Le site d’information suisse Blick.ch/fr a publié une analyse détaillée du rapport de force entre la Chine et Taïwan à l’occasion de la visite de la présidente de la Chambre des Représentants américaine Nancy Pelosi. Nous en publions des extraits.
L’intégralité est à retrouver sur le site blick.ch/fr dont nous vous recommandons la lecture
Une analyse de Richard Werly
D’un côté un alignement de forces implacable. De l’autre, des scénarios d’invasion dont personne, à Washington ou à Pékin, n’est capable de prédire le dénouement.
Avec deux millions de soldats sous les drapeaux, un budget annuel de 209 milliards de dollars (quatre fois moins que les États-Unis) et près de 2 300 avions de combat capables de saturer le ciel taïwanais en quelques minutes, l’armée populaire chinoise a les moyens de transformer en cendres l’ex île de Formose, détachée politiquement du continent depuis 1949 et l’installation sur place du régime nationaliste de Chiang Kaï-chek, battu par les forces communistes de Mao Tsé-toung.
Mais qui dit invasion réussie dit multiplicité de facteurs : rapidité de mouvement, débarquement réussi, ravitaillement sans failles, conditions météo favorables dans le détroit, maîtrise immédiate des airs et surtout… risque de riposte meurtrière sur les énormes métropoles côtières chinoises.
Des éléments défavorables à la Chine
Cette équation stratégique est depuis des décennies rebattue par les autorités de Taïwan, devenu un pays démocratique dans les années 1990. Et pour la résoudre, les héritiers de Chiang Kaï-chek auxquels rend visite ce mercredi la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi, 82 ans, savent qu’ils peuvent compter sur plusieurs variables stratégiques toujours défavorables à la Chine voisine, de l’autre côté du détroit de 180 kilomètres de largeur qui les séparent du continent.
Le premier élément capable de contenir les ardeurs chinoises, malgré les avertissements et les mesures d’intimidation comme le survol d’avions de chasse, est la capacité de résistance et de riposte de l’armée taïwanaise, l’une des plus modernes d’Asie. L’État-major Taïwanais mouline depuis des décennies tous les scénarios possibles d’invasion.
L’île est aussi, rappelons-le, couverte aux deux tiers de montagnes hérissées de sommets qui dépassent parfois 3000 mètres d’altitude. Croire que les vagues humaines de fantassins chinois balaieront en quelques heures les défenses taïwanaises serait naïf. Or une armée qui ne parvient pas à débarquer peut très vite, sur une île, se retrouver en position critique. Surtout si le conflit se régionalise et que ses arrières se retrouvent menacées. Le Pentagone estime que le conflit pourrait faire 500 000 morts des deux côtés. Cette guerre peut donc réserver des surprises de taille.
Le coût économique astronomique
Le deuxième élément est le coût économique d’une invasion de Taïwan. Aussitôt déclenchée, celle-ci entraînerait un isolement immédiat de l’économie chinoise du reste du monde, et la fermeture probable des détroits commerciaux cruciaux (Bandar Abbas, Malacca.) pour l’approvisionnement de cet immense pays en énergie et en matières premières.
La Chine, évidemment, a des réserves colossales. Son industrie de guerre tournerait à plein. Mais contrairement à la Russie, dont l’appareil productif est peu développé, «l’atelier du monde» qu’est la Chine a besoin du commerce mondial. Une guerre qui dure, à l’image du conflit en Ukraine pour Moscou, serait très dure à gérer par le régime communiste de Pékin, au sommet duquel Xi Jinping est l’émanation d’un pouvoir collégial. D’autant que les voisins asiatiques de la Chine, voyant l’Empire du milieu patiner, prendraient sans doute leurs distances. Les faiblesses d’un géant peuvent vite se transformer en handicaps majeurs.
Détermination contrastée des populations
Le troisième facteur est la détermination des populations chinoises et taïwanaises à se battre. Beaucoup d’observateurs estiment que la propagande nationaliste en vigueur au sein de la République populaire, d’une efficacité redoutable, a déjà conditionné la population d’un milliard et demi d’habitants et l’a préparé à la guerre. Peut-être. Mais les vingt millions de Taïwanais se battront eux pour leur liberté et leur survie, sur une terre qui n’est pas occupée par une force étrangère (alors qu’à Hong Kong remis au pas depuis deux ans, la Chine pouvait prétexter de l’ex occupation coloniale britannique).
Les Taïwanais ont eux-mêmes développé et transformé leur île en une puissance industrielle de premier ordre. Tout n’est dès lors pas qu’une affaire de nombres. Les Américains misent sur cette résistance populaire insulaire qui, en devenant le symbole mondial de la lutte pour la démocratie, accoucherait d’un casse-tête insurmontable pour Pékin.
La difficile maîtrise des mers
Dernier élément : la maîtrise des mers. Elle est essentielle. Or la mer de Chine n’est pas assurée de tomber sans coup férir sous le contrôle de Pékin, dès le déclenchement de l’invasion. Les forces navales japonaises, sud-coréennes et américaines, si elles interviennent, ont les moyens d’infliger de très lourdes pertes à une marine chinoise qui, si elle perd l’ascendant, ne pourra plus ravitailler ses forces d’invasion à Taïwan. Sans maîtrise de la mer, le débarquement du 6 juin 1944 en France n’aurait jamais réussi ! Conquérir une île exige de maîtriser les eaux qui l’entourent. Dans le cas contraire, tout peut rapidement échouer. Sans parler du risque d’engrenage vers une troisième guerre mondiale car la Chine, alors, se retrouverait à combattre sur plusieurs fronts.
Le récent rapport annuel de la CIA reconnaît que l’option militaire est sur la table du côté chinois et que Pékin « pourrait décider d’utiliser la force plutôt que de chercher à obtenir une réunion pacifique de Taïwan ». Certes. L’invasion éclair reste le scénario le plus redoutable et redouté. Mais le géant chinois, en 2022, n’est pas imbattable.
Plus grave pour Pékin : la guerre en Ukraine, qui a servi d’avertissement aux pays de la région alliés des États-Unis et désorganise les économies mondiales, ne joue pas en sa faveur. La visite de Nancy Pelosi est, de ce point de vue, un test parfait. Elle force le régime communiste à réagir, comme il a promis de le faire dans sa déclaration de protestation. Tout en redonnant confiance à tous ceux qui, à Taïwan comme à Washington ou dans les capitales occidentales, pensent que les dynamiques (démographiques, sociales, économiques.) engendrées par la modernisation accélérée de la Chine ont accouché d’une hyperpuissance bien plus fragile que le laissent croire ses harangues ultranationalistes.