Nous republions régulièrement d’anciennes chroniques de notre mensuel Gavroche. Et pour cause ! Celles-ci n’ont rien perdu de leur acuité. La preuve ici !
Birmanie ou Myanmar, la querelle des noms
Par Guy Lubeigt
Chercheur et géographe de terrain
Pour les ethnolinguistes, la langue birmane est clairement rattachée au tibéto-birman, mais on ne sait pas grand-chose sur les ancêtres des Birmans, peuple à l’origine sans écriture. Le premier texte en birman, qui date de 1112/1113, figure sur la stèle quadrilingue (mon, pyu, pâli et birman) de la pagode Myazédi du village de Myinkaba au sud de Pagan. Les ethnologues évoquent un peuple de pasteurs nomades originaires de la province chinoise du Kansou. Au néolithique, ce peuple aurait peu à peu migré vers le sud à travers le Yunnan.
Au contact des Thaïs, ces populations auraient appris, entre autres, l’art de la cavalerie, du tissage et de la riziculture. Avant l’ère chrétienne ils ont ensuite migré, en suivant la vallée de l’Irrawaddy, vers les plaines centrales où ils se sont établis. Dans les chroniques chinoises les premiers tibéto-birmans vivant en Birmanie apparaissent sous le nom de Pyus (exonyme dérivé du chinois ‘P’iao’). Ces tribus se seraient nommées elles- mêmes «Tirkul». Au début de l’ère chrétienne, selon les sources chinoises, la Birmanie était alors composée de dix-huit cités-Etats fortifiées, sur le modèle de Sri Ksetra (Prome). Ces royaumes Pyus entretenaient des relations étroites avec l’Arakan.
Ils furent peu à peu assimilés par les Birmans. Solidement implantés en Birmanie, les Birmans apparaissent dans l’histoire quand ils sont mentionnés par Marco Polo sous le nom de « Mien ».
Cette appellation serait à l’origine de leur nom. Le pays des Mien serait donc devenu : Mien-Ma (la terre des Mien), qui aurait évolué en « Myanmar ». Dans la langue formelle les Birmans se désignent comme Myanmar et dans la langue vernaculaire comme Bamas (ou Barmas). C’est pourquoi les premiers voyageurs les ont désignés sous ce nom qui a évolué en «Birma/Burma», appellation privilégiée par les anglo-saxons. Les Birmans sont également nommés « Mramas » car, en langue birmane, les consonnes «r» et «y» ont la même transcription. Un phénomène identique concerne les lettres « b » et « p ». Les premiers voyageurs européens ont bien entendu les noms de « Pègou » et « Pagan », qui sont transcrits dans leurs écrits. De même, à leur arrivée les colonisateurs britanniques ont eux aussi bien entendu les birmans parler de Rangoun (le véritable nom ancien de la ville), qui a évolué plus tard en Yangon… La confusion s’explique par le fait que les habitants du Rangoun précolonial parlaient en fait ce qu’il est convenu d’appeler «vieux birman » où le « r » était clairement prononcé. De nos jours ce «vieux birman» n’a pas disparu. Il est couramment utilisé en Arakan. Mais sa prononciation est si différente que les habitants des plaines centrales ont du mal à comprendre les Arakanais, alors qu’ils parlent la même langue.
Rompre avec le passé colonial
Tout le monde s’accommodait de cette situation, mais la junte qui présidait seule aux destinées de la Birmanie depuis 1962 a décidé, en juin 1989, de revenir à une situation qu’elle jugeait politiquement plus correcte ou moderne. Elle a décrété que la Birmanie se nommerait désormais « Myanmar » et que la capitale deviendrait « Yangon ». Quelques noms, dans lesquels les militaires voyaient d’intolérables réminiscences de la période coloniale, ont été birmanisés, telle Maymyo (la ville du colonel May, devenue Pyin Oo Lwin). Mais la plupart des noms, déjà birmanisés dans la langue et la presse vernaculaires, sont restés quasi-identiques (sauf Irrawaddy, transformé en «Ayeyarwady» dont la prononciation pose problème pour des francophones).
Dans les faits, le nouveau nom du pays, le Myanmar, pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Notamment pour les ethnies. Ainsi les Bamas ( l’ethnie birmane) sont perçus comme l’ethnie dominante par opposition avec «les Birmans» qui sont les habitants de l’Union de Birmanie. Myanmar, le pays (avec un «r» à la fin) ne doit pas être confondu avec Myanma (un birman ethnique, sans « r » à la fin)… Tandis que les pays anglophones abandonnaient « Burma » et « Rangoon » pour se mettre en conformité avec la décision des militaires, la France a continué à utiliser les noms anciens («Birmanie » et « Rangoun »), non pas pour manifester une quelconque opposition à la junte mais pour rester conforme à la prononciation francophone et à la tradition. La République dispose donc toujours d’une ambassade de France en Birmanie.