une gêne visible. Elle se déclenche lorsqu’une critique est émise ouvertement, publiquement et directement. Il s’agit également d’une notion très floue et difficilement évaluable, mais la colère que pique publiquement un expatrié envers un Asiatique suffit à la déclencher. Elle peut avoir des conséquences inattendues, généralement disproportionnées par rapport à sa cause. Quoi qu’il en soit, il n’est pas recommandé de faire perdre la face à des quidam… surtout si ces personnes disposent d’une face fortunée et de fesses bien placées.

 

Autre exemple où le temps influe sur la face et crée forcément un malentendu: dans un restaurant, il se peut que le plat commandé n’arrive jamais. Le serveur n’ose tout simplement pas annoncer à l’étranger qu’il n’y a plus de pommes de terre pour faire ses frites. Il préfère la fuite à l’explication car il sait la situation conflictuelle. Et plus ce serveur-là laisse couler le temps dans le ruisseau de la patience, plus il se charge d’électricité et se transforme en torrent de colère, avant d’exploser en cascade d’insultes et de grossièretés; aboutissant ainsi à une perte de face dudit serveur. Et sur cette face perdue s’affiche toujours un masque de sourire. Figé. Mais sa signification est bien particulière. Ce légendaire sourire qui charme si souvent les visiteurs, peut tout aussi bien leur glacer le sang. Un vieux Cambodgien francophone raconte que les Khmers rouges étaient capables de «vous tendre la main avec le sourire et un peu plus tard de vous tirer une balle dans la nuque avec ce même sourire…»

Le flou, qui entoure la notion de temps au Cambodge pour un étranger, est systématique dans certaines banalités quotidiennes.

 

L’expatrié désire l’heure exacte, à la minute près. Le Cambodgien, lui, donne très souvent une heure approximative, du style: «Il est plus de huit heures» et ce, même s’il est huit heures quarante. La même absence de rigueur se retrouve dans les tarifs. Pour un produit de 29 dollars, à la question: «Combien ça coûte?», le vendeur répondra: «Plus de 20 dollars». La question doit alors être reformulée afin d’obtenir une réponse précise.

 

Bobos imaginaires…

 

Autre sujet de choc: les maladies, réelles ou psychosomatiques, comme le très célèbre tchoo kbal (mal de tête) que le patron d’entreprise entend de manière récurrente dans la bouche de son personnel. Le mal touche principalement les jeunes individus lorsque le débat devient délicat ou s’oriente sur des notions abstraites. Lorsque, au milieu d’une réunion, l’interlocuteur, le visage tordu de douleur, annonce qu’il a le tchoo kbal, rien ne sert de lui tendre une aspirine. Il faut, en réalité, y voir une formule de politesse pouvant se traduire par: «Tu me les brises maintenant», ou moins agressif: «Je n’y comprends rien et je m’en bats l’œil avec une vieille tong». Plus concrètement, le tchoo kbal signifie généralement que les choses sont compliquées, que le temps de patience accordé est dépassé ou, dans de beaucoup plus rares cas, que cette personne souffre réellement de maux de tête. Il s’agit souvent d’un défaut de vision qui occasionne d’horribles maux de tête récurrents. Les (véritables) opticiens n’ont fait leur apparition que très tardivement dans les grandes villes et peu font le lien entre mal de tête et mauvaise vision. Avec un peu d’entraînement, l’expat’ apprend rapidement à faire la différence entre le véritable tchoo kbal et le faux.

 

Les médicaments employés pour soigner tous ces bobos imaginaires ou non, contribuent tout autant à ce choc des cultures. Héritage du protectorat français, la pose de ventouses, ce remède de grand-mère envoyé aux oubliettes par l’inventeur du Paracétamol, survit encore au Cambodge. L’application, à l’aide d’un coton enflammé, de ces pots de verre sur le dos, les épaules et même le front, se pratique régulièrement et pas seulement à la campagne. L’expatrié digne de ce nom a, au moins une fois dans sa vie, essayé ce remède. S’il ne fait pas grand bien, il ne fait pas grand mal non plus. Mais il faut ensuite supporter la présence des «bleus», qui marquent l’emplacement des ventouses pendant une bonne dizaine de jours. Pas très esthétique surtout en plein milieu du front…

 

Autre soin traditionnel khmer, le ko chol, consiste à gratter la peau de manière rectiligne à l’aide d’une pièce de monnaie ou d’un petit rond de cuivre trempé dans du baume du tigre, jusqu’à créer un «sang-pris». Le supplice se déroule généralement sur le dos, les épaules et la poitrine, et est effectué par un membre de la famille, alors que pour les ventouses, un spécialiste ou une grand-mère est généralement requis. On apprend et on subit ce genre de torture dès le plus jeune âge. Le ko chol, qui fonctionne sur le même système que les ventouses, se fait pour un rien, une petite fatigue, des courbatures, un mal de tête. L’expatrié préfère prendre deux aspirines et un comprimé de vitamine C pour un résultat similaire, la douleur occasionnée par l’horrible grattage en moins. Les sadomasochistes adoreront la chose…

 

La pose de perfusion et l’injection de sérum de glucose est une autre habitude médicinale regardée avec horreur par le barang. En effet, ces dernières sont prescrites en tout premier lieu par les docteurs à leurs patients, quelle que soit la gravité de leurs maux. L’effet placebo d’un tel équipement suffit dans la plupart des cas à guérir le malade imaginaire, ou du moins, il ne fait pas de mal (si la seringue a été, au préalable, stérilisée). Le médecin local n’a souvent pas le choix, et s’il ne dispose pas lui-même de cet attirail, le malade le considérera comme un mauvais docteur et ira à la pharmacie la plus proche s’acheter le tout, bien évidemment en vente libre. D’ailleurs, ici, tous les médicaments sont en vente libre sans ordonnance.

 

Ceux qui, devant toutes ces étrangetés, poseront la question: «Mais pourquoi ?», ne doivent pas trop s’attendre à recevoir une réponse. Au Cambodge, on ne demande jamais pourquoi au risque de se voir répondre n’importe quoi, dans le seul but de faire plaisir. Pourquoi ? Posez donc la question !

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