Il y a les faits, les chiffres et l’actualité. Mais il y a aussi l’indispensable recul et le temps du commentaire. C’est la caractéristique de Gavroche d’apporter cette plus value éditoriale. Retrouvez ici l’analyse de notre collaborateur Philippe Bergues sur la récente élection du gouverneur de Bangkok.
Une analyse de Philippe Bergues
Neuf ans après, les Bangkokois retrouvaient le chemin des urnes ce dimanche 22 mai pour l’élection de leur gouverneur. Avec plus de 52% des voix, Chadchart Sittipunt, candidat affiché indépendant bien qu’ancienne figure du Pheu Thai, a largement écrasé la concurrence et, en premier lieu, les candidats du camp gouvernemental. Si l’on ajoute les suffrages exprimés pour le candidat du Move Forward Party, Wiroj Lakhanaadisorn, ce sont près de 63% des voix (34 sièges sur 50) qui sont allés vers les figures de l’opposition. Ce qui est un véritable camouflet pour les généraux en place, en particulier le Premier ministre Prayut et son vice-Premier, Prawit Wongsuwan, également chef de l’actuel parti majoritaire au Parlement, le Palang Pracharat.
Dès les premières tendances confirmées, Chadchart a déclaré que le résultat de ces élections montrait « le pouvoir de la démocratie et la volonté du peuple ». Et d’ajouter que « que la Thaïlande a besoin d’une véritable démocratie, comme ce que cette élection a démontré». Lorsqu’on lui a demandé s’il allait un jour se présenter au poste de Premier ministre, Chadchart n’a pas refusé cette hypothèse, tout en répondant « maintenant, gouverneur ». Il était intéressant d’entendre la lecture de Prayut de la défaite des candidats de son camp. Celui-ci a refusé d’en tirer des conclusions nationales en affirmant « qu’il ne s’agit que d’élections dans une seule province » et que « les résultats ont montré le désir des électeurs de Bangkok. Ce n’était pas lié au gouvernement ». Façon de minimiser la défaite et de la présenter hors de l’échelle du pays.
Ce qu’oublie le Premier ministre Prayut dans ses propos est que dans toutes les élections législatives partielles depuis le début 2022, les résultats montrent que lorsque la parole est redonnée au peuple, les candidats du parti pro-armée essuient de très lourds revers comme ce fut le cas dans plusieurs circonscriptions du Sud et, déjà, dans celle de Chatuchak dans la capitale.
S’il a raison de dire que la Thaïlande n’est pas Bangkok, on peut penser que les scores du camp militaro-royaliste seraient plutôt modestes dans le Nord-Est, là où la démographie électorale est la plus importante. Et précisément où les différents partis thaksiniens explosent les compteurs. Il est indéniable que ce scrutin de dimanche va mettre dans l’embarras le camp militaro-royaliste dans ses prospectives pour les échéances électorales nationales à venir, au plus tard en 2023.
Le rejet de huit années de pouvoir depuis le coup d’État de 2014, avec la corruption non disparue et la remise en cause de la gestion économique de la crise liée au Covid risquent d’être crédités au passif du pouvoir actuel. Et aussi à ceux des formations qui leur sont coalisées, les Démocrates en tête, eux qui avaient l’habitude de régner sur Bangkok et dont le candidat, Suchatvee Suwansawat arrive très loin de Chadchart.
L’espoir d’un gouvernement civil pour l’avenir
Face à cet engouement démocratique, de nombreux Thaïlandais -et pas seulement les
manifestants du camp pro-démocratie- laissent entendre leur ras-le-bol d’une constitution confiscatoire. Car l’establishment a toujours la constitution en sa faveur avec les 250 sénateurs cooptés, la plupart hauts gradés de l’armée, qui avec les députés élus par le peuple, votent pour élire le Premier ministre. Un évènement politique, assez peu commenté en avril, montre que le Move Forward Party qui séduit la jeunesse et la génération 2.0 se préoccupe dès maintenant des élections générales à venir : il a réussi à attirer dans ses filets l’ancienne étoile montante des Démocrates, Parit Wacharasindhu, neveu de l’ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva, comme directeur de campagne politique.
Parit avait démissionné du parti démocrate en 2019 en refusant la coalition avec Prayut. La prospective des prochaines législatives pourrait voir un Palang Pracharat avoir des difficultés à rivaliser avec le Pheu Thai et le Move Forward. La victoire de Chadchart ce dimanche, huit ans jour pour jour après le coup d’État de 2014, a donné de l’espoir à tout le peuple thaïlandais qui veut tourner la page du régime militaire.
Place à la démocratie