Comprendre le fonctionnement de la junte militaire au pouvoir en Birmanie est un sujet décisif pour tous les observateurs et diplomates qui suivent l’évolution de ce pays. Cette chronique de notre ami François Guilbert répond à de nombreuses questions.
Une analyse de François Guilbert
Une semaine après l’exécution de quatre prisonniers politiques, l’attitude de la junte vis-à-vis des familles des suppliciés nous en aura appris bien plus, en quelques jours, sur elle-même que les réactions internationales. Alors qu’à l’étranger on en demeure à des expressions tribunitiennes, les putschistes qui ont renversé le gouvernement civil ont, eux, affiché leur mépris absolu pour la vie de leurs opposants et ceux qui les soutiennent. Cruautés, non-respect des parents, des corps, des âmes et des biens des défunts ou des réfractaires. Un seul objectif : l’écrasement à tout prix de toute forme de résistance ! Un seul message : la junte ne pliera devant aucune exigence intérieure ou extérieure !
Ces perspectives étant établies, du point de vue des militaires au pouvoir, il n’y a pas besoin de longs discours explicatifs sur ce qui s’est déroulé. Les familles aimeraient savoir si leurs hommes ont trépassé entre les mains de soldats ou d’autres agents de l’appareil d’État, le mode d’exécution ou encore l’agenda de celles-ci ; il n’y a pas de raison de leur répondre juge-t-on dans les couloirs de Nay Pyi Taw. Face à ces questionnements pourtant légitimes des parentèles, force est de constater un mur de silence politico-administratif de la junte. Il ne faut guère s’en étonner. Cette posture est celle adoptée depuis des années face à tous ceux qui ont des démêlés avec les personnels de la Tatmadaw ou de la police aux quatre coins du pays. Une attitude inadmissible pour la plupart des pays tiers et les opinions publiques mais somme toute banale pour les responsables d’un régime militaire qui, comme ses prédécesseurs à la botte de généraux, ne rend des comptes à personne.
Condamnations tous azimuts
Sans surprise, la communauté des nations a réagi avec des mots et une émotion d’effroi à la décision entérinée par le général Min Aung Hlaing. Le G7, l’Union européenne et leurs Etats-membres pris individuellement se sont dits outragés et ont dénoncé immédiatement en termes diplomatiques un acte fondé sur une parodie de justice. L’ASEAN par la voix de sa présidence tournante cambodgienne, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande se sont émus que le châtiment suprême ait été énoncé à une date si proche d’une réunion clé des ministres des Affaires étrangères de l’Association appelée à discuter des mesures à prendre vis-à-vis d’une junte se refusant à mettre en œuvre la politique de désescalade attendue. L’Australie guidée par son nouveau gouvernement travailliste n’a pas, elle, caché sa disponibilité à se joindre au régime des sanctions adopté depuis plus d’un an par ses partenaires occidentaux. Quant à la République populaire de Chine, la Fédération de Russie et la République de l’Inde, elles se sont associées, le 27 juillet et sans trop barguigner, à une déclaration à la presse avec les autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies pour « condamner l’exécution par les militaires d’activistes de l’opposition » et ont soutenu l’appel du Secrétaire général de l’ONU du 25 juillet 2022 pour « une libération immédiate de tous les prisonniers détenus arbitrairement ainsi que le président Win Myint et la Conseillère pour l’État Aung San Suu Kyi ». Dans ce concert de critiques, pas une seule capitale ne s’est élevée pour soutenir le choix arrêté au nom du Conseil de l’administration de l’État (SAC) et de sa lutte dite anti-terroriste.
Un régime militaire putschiste disposé à poursuivre les exécutions pénales
Face à la bronca des réprobations, le régime instauré par le coup de force du 1er février 2021 est resté droit dans ses bottes. Il ne semble pas vouloir dévier d’un pouce de sa politique de répression brutale. Son porte-parole, le général Zaw Min Tun a d’ailleurs rappelé sans émotion, ni hésitation que les peines mortuaires prononcées étaient inscrites dans le code pénal ; ont été appliquées selon les codes de procédure en usage ; ont été édictées au nom du peuple birman et, pour tout dire, pour maintenir l’État de droit (sic !). Plus menaçant, il a affirmé le 28 juillet qu’elles pourraient se poursuivre en particulier pour châtier des individus condamnés plusieurs fois à la peine capitale.
Ceux qui ont été incriminés pour de multiples assassinats ciblés de collaborateurs du régime militaire ou au nom de la loi anti-terroriste, plus d’une vingtaine d’individus, semblent aujourd’hui particulièrement menacés. Toutefois, il est difficile de savoir exactement combien ils sont et quand ils passeront de vie à trépas. Une chose est sûre : les personnes détenues à la prison d’Insein (Rangoun) sont statistiquement les plus en danger. Les deux-tiers des « exécutables » y sont dorénavant à l’isolement depuis le 25 juillet. On ne peut en outre exclure que parmi ceux-ci figurent des femmes, puisque 6 % des peines prononcées par les tribunaux militaires d’exception l’ont été contre elles. Mais comment savoir qui est susceptible de s’ajouter à très court terme à la liste des martyrs ouverte il y a une semaine ?
Dorénavant, les familles tremblent à la perspective d’être invitées à s’entretenir prochainement avec leurs proches. Certes, les proches de l’écrivain Kyaw Min Yu et de l’ex-parlementaire de la Ligue nationale pour la démocratie Phyo Zayar Thaw ont pu échanger via ZOOM avec leur filiation moins de 48 heures avant leur pendaison mais à aucun moment l’administration pénitentiaire ne leurs avaient dit qu’il s’agissait de la toute dernière conversation avant leur trépas.
Il est d’autant moins certain que de telles invitations soient les signes avant-coureurs du pire, puisqu’il semble que les collatéraux du leader protestataire Aung Thura Zaw et du journaliste-citoyen Hla Myo Aung n’ont pas eu cette opportunité d’apparaître devant leurs familles avant leur disparition. Pourquoi ? Est-ce liée à leur moindre notoriété intérieure et extérieure ? A une plus faible attention (inter)nationale dont ils auraient été l’objet depuis leur interpellation ? Possible, mais pas certain !
Devant un régime militaire imprévisible, peu loquace sur ses intentions, les familles de condamnés n’ont pas d’autres choix que de se montrer très précautionneuses, en particulier dans leur communication, leurs relations avec les journalistes et les étrangers. Elles craignent, non sans raison, avec intensité que le moindre de leurs propos mettent un peu plus encore en danger leurs bannis et deviennent un prétexte à supplice, tortures ou exécution. Elles sont d’autant plus prudentes qu’elles ont eu connaissance du sort réservé à ceux qui ont fait le choix de s’exprimer.
Menaces sur les familles des martyrs
En toute circonstance, le régime militaire et ses nervis n’hésitent pas à s’en prendre physiquement aux lignées de leurs opposants. Khin Win May, la mère de Phyo Zayar Thaw, a été interpellée puis interrogée par les forces de l’ordre après s’être exprimée sur les ondes en birman de la BBC. La génitrice d’Aung Thura Zaw a, elle, été cueillie à son domicile par des soldats en armes qui lui ont demandé de prendre simplement quelques vêtements. Les ex-domiciles des deux suppliciés les plus connus ont, eux, été attaqués le même jour dans les quartiers de Kyauktada et d’Insein à Rangoun. Dans les deux cas, la cinquantaine de manifestants acheminée par sept véhicules collectifs, équipée d’armes blanches ou de gourdins et venue dénoncer les terroristes n’a pas été inquiétée par les forces de sécurité postées à proximité, comme on peut le constater sur une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. Une impunité ostentatoire y compris à quelques pas (rue Bo Aung Kyaw) d’un lieu aussi symbolique et surveillé que le Secrétariat, siège autrefois de l’administration coloniale et des premiers parlements du pays. Une opération de propagande voulue par le régime pour démontrer que sa décision de « punir des criminels responsables de la mort de plusieurs citoyens » est soutenue par le bon peuple.
La junte a ainsi pris soin d’orchestrer des manifestations pour démontrer dans la rue le soutien dont il bénéficie. C’est ainsi qu’au-delà du ciblage des lieux d’habitation des exécutés, il a favorisé le 29 juillet un rassemblement devant la mairie de Rangoun. Un emplacement facile à sécuriser, à même de fournir de belles images de propagande et peu susceptible d’y voir des débordements.
Avec le soutien du relais partisan historique de l’armée, le Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), quelques dizaines de manifestants sont venus en bon ordre scander des slogans hostiles à l’opposition et d’appui à la politique de répression de la junte. Face à de telles manœuvres, personne n’est dupe. L’aura du régime militaire n’en sort pas grandi. Une gesticulation qui n’en vise pas moins à invisibiliser autant que possible les appuis qui pourraient être fournis aux familles de prisonniers. Le régime sait combien, il ne peut jusqu’ici s’opposer aux expressions de sympathies et de solidarité tournées vers les familles de martyrs. Leurs malheurs sont commentés abondamment sur les réseaux sociaux. Ils génèrent même des flux d’argent pour leur venir matériellement en aide. L’opposition dans la clandestinité et en exil bénéficient pour l’occasion elle aussi de cette manne. Une dynamique financière que renforce le comportement de la junte devant le malheur des autres.
Le dédain avec lequel le SAC a traité les familles, leurs demandes de restitution des corps ou des cendres ainsi que leurs requêtes d’information sur le jour et l’heure des exécutions suscitent beaucoup de ressentiments dans la société. Il met en état de choc toute une société. Pour un régime qui se veut le protecteur du bouddhisme et de ses rites, il récuse en effet jusqu’à permettre aux endeuillés de respecter les traditions cultuelles, à commencer par celle qui veut que l’on offre un repas notamment aux moines au 7ème jour de deuil. Ces interdits sont accompagnés de menaces choquantes et de pressions sur les parentés. Elles sont souvent exercées par l’intermédiaire des chefs de quartier. Ainsi, la famille de Ko Hla Myo Aung a reçu l’ordre de ne pas organiser à domicile de cérémonies funéraires pour son défunt. Il lui a été demandé également de garder un profil bas. Une attitude qui pourrait en coûter aux intéressés si elle est transgressée. Dans ce cas précis, l’épouse du disparu purge actuellement une peine de prison de trois ans à Kyaimataw (État Shan) pour son propre engagement politique.
Si les représailles atteignent les familles des condamnés, ils seraient erronés de croire qu’elles sont les seules victimes des exécutions. Les jours J-1 ou J des pendaisons, de nombreux quartiers de Rangoun ont été privés subitement d’électricité. Pour limiter, les risques de contestation plus massives des mesures interdisant des rassemblements de plus de 5 personnes ont été prises ou rappelées dans plusieurs quartiers et des rumeurs de l’extension dans six townships du nord et nord-est de Rangoun du temps de couvre-feu de de 20h à 4h00, au lieu de minuit à 4h00, sont prises très au sérieux. Mais plus sûrement, l’état d’urgence sera étendu à partir du 1er août pour un semestre encore par une décision du Conseil national de défense et de sécurité (NDSC). Une preuve de plus pour souligner combien la Birmanie est plongée dans une crise sanglante et de longue durée. La ministre des Affaires étrangères du gouvernement d’opposition, Daw Zin Mar Aung, partage ce point de vue et est allée jusqu’à dire le 30 juillet que les « jours les plus sombres sont devant nous ».
Francois Guilbert
Bonjour,
Merci pour cet article hélas bien sombre. Je suis étonné par le silence des moines boudhistes pourtant à l’origine de la révolution de safran en septembre 2007. Le basculement de ces moines dans l’opposition pourrait être une note d’espoir. Pourquoi sont-ils hors jeux ? Existe-il un modus vivendi avec Tatmadaw ?