Quel plaisir de pouvoir offrir à nos lecteurs, grâce à notre partenariat avec l’éditeur Gope, ce roman feuilleton croustillant qu’est Hashtag Singapour. Merci pour cette nouvelle publiée par épisodes. Nous allons continuer !
L’INTRIGUE
M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?
RÉSUMÉ ÉPISODE 11
Dans un premier temps, Mme Tong, sa fille et une poignée de gens assistent aux obsèques de M. Tong, dont la fin était annoncée. Dans un second temps, M. Tong, dans son lit d’hôpital, réalise soudain qu’il peut se lever, que rien ne l’entrave plus. Il compte agir vite pour fuir l’endroit où il est retenu. Y aurait-il deux M. Tong ?
ÉPISODE 12 : Le voleur de la maison vide
Dans le taxi qui le ramenait chez lui en fin de nuit, Chiam Chok Tong se revoyait sortant comme un voleur d’une maison vide, car il ne s’agissait nullement d’un hôpital. Il avait ouvert la porte de sa chambre avec précaution, le plus silencieusement possible. Il avait tendu l’oreille deux, trois minutes peut-être. N’entendant aucun bruit, il avança à petits pas dans l’obscurité. Seul un rai de clarté, à peine plus épais qu’une feuille de papier, filtrait sous une porte et l’aida à se diriger. Les mains en avant, il atteignit la porte et la palpa à la façon d’un contrôle de police, pour en trouver la poignée.
Il la manœuvra au ralenti de peur qu’elle ne grince, mais elle se fit complice de son escapade en gardant un mutisme absolu. Il se trouva face à un escalier sans rampe qu’il grimpa lentement, peu solide sur ses jambes, freiné par son inquiétude de voir surgir quelqu’un. Il trébucha, se releva péniblement en se frottant le bassin. Sous sa main gauche, il sentit quelque chose qui n’appartenait pas à son corps. Glissant ses doigts dans la poche, il en retira un morceau de papier.
L’escalier débouchait dans l’entrée d’une maison qui lui parut petite. Sur une table le long d’un mur, une lampe à faible ampoule permettait de s’orienter. Il en profita pour regarder le papier qu’il avait extrait de la poche de son pantalon. Un billet de 100 dollars. Plus rien ne l’étonnait.
De nouveau, le violoniste tendit l’oreille. Il pouvait y avoir quelqu’un à l’étage. L’infirmière était peut-être en train de dormir, car il faisait nuit de l’autre côté de la vieille porte dotée de deux vitres en verre cathédrale. Il s’en approcha avec méfiance, s’attendant à la trouver close. Elle aussi semblait avoir reçu des ordres et lui livra passage sans résistance, sans un bruit.
Dans une humidité palpable
Face à un petit jardin où la nature vivait librement dans une humidité palpable, le violoniste avala une bouffée d’air tiède. Un petit portail métallique à barreaux qui s’ouvrait sur la rue n’était qu’à une dizaine de mètres. C’est lorsqu’il avança sur les gravillons qu’il réalisa qu’il était pieds nus. Il grimaça. Le contact des gravillons avec la plante de ses pieds était désagréable. Soudain, la maison cracha un grondement sourd. M. Tong s’immobilisa une seconde puis se précipita vers le portail, actionna la poignée avec fébrilité, s’attendant à ce qu’un piège l’empêche de s’enfuir. Un nouveau grondement retentit, peut-être un roulement, donnant à M. Tong une énergie nouvelle pour s’éloigner au plus vite. Il laissa le portail ouvert derrière lui et partit en courant le plus vite qu’il put malgré ses courbatures et ses pieds nus.
Euphorie de sa résurrection
Tout à l’euphorie de sa résurrection, il ne prit pas garde au nom de la rue. Le quartier était désert. Deux ou trois lampadaires minimisaient leurs efforts pour participer fièrement à l’économie d’énergie. Il avait peut-être parcouru un kilomètre, se retournant fréquemment de peur d’être suivi, avant de parvenir à un carrefour où il put héler un taxi en maraude. Le chauffeur le regarda avec suspicion, presque étonné que ce client s’exprime correctement alors que seul un alcoolique pouvait oser sortir affublé de la sorte au petit matin. Le taxi roula longtemps avant de le déposer devant son domicile. En chemin, M. Tong craignit que le billet de 100 dollars qu’il avait trouvé dans sa poche ne suffise pas. A l’arrivée, c’était en effet tout juste.
Un vulgaire livreur de pizzas
Il tempêta de devoir sonner au portail comme un vulgaire livreur de pizzas. Il dut insister à plusieurs reprises avant que sa femme ne lui réponde à l’interphone. Sitôt le portail entrouvert, craignant qu’un voisin ne l’aperçoive, il se précipita dans le parc et contourna l’espèce de cheminée d’arbres à demi étouffés par des lianes entremêlées qui paraissaient sorties des mains d’une tricoteuse prise de folie. Il dut sonner de nouveau à la porte de chez lui. Katherine lui ouvrit après quelques secondes. En dépit de l’heure matinale, elle était habillée et maquillée comme si elle allait sortir. Ou comme si elle l’attendait.
Katherine Tong accueillit son mari avec le même sourire que lorsqu’il revenait d’une longue tournée.
— Tu t’es bien reposé ?
Puis elle s’esclaffa :
— Qu’est-ce c’est que cette tenue ? Et tu es pieds nus, de mieux en mieux !
Les bras en tombèrent à Chiam Chok Tong. La bile lui brûla l’œsophage. Que signifiait cet accueil frauduleux ? Cette supercherie souriante ? Il poussa sa femme brutalement contre un mur et menaça :
— Tu me le paieras.
— Tu es devenu fou ! s’exclama-t-elle, sans paraître inquiète pour autant.
Il y avait un tel accent de sincérité dans sa voix, une inquiétude si crédible dans ses yeux, que son mari fut un instant déconcerté.
La première chose qui lui tenait à cœur, c’était de retrouver SA pièce qui, dans son souvenir, était en désordre avec des partitions dégoulinantes et des taches sur la moquette. Il poussa la porte avec timidité et entra avec circonspection, comme si un ennemi l’attendait arme au poing. Sur l’instant, il ne distingua rien car la pièce était dans la pénombre. Il actionna l’interrupteur, et le lampadaire donna toute sa générosité. N’importe qui aurait bondi de joie en retrouvant les lieux dans un état irréprochable. Pas M. Tong. Paradoxalement, son cœur s’emballa quand il découvrit la pièce en ordre, une partition normale sur le lutrin, la moquette immaculée et SON très cher stradivarius qui semblait avoir soulevé le couvercle de sa boîte pour vérifier qui entrait.
Il recula et referma la porte doucement, comme on le fait pour un enfant qui s’est endormi. Il lui fallait une autre vérification. Un besoin de se rassurer.
A suivre…
Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour, un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.
L’AUTEUR
Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-Etat qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.