Notre ami et chroniqueur diplomate Yves Carmona connait bien le Japon où il fut en poste. Il nous relate la carrière politique de l’ancien premier ministre Shinzo Abe, tué vendredi 7 juillet lors d’un attentat à Nara.
Une analyse d’Yves Carmona
L’ancien premier ministre japonais Abe Shinzo a été assassiné, alors qu’il faisait campagne à Nara pour les prochaines élections sénatoriales, par un soldat des « Forces d’auto-défense » navales dont on ignore encore les motivations.
La vie politique d’Abe Shinzo mérite d’être résumée car il a joué un rôle exceptionnel dans l’archipel.
Il a été deux fois Premier ministre, la première en 2006-2007, le plus jeune depuis la 2ème guerre mondiale et la seconde fois en 2012-2020, le plus long de l’histoire de son pays.
Il est resté le « faiseur de rois » jusqu’au premier ministre actuel Kishida Fumio et se rattachait à une dynastie, comme beaucoup d’hommes politiques dans l’archipel et ailleurs, la particularité nippone étant qu’on y trouve beaucoup de fabricants ou marchands de sake du Sud du pays.
On retiendra de sa longue magistrature deux réformes auxquelles il était attaché et dont aucune n’a pleinement abouti.
Par-dessus tout, il a voulu revenir sur la Constitution pacifique du Japon. On a souvent relevé que son grand-père, Kishi Nobusuke, avait été condamné comme criminel de classe A après-guerre et Abe Shinzo est apparu comme le porte-drapeau du révisionnisme. Mais cette réforme constitutionnelle, qui aurait permis au Japon de retrouver une armée de plein exercice, n’a pas réuni la majorité du Parlement nécessaire et le peuple japonais, qu’il ait vécu ou pas les horreurs de la guerre, reste profondément attaché au pacifisme.
C’est aussi dans la même logique nationaliste qu’il a tout fait, et partiellement réussi, pour ramener au Japon des victimes d’enlèvement par les agents de Corée du Nord qui y sont restés captifs pendant des années. La Corée du Nord, contrairement au PLD, affirme que le dossier est clos.
L’autre réforme, les « Abenomics » en matière économique, reposait sur 3 « flèches » : mener des réformes de structure, pratiquer une relance budgétaire et obtenir de la Banque centrale une politique de relâchement monétaire (« quantative easing ») pour lutter contre l’inflation. Sur ce dernier point, on peut dire qu’il a réussi mais le dérapage de l’inflation est surtout dû à la guerre en Ukraine. Sur les deux premiers, on peine à voir les résultats. L’opposition ridiculise les réformes de structure dont on ne voit toujours pas à quoi elles pourraient ressembler (le premier misinistre actuel Kishida Fumio parle de « nouveau capitalisme ») 9 ans après qu’Abe Shinzo les ait annoncées et la relance budgétaire a surtout permis d’enrichir ceux étaient déjà riches.
Ceci dit, rien n’excuse la volonté de tuer qui soulève une émotion mondiale bien qu’elle ne soit propre ni au Japon ni à cette époque de son Histoire.
Yves Carmona