Alors que la chef de la junte n’accorde aucune interview aux journalistes de son pays, ses déplacements en Russie sont, à contrario, l’occasion de communiquer urbi et orbi. Lors de son récent séjour en Sibérie, le général Min Aung Hlaing a ainsi rencontré pendant une vingtaine de minutes Tatiana Koukoushkina de l’agence de presse publique RIA (), une journaliste qui l’avait déjà interviewé en juin 2021. L’organe russe ayant un accord de coopération avec le journal relais des militaires, Myawady, le public birman a pu découvrir le point de vue du commandant-en-chef de l’armée sur des sujets internationaux voire de politique intérieure qu’il n’avait jamais jusqu’ici abordé publiquement en Birmanie ou très rarement.
Ses propos ont souligné combien celui qui espère devenir en 2023 le président de la République adhère aux récits politiques russes et chinois. Il a dénoncé les États-Unis, accusés de promouvoir leurs armements dans le contexte de « l’incident ukrainien » (sic !).
S’il a récusé l’idée que son pays puisse accueillir un jour une base de l’armée russe, rappelant que la Constitution de 2008 exclue la mise en œuvre d’un tel projet, il s’est montré plus sibyllin sur les relations futures en affirmant que son régime est tout à fait disposé à trouver de nouveaux domaines de coopération avec la Fédération de Russie. S’il s’est bien gardé d’envisager un tel cas de figure pour la République populaire de Chine, celui qui se présente également comme le premier ministre du gouvernement birman, a tenu à souligner son attachement au concept d’une seule Chine. Pas sûr que cette position arrêtée depuis bien longtemps à Nay Pyi Taw suffise à rassurer Pékin sur les bonnes dispositions de la junte à son endroit et à convaincre le grand voisin septentrional que le régime militaire instauré par la force en février 2021 soit la meilleure garantie de stabilité à ses frontières.
En matière de sécurité, le numéro 1 de la Tatmadaw s’est voulu rassurant.
Il a affirmé que les affrontements armés et les émeutes ont diminué depuis avril dernier. Mais pour ne pas apparaître comme totalement déconnecté des réalités de son pays, il a dû aussi admettre que « certains États et régions » ne sont toujours pas très stables. Il a imputé cette situation non pas à des interventions étrangères mais à l’attitude de l’Armée de l’indépendance kachin (KIA) et de l’Union nationale karen (KNU) qui ont donné des armes et des munitions aux groupes de résistance émergents.
Le constat mitigé sur les réalités sécuritaires n’est pas anodin car il sert dorénavant à laisser entendre que les élections générales promises par les militaires pour la mi-2023 ne pourront peut-être pas se tenir sur toute ou partie du territoire, comme si au fond les seuls obstacles à un retour à la démocratie seraient ceux qui ont « truqué » les élections de 2020, sous-entendu la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), et cherché à se maintenir au pouvoir les armes à la main. En affirmant que les élections « dépendront de la paix, de la stabilité et de la reprise économique », le chef du Conseil d’administration de l’Etat (SAC) multiplie non seulement les préconditions au scrutin mais en a introduit une nouvelle en évoquant la res economica. Il est pourtant surprenant d’espérer une embellie économique à court terme alors que le pays sera confronté cette année à un large déficit budgétaire (6,7 % du PIB), une envolée de son inflation, un ralentissement des investissements et voit ses dépenses d’éducation, de protection sociale et de santé se contracter alors que les budgets de la défense ont augmenté de 10 % en 2021 et progresseront de 12 % en 2023. Force est de constater que l’on observe une priorité du SAC à sa politique de contre-insurrection et non à la relance économique ou la stabilisation sociale. L’allocation budgétaire aux armées ponctionne au minimum aujourd’hui 12 % des dépenses de l’Etat contre, en ces temps de COVID, 2,8 % pour la santé – le taux le plus bas depuis 2013 – et 7 % pour l’éducation, le taux le plus faible depuis 2015 et l’arrivée au pouvoir de Daw Aung San Suu Kyi. Dans un tel contexte, compter sur une reprise économique pour stabiliser le pays relève d’un vœu pieux. C’est si vrai que la journaliste russe qui a interviewé le général Min Aung Hlaing n’a pas hésité à lui demander si le scrutin évoqué n’était pas, tout simplement, improbable pour l’avenir proche.
L’officier ne s’est même pas récrié à cette perspective, jugeant qu’il était encore bien trop tôt pour se prononcer. A n’en pas douter, le putschiste veut entretenir, aussi longtemps que possible, sa fable électorale. A ce stade, celle-ci lui est bien pratique pour ne pas engager un dialogue avec l’opposition et faire preuve du moindre geste de flexibilité.
Le général Min Aung Hlaing a donc répété son mantra : « il n’y a pas de dialogue possible avec les terroristes » et justifié le placement en détention de Daw Aung San Suu Kyi ou encore l’exécution de 4 prisonniers puisqu’il s’est agi simplement d’appliquer la Loi.
Cette intransigeance nourrit l’exaspération intérieure, la guerre civile mais aussi les critiques grandissantes de plusieurs pays voisins, l’Indonésie, les Philippines, Singapour et la Malaisie. Elle conduit même la diplomatie de Kuala Lumpur à dorénavant interagir régulièrement avec l’opposition birmane née du coup d’Etat. Pour exprimer sa solidarité avec le peuple birman, le ministre des Affaires étrangères malaisien rencontrera à New York le 19 septembre, en marge de la 77ème Assemblée générale des Nations unies, le vice-ministre des Affaires étrangères du Gouvernement d’unité nationale (NUG), le président du Comité des représentants de l’assemblée de l’Union (CRPH) et des délégués du Conseil consultatif de l’unité nationale (NUCC). Un geste très inamical vis-à-vis des généraux birmans et derrière lequel les putschistes ne manqueront pas de voir la main des Occidentaux. Comme l’a rappelé le général Min Aung Hlaing devant T. Koukoushkina, les États-Unis font, selon lui, pression sur la Birmanie via certains de leurs proches alliés au sein de l’ASEAN pour empêcher le bloc d’avoir des relations avec la Russie mais également pour s’ingérer dans les affaires intérieures birmanes. A ce dernier titre, il a récusé comme jamais le Consensus en cinq points agréé en avril 2021 avec les chefs d’Etat de gouvernement de l’ASEAN, affirmant que ce texte est « une intervention pieuse dans les affaires intérieures d’un État membre par certains membres de l’ASEAN ». En niant de manière si ostentatoire les attentes de ses pairs d’Asie du sud-est, le patron du SAC aura bien du mal à les convaincre de son respect de la Charte de l’ASEAN qu’il proclame pourtant régulièrement via les organes de propagande de son régime.